Cette rubrique en deux parties exposera puis analysera les conditions insoutenables de travail et la bataille quotidienne des médecins du secteur public pour accomplir leur mission. Deux chapitres pour parler de la situation des hospitalo-universitaires, des résidents et des internes en médecine dans un contexte de débrayage.

CHAPITRE PREMIER

Les hospitalo-universitaires refusent de se taire

Dressons d’abord l’état des lieux :

En Tunisie les structures sanitaires se répartissent sur trois niveaux : le niveau un et deux sont les dispensaires locaux et les hôpitaux régionaux et n’ont pas de fonction universitaire, contrairement au niveau trois que sont les centres hospitalo-universitaire (CHU). Ces centres où l’on permet la formation théorique et pratique des futurs professionnels médicaux, personnels paramédicaux et chercheurs en sciences de la santé.

Les hôpitaux du secteur public dépendent d’une direction nommée par le ministre de la santé. (Presque aucun des directeurs d’hôpital n’est médecin ou ne dispose d’une formation dans ce domaine de gestion spécifique).

Après l’âge d’or de la médecine publique, la politique de la Tunisie s’est dirigée de plus en plus vers la privatisation du secteur de la santé. Le secteur public a été de plus en plus laissé à l’abandon au profit d’un secteur privé fleurissant ; se parant des dernières technologies en matière de soin. Pourtant, le secteur privé ne traite que 30% de la population du pays et beaucoup de patients venus des pays voisins.

On se trouve alors face à une médecine à deux vitesses. La médecine de pointe est tenue par le secteur privée offrant un accès limité à une élite.

Le secteur public offre quant à lui la qualité d’une médecine de guerre. L’état n’investit plus depuis longtemps dans l’entretien des anciens appareils de médecine et encore moins dans l’achat de nouveaux. Les patients du service public se retrouvent alors obligés, s’ils ont en les moyens, d’aller dans des structures privées pour faire leurs examens.
Or c’est loin d’être le cas. Les patients non couverts par la CNSS ou la CNRPS n’ont pas d’accès à la médecine de pointe.

« Gratuité de la santé » nous dit on. Mais quelle santé et quelle prise en charge ? L’état mise sur la quantité avec une qualité de soin médiocre. Le ministère des affaires sociales offre pour certain « le carnet blanc » mirage d’un accès total et gratuit aux soins. Ce n’est qu’un mirage.

Prenons l’exemple d’un homme atteint d’un trouble du rythme cardiaque mais jouissant du fameux « carnet blanc ». A l’hospitalisation, il devra payer 35 dinars contre 65 dinars s’il avait un autre régime d’assurance. Devant le risque de mort subite, le médecine lui prescrit la pause d’un défibrillateur (Pace maker : appareil intra thoracique délivrant des décharges électriques au cœur afin de le relancer). Or ce dernier n’est pas remboursable et le patient n’a pas 30 millions de coté. Ce patient mourra…

Ceci n’est qu’un exemple car même les patients bénéficiant d’une assurance seront forcés à mettre de leur poche ou d’aller au privé vu les lacunes du système d’assurance et le manque de technologie de pointe dans les hôpitaux.

L’un des problèmes fondamentaux de la politique de soins dans le secteur public est la non reconnaissance du statut universitaire aux médecins hospitalo-universitaires par le ministère de l’Enseignement Supérieur.

Le ministère insiste même sur ce point à travers le décret du 28 octobre 2011 stipulant « le retrait du caractère universitaire pour les services de pharmacie et de biologie qui se trouvent au sein des structures hospitalo-universitaires ». De ce fait, tout le volet universitaire du travail de ces professionnels de la santé se trouve ipso facto non rémunéré.

Bizarrement, Un médecin universitaire est moins payé quand il accède au grade d’universitaire que quand il est médecin sanitaire et peu importe le nombre d’années d’expérience. Les médecins dans les CHU assurent en plus de leurs activités permanentes de soins, les fonctions spécifiées par un document sur le JORT et qui consistent en l’encadrement théorique et pratique des étudiants, la direction des thèses et des mémoires, l’enseignement postuniversitaire, la structuration et l’encadrement du personnel paramédical et des activités de recherches (ayant portées leurs fruits comme l’atteste les prix obtenus par nos médecins tunisiens un peu partout dans le monde).

Le ministère de la santé imposerait-il toute cette charge de travail à des diplômés dont il douterait de la validité du diplôme ? Sinon pourquoi dénigrerait-il leur statut d’universitaires ?

Cette absence de reconnaissance ainsi que les salaires anormalement bas pousse les médecins à fuir vers les bras chaleureux du secteur privé. Des démissions en masse de médecins aux hautes compétences sont de plus en plus fréquentes. Des mines de savoir et de connaissance quittent l’enseignement et la recherche. Qui formera alors les médecins de demain ?

Malgré les opportunités alléchantes à l’extérieur des hôpitaux, les institutions de la santé publique ne sont pas vides pour autant. Des médecins militants et patriotes y restent et se battent chaque jour pour améliorer les conditions de soins et faire de nos hôpitaux de véritables services aux citoyens. Mais leur patience est confrontée à de rudes épreuves. En décembre 2010, une première grève a été menée sans suite. Une deuxième a été annoncée pour le 17 janvier 2011. Mais devant les circonstances de l’époque, le syndicat a préféré reporter la grève.

Tout au long de cette période, le syndicat des médecins, pharmaciens et dentistes hospitalo-universitaires n’a jamais fermé la porte aux discussions.

Les revendications syndicales sont claires et réalistes :

– création d’un cahier des charges comportant les normes de fonctionnement des infrastructures, équipements et ressources humaines des structures sanitaires publiques ;
– l’implication des professionnels hospitalo-universitaires dans la gestion et la direction des institutions sanitaires. (Les chefs de service n’ont pas, à ce jour, leur mot à dire quant à la distribution du budget de l’hôpital. On se retrouve alors, comme dans plusieurs hôpitaux de Tunis, avec des travaux superflus de réaménagement de la direction centrale pompant le budget déjà serré, alors que les premières nécessités ne sont pas assurées pour une prise en charge correcte des patients.) ;
– établissement d’un système d’évaluation et de mise à niveau ;
– révision du système de financement ;
– reconnaissance effective des droits scientifiques et salariaux des médecins, pharmaciens et dentistes hospitalo-universitaires. (Le syndicat demande que les salaires soient mis au niveau de celui octroyé à tout universitaire travaillant en Tunisie).

Après le 14 Janvier et l’élection du nouveau gouvernement provisoire, le syndicat est revenu à la charge mais en vain. Le ministère fait la sourde oreille et refuse de discuter.

L’annonce de la grève du 30 et 31 Mai 2012, a réfréné le silence du ministère qui a convié les membres du syndicat à une table ronde pour discussion.

Après cinq heures de débat, pendant lesquels le syndicat a présenté sa proposition de plan d’action et a insisté sur le fait que la révision des salaires n’est pas une priorité immédiate mais s’intégrera dans un plan d’action conforme aux possibilités budgétaires. La commission du ministère a levé la séance pour revenir quelques heures plus tard annoncer que « la porte de la négociation était fermée » et a proposé la création de « commissions de réflexions sur le sujet pendant au moins trois mois avant de ré ouvrir les négociations ».

Etonnamment, le ministre de la santé en personne a effectué plusieurs rencontres avec des médecins hospitalo-universitaires, seuls en dehors de tout cadre syndical, alors que la seule entité représentant légitimement et légalement les médecins est le syndicat membre de la centrale syndicale de l’UGTT. Chercherait-il à diviser pour mieux régner ?

La télévision nationale a aussi joué le jeu. Après avoir convié les représentants du Syndicat à son émission débat avec le ministre de la santé, Awatef Dali, présentatrice de l’émission, les contacte pour annuler disant que le ministre avait décommandé.

Le ministre de la santé en personne a effectué plusieurs rencontres avec des médecins hospitalo-universitaires, seuls en dehors de tout cadre syndical, alors que la seule entité représentant légitimement et légalement les médecins est le syndicat membre de la centrale syndicale de l’UGTT

La surprise fut totale, le Vendredi 1er Juin à 17h30 on voit Dr Mekki à la télévision parlant à la table de Awatef Dali.

Monsieur le ministre a nié la non reconnaissance des diplômes des hospitalo-universitaires par le ministère de l’Enseignement Supérieur. Il a même affirmé que le nombre des démissions des médecins n’est pas supérieur à d’habitude. Mais nous savons tous que pour que les démissions soient effectives il faudrait que le ministre donne son accord, ce qui, jusqu’à nouvel ordre n’a pas été fait. La chaine nationale nous a offert un monologue ministériel comme on en a eu l’habitude pendant les 23 ans du règne Ben Ali.

La politique capitaliste de privatisation massive a prouvé son échec mais notre gouvernement semble indécis sur l’orientation qu’il veut avoir.

Sur la question des hôpitaux et universités de médecine privés, le ministère malgré le refus catégorique du syndicat, n’a pas émis de position.

Il faut réaliser que des hôpitaux privés ne feront qu’élargir le gap entre les deux médecines privée et public. Les médecins non reconnus et mal payés du service public, le quitteront en plus grand nombre pour aller gagner dix fois plus dans le secteur public.

Nos hôpitaux et nos universités de médecine se videront encore plus rapidement de ses compétences. Des universités privées ne feront qu’éloigner d’avantage le rêve d’une égalité sociale. L’accès à la faculté de médecine ne se fera plus par ordre de mérite mais par le solde du compte en banque. Les études de médecine publiques offrent une certaine ascension sociale à des enfants de familles démunies qui ont bataillé pour assurer l’avenir de leurs enfants.

Avec les universités privées on aura aussi des études de médecine à deux vitesses avec la fuite des hospitalo-universitaires, mal traités et non reconnus, du public vers le secteur privé. Le niveau d’enseignement baissera d’avantage et sera réservé à ceux dont les parents peuvent en avoir les moyens.

Notre gouvernement n’est pas encore décidé sur sa politique sociale. Ne prenant aucune décision ni aucune position ferme, il nous sert de beaux discours socialistes avec une politique résolument capitaliste.

Entre des ministres populistes qui refusent une voiture de fonction et des ministères qui refusent de discuter avec les syndicats, nous sommes un peu perdus quant à la réelle position de nos dirigeants. Pendant ce temps, le service de santé publique est à l’agonie et sa première victime est l’état de santé des tunisiens.

A suivre…