C’est une question de corps, encore une fois, d’identité et de possession. De manière générale quand on traite la question des violences faites aux femmes on s’intéresse à une tranche d’âge comprise entre 18 et 45 ans. La femme en couple, en gros, ou en tout cas la femme en âge de procréer. Cette déformation quant à la restriction du sujet peut venir du fait que la femme est, aujourd’hui encore, considérée comme être humain, « utile » quand elle remplit sa fonction de procréation.

Et voilà comment on plonge dans la violence psychologique, dans la violence symbolique, qui est une forme de violence peu prise en compte. Les mots semblent avoir moins d’effet que les coups. Pas si sûr en fait. Il est vrai que quand on dit « violences faites aux femmes » on a cette image de femme au foyer avec un œil au beurre noir. En réalité les situations sont plus diverses et plus sournoises.

« Dans le cadre d’un projet avec UN Women nous avons voulu faire une étude plus poussée. Généralement on s’occupe de la femme pendant la période de procréation. On s’intéresse plutôt à cette catégorie d’âge et on oublie la catégorie des femmes entre 45 et 65 ans. Nous nous sommes posés la question de savoir si la femme était sujette à la violence quand elle entre dans l’âge de procréation en particulier ou au cours de toute sa vie ? C’est que dans les pays arabes on ne porte de l’intérêt aux femmes que comme outil de procréation finalement » explique Hédia Bel Haj Youssef, coordinatrice du programme « Violences fondées sur le genre » de CAWTAR.

Lors d’une rencontre organisée par le CAWTAR et UN Women, la semaine dernière à Tunis, les résultats d’une étude menée au Bahreïn, en Egypte et au Yemen ont été diffusés. Des résultats qui intéressent tout le monde arabe car ils sont représentatifs de la situation dans cette région du monde. Il s’agissait cette fois de s’intéresser à la femme de manière plus large : quand la femme sort de sa fonction reproductive ou quand elle n’y est pas encore rentrée, est-elle sujette aux violences ?

La réponse est positive pour Hédia Bel Haj Youssef. L’âge ne change rien, c’est la forme de violence qui change. « La femme subit la violence dés le début en fait. Elle doit nier son identité parce que la féminité fait peur à la société. Quand on entre en puberté, que l’on commence à pouvoir procréer, il y a cette possibilité de donner des naissances hors mariage et d’apporter le déshonneur sur la famille. Cette faculté de procréation de la femme fait peur. C’est là que l’on commence à contrôler son corps. On l’a prépare dés son jeune âge à être une femme pour se marier et avoir des enfants. La femme est contrôlée pendant toute sa vie et tout est fait pour contrôler sa sexualité. Elle est contrôlée par son père, par son frère, par son mari… »

Un jeu de possession qui marque l’identité de la femme en construction. En se basant sur une étude sur la situation des femmes en Tunisie, Dorra Mahfoudh Draoui, sociologue, rapporte que pour beaucoup de femmes la puberté est en fait le début des contraintes : les jeunes filles doivent avoir un comportement exemplaire, s’assurer de conserver leur virginité et certaines sont poussées à porter le voile.

« Cette époque est caractérisée par un sentiment de choc. Beaucoup de jeunes filles ont envie de fuir car elles ont du mal à faire face à la réalité. Beaucoup de filles parlent de cette époque comme d’un moment de doute, de peur avec beaucoup de pleurs. »

La puberté marque une étape dans la vie des jeunes filles. Elles entrent « socialement » dans la vie. La ménopause peut presque être vue comme la fin de cette vie. Quand la femme atteint ce stade elle est reléguée à un rôle étrange et la violence qui était physique se change en violence morale très forte : tu ne peux plus donner la vie, tu n’es plus femme, tu n’es plus rien.

« « Fais attention à tes vêtements ! Fais attention à ton genre ! Respecte toi !  Respecte tes enfants !» voilà ce que les femmes s’entendent dire, explique Hédia Bel Haj Youssef. Après 45 ans la femme est considérée comme mère ou comme une vielle femme. C’est péjoratif et restrictif : il n’y a pas d’alternative possible. »

« Après l’âge de la ménopause on a plus besoin de la femme qui n’a plus la fonction de procréer. Du coup on pourrait lui accorder la liberté de se mouvoir, de voyager. Mais c’est au prix de la négation de son identité parce qu’elle n’est plus considérée comme femme. Plus besoin d’avoir peur d’elle, ce n’est plus une femme, du coup il y a un problème d’identité très fort qui se pose. »

C’est une schizophrénie et un choc : parce qu’elles ne sont plus « utiles », parce qu’elles ne sont plus un danger pour l’honneur, les femmes pourraient se libérer.

Le féminité est rejetée quand elle est là et reniée quand la possibilité de reproduction disparaît. En fait la féminité et la fertilité sont considérées comme les deux faces d’une même pièce. Jihen Bouzid, chercheuse égyptienne témoigne très bien de ce problème : « Certains femmes interrogées durant l’étude expliquaient ne pas avoir dit à leur mari qu’elles étaient ménopausées de peur d’être rejetées. Cette fin de fertilité est perçue par beaucoup comme une fin de la féminité. Il ne reste donc rien à la femme. »

La femme se retrouve reléguée au second plan et réduite à un rôle biologique dans nos sociétés. Il y a d’ailleurs une différence dans la prise en considération des hommes et des femmes passer un certain âge. Il suffit de comparer la façon dont on traite les personnes veuves.

« On accepte que l’homme est une vie sexuelle à n’importe quel âge et on n’hésitera d’ailleurs pas à conseiller à un homme de 80 ans d’épouser une femme plus jeune que lui. Une femme, elle, ne sera jamais poussée à se reconstruire une vie maritale par exemple. »

Tout est dans la négation du corps, de ses besoins et de ses désirs.