Le congrès du parti majoritaire se termine sans en espérer une annonce spectaculaire indiquant que ses dirigeants ont eu la sagesse de tirer la leçon des quelques mois déjà passés à la tête de l’État. Aussi, avant de revenir par le menu, à sa clôture, sur ce que l’on pourrait retenir de ce non-événement pour le pays à travers ses motions et documents officiels, je me permets de continuer ici ce que j’ai commencé à la veille du congrès comme réflexions se voulant de bon sens.
Il faut dire qu’elles ne visent pas uniquement les politiques d’Ennahdha, s’adressant à toute l’élite du pays à la veille de décisions politiques majeures dans le cadre de la future constitution s’annonçant décisives pour l’avenir de la Tunisie.
Or, que pour pareilles décisions n’insultent pas l’avenir du pays, les partenaires d’EnNahdha dans la troïka, mais aussi les forces de l’opposition et de la société civile, doivent mettre la pression maximum afin de contrer toute dérive fondamentaliste, même si elle semble contrôlée, du parti de cheikh Ghannouchi.
Car, s’il est majoritaire aujourd’hui du fait des voix obtenues, ce dernier ne l’est certainement pas de manière systématique sur le plan des idées, de la justesse de la lecture qu’il fait du Coran et de son appréhension encore par trop traditionaliste de l’islam.
Pour commencer, et ceux qui me lisent régulièrement le savent parfaitement, je rappellerai juste que milite pour une autre façon de s’adonner à la politique en Tunisie qui fasse honneur à celui qui la pratique.
Ils savent aussi que je prétends que notre élite est atteinte d’Alzheimer. Et elle n’est pas la seule à l’être, au demeurant, ses semblables dans le monde étant à son image, quand ce n’est plutôt pas elle qui l’est, dans un mimétisme maladif de tout ce qui vient de l’étranger, occidental hier et oriental aujourd’hui, sans considération de ce que le supposé bas de soie d’importation qu’on admire peut cacher dans ses plis.
Cet Alzheimer politique se traduit notamment par une désorientation spatio-temporelle, une agitation récurrente et de l’agressivité accompagnée souvent par un langage aussi ordurier qu’inconscient.
Or, la plus novatrice des approches médicales de cette affection dite de l’oubli soutient aujourd’hui qu’il ne s’agit que d’une soi-disant maladie et conseille de ne plus la traiter avec des médicaments dont la seule conséquence est de faire entrer « dans le couloir de la mort » un pseudo-malade qui, possédant pourtant une réserve appréciable d’énergie avant le traitement chimique, va la perdre irrémédiablement.
Aussi, ils soutiennent que la meilleure prise en charge possible aujourd’hui est celle qui avait cours chez nos ancêtres, et qui — hélas ! — est de moins en moins prégnante dans nos sociétés préindustrielles, soit de laisser le malade vivre sa vie sans compliquer sa santé avec les effets indésirables des produits chimiques.
Ceux-ci ont, en effet, prouvé leur inutilité et même leur nocivité, leur seul intérêt demeurant le confort de l’entourage, moyennant un empoisonnement de leur malade à petit feu, sans parler de l’avantage certain retiré par l’industrie pharmaceutique.
Cette thérapie du cœur, ou selon mon néologisme « bécothérapie », je la préconise aussi en politique. Il ne s’agit plus de se haïr et chercher à se tuer les uns les autres, comme l’enseigne une conception dépassée de la politique, mais de cultiver le meilleur en nous, des sentiments d’amour, un amour de ce peuple que l’on est censé servir et qui commande de sacrifier notre ego à son bien suprême.
Et comme le peuple est divers et est parfois aux antipodes de nos valeurs, aussi, pareil effort commande qu’une fois élu et appelé à le servir, la femme ou l’homme politique doit se mettre à ses pieds et non s’élever au-dessus de lui, comme on le fait aujourd’hui, quitte à écraser une partie de ses masses au nom des intérêts d’une autre ou, tout simplement, pour le peu d’égards que l’on manifeste à ses revendications, e.g. ce qu’on a vu encore récemment avec les familles des expatriés disparus.
Servir en politique, aujourd’hui, doit s’entendre en une conception totale, holiste comme disent les sociologues, impliquant donc toutes les composantes du peuple. C’est ainsi que le vrai politique fera montre de son talent en réussissant à faire la synthèse des contradictions apparentes de son peuple; car la contradiction comme on la concevait avant notre ère postmoderne, c’est-à-dire l’opposition des contraires, n’existe plus, laissant place à une véritable complémentarité des contraires dans ce qu’on nomme une pensée contradictorielle.
Alors, comment communiquer avec nos adversaires et nos opposants politiques en ce monde qui est tout à la fois plus complexe qu’avant que moins compliqué, sa complexité relevant bien plus de la subtilité que de l’aporie ?
Avec le soi-disant malade classique d’Alzheimer, cela peut et doit se faire par tous moyens, notamment par des stimulations sensorielles : le toucher, la voix la plus chaleureuse dénuée de toute animosité et de toute arrière-pensée, avec un rythme lent, clair et sincère, la musique, les baisers, etc. En Alzheimer politique, l’équivalent est bien évidemment la sincérité et le discours qui ne trempent point dans la langue de bois si commune, la haine et la ruse.
Si la situation actuelle en notre pays doit nous affliger, ce n’est point pour le prétendu état de crise dans lequel il est, car c’est un état de renaissance et d’émancipation du peuple, et c’est un signe de santé annonçant l’avènement d’un ordre nouveau, un paradigme tout neuf !
Personnellement, elle m’afflige du fait que nos élites ne font pas l’effort nécessaire pour être à la hauteur d’une intelligence populaire qui a fait la preuve de son acuité et qui continue et continuera à damer le pion aux plus machiavéliques des politiciens.
Ceux, d’une part, qui prétendent ramener le peuple en arrière, osant tresser des louanges à un régime honni, définitivement répudié, et ceux, d’autre part, qui avancent masqués au nom d’une démocratie qu’ils taillent selon leur dogme, et se présentant comme un lit de Procuste ou un tonneau des Danaïdes pour les vraies valeurs démocratiques, y compris celles justement issues de ce dogme.
Car, ni le régime ancien, tel qu’en rêve toujours les nostalgiques de l’ordre d’avant le Coup du peuple, ni un régime théocratique, fondé sur un islam obscurantiste ou ayant de la nouvelle modernité une vision en clair-obscur, ne sauraient satisfaire les Tunisiens dans leur totalité. Et c’est une certitude, même si l’un ou l’autre projet peut trouver grâce aux yeux de certaines franges de ce peuple, notamment une partie trompée par la logomachie et le cynisme des professionnels de la politique à l’antique.
Je ne suis pas politicien, mais je prétends avoir le devoir et le droit, en observateur attentif des réalités de ma société, d’appeler la classe politique actuelle à plus de sérieux et à plus de dignité, l’invitant surtout à tenir le langage de la sincérité, qui est d’abord le langage d’une culture des vrais sentiments.
Et, au risque de les étonner, je leur dirais qu’il suffit de dire au peuple une seule phrase tout simplement pour qu’il se mette à les écouter, à condition bien sûr qu’elle soit véridique, partant du coeur, et donc suivie d’une action tout aussi imprégnée par ce qui constitue le meilleur en nous, une réelle empathie avec ce peuple.
Cette phrase est celle de l’authentique militant que fut le syndicaliste Farhat Hached et qui doit être non seulement le slogan mais la devise de toute action politique en notre Tunisie postrévolutionnaire.
Comment y procéder? Voici en une sorte de bréviaire en dix principes ce que je recommande à tout politique en quête du cœur du peuple. Ce sont les mêmes que l’on conseille aujourd’hui pour le soin de la soi-disant maladie d’Alzheimer.
Certes, le malade ici est bien l’élite et non le peuple; mais on s’adressera à la première comme si elle était saine devant soigner le second supposé malade, et ce par cette technique de jeu de rôles inversés bien connue en psychologie pour ses effets thérapeutiques.
Que les politiques tunisiens, et aujourd’hui ceux du parti dominant ne cachant pas ses ambitions d’islamisation du pays en son congrès historique, méditent donc ces principes comme autant de vérités tirées de la réalité du pays, cette centralité souterraine qui n’est pas nécessairement évidente à qui se laisse prendre par l’écume des apparences sans pouvoir aller en leur creux.
1. D’abord être conscient et sûr que chaque Tunisien est une personne unique devant être traitée en tant qu’individu ayant des droits, même si sa conception de ces droits se révèle excessive. C’est le rôle du politicien de lui expliquer cela et de se montrer assez clair et convaincant.
2. Chaque Tunisien est important, du grand notable au plus humble, qu’il soit dans le vrai ou désorienté par la vie, ses heurs et ses malheurs. Les égards du politique doivent d’ailleurs être inversement proportionnels à l’importance sociale de leur interlocuteur.
3. Il y a toujours une raison qui motive le comportement des personnes désorientées dans et par la société. Il ne suffit pas de dénoncer et de juger, mais de comprendre les causes et d’agir en vue de les éliminer. Ainsi, pour prendre deux exemples provocateurs, ce n’est pas parce que l’on a bu de l’alcool ou fait subir à quelqu’un des rapports sexuels non consentis que la faute vient de la consommation de l’alcool ou de la pratique sexuelle ! Elle réside plutôt dans notre discours moralisateur et nos lois pudibondes empêchant que l’alcool, s’il doit être ingurgité, le soit sans excès, d’une part, si l’on doit satisfaire sa pulsion sexuelle, qu’on le fasse avec le respect absolu de soi et du partenaire, d’autre part. C’est toute une révolution mentale qu’il nous faut faire au lieu de nous contenter de pousser des cris d’orfraie, car ce faisant, on se révèle encore plus coupable que les coupables. En effet, ceux-ci peuvent à la limite être considérés comme des victimes d’un état social ou moral, alors que nous, en notre qualité de responsables, on doit agir non en pyromanes, mais pompiers véritables, nous souciant de la cause du feu pour l’éteindre et empêcher qu’il reprenne.
4. Le comportement des jeunes n’est pas seulement lié aux modifications anatomiques de leur corps, tout comme celui des personnes âgées, n’est pas lié à des modifications du cerveau. De fait, dans un cas comme dans l’autre, le comportement humain reflète l’ensemble des changements physiques, sociaux et psychologiques que la personne a connus au cours de sa vie. Aussi, comme il faut que jeunesse se fasse, il faut que vieillesse passe, mais de la meilleure façon qui soit pour les deux âges, i.e. en permettant aux uns et aux autres de vivre pleinement leur vie et de s’épanouir afin d’être bien dans leur peau. C’est la sérénité qui fait la santé; or, parfois elle ne vient qu’après une période d’agitation, comme un balancier qui met du temps avant de trouver son équilibre.
5. On ne peut pas obliger un jeune à ne pas assumer ce qui fait partie de son développement normal, y compris ses pulsions sexuelles et son besoin d’action, tout comme on ne peut empêcher une personne âgée de modifier ses comportements construits durant toute sa vie. Certes, on peut essayer de le faire, mais on ne peut réussir à amener les intéressés à changer s’ils ne sont pas vraiment motivés pour cela. Sinon, c’est aller contre la nature et c’est construire de nos propres mains soit des robots soit des monstres. Or, ni les uns ni les autres ne forment de vrais citoyens libres et capables du meilleur pour leur pays!
6. Le Tunisien doit être accepté tel qu’il est et dans ses spécificités aussi variées que différentes, surtout parmi les plus jeunes, par essence ouverts au monde et riches de talents, d’envies et de rêves. Ainsi que le respect que l’on doit pour une personne âgée, ces jeunes doivent être acceptées sans jugement, avec leurs qualités et leurs défauts. On ne doit pas développer à leur égard la fameuse moraline religieuse nietzschéenne, qui — rappelons-le, encore une fois — est bien plus d’origine judéo-chrétienne que musulmane, l’islam étant, dans les choses du sexe, nettement plus en harmonie avec la nature humaine, nullement pudibond.
7. On sait que chaque âge a ses impératifs et ses implications; aussi, on doit accepter que des tâches soient associées à chaque étape de l’existence et aider à son sain développement. En effet, une tâche non accomplie engendre des manifestations psychologiques et peut induire de graves conséquences. Ainsi, pour la jeunesse, ses folies doivent être tolérées même si elles peuvent heurter une certaine morale rigoriste; l’expression populaire le dit bien : il faut jeter sa gourme.
8. Ce n’est pas parce que nos jeunes ne connaissent généralement pas leur glorieux passé et ne parlent pas correctement leur langue qu’il faille les forcer à le faire. En effet, il se passe avec eux le phénomène inverse qui arrive aux vieux. Ainsi, quand la mémoire des faits récents s’estompe chez les personnes âgées, elles essaient de retrouver leur équilibre en se retirant dans leurs souvenirs anciens. Pareillement, c’est parce que les jeunes sont rebutés par un passé mal présenté, assimilé à tort à la décadence actuelle, qu’ils s’en détournent. Il suffit d’agir sur notre présentation de ce passé, le valoriser intelligemment et sans le magistère de celui qui croit détenir la science infuse, pour que l’intérêt de ces jeunes pour la richesse infinie des valeurs du passé se réveille. Pour ce faire, il ne faut surtout pas oublier que l’époque postmoderne que nous vivons réhabilite les valeurs anciennes. Et, pour revenir aux vieux, il ne faut pas négliger non plus que si leur vue baisse et faiblit, ils utilisent les yeux de l’esprit pour voir; s’ils n’entendent plus correctement, ils écoutent les bruits de leur passé. Cela est d’ailleurs tout à fait vérifiable chez les aveugles qui développent des perceptions insoupçonnées. Or, notre jeunesse n’est ni sénile ni aveugle, elle est pleine de vie et de vitalité et donc, si elle présente des problèmes à l’élite qui prétend la commander, ce n’est pas pour une raison qui tient à elle, c’est uniquement pour l’incapacité de cette élite de savoir s’adresser à elle, lui parler, user des mots qui trouvent écho en elle. Car ce qui sort du coeur va droit au coeur; faut-il le rappeler?
9. C’est donc d’un problème de communication qu’est fait le drame de nos élites, d’un déficit de tact et de savoir-faire politique. Ils oublient, concentrés qu’ils sont sur leur nombril qu’ils prennent pour le centre du monde, que les sentiments douloureux diminuent s’ils sont exprimés, reconnus et validés par une personne digne de confiance qui sait écouter. Mais si ces mêmes sentiments douloureux sont ignorés ou niés, ils s’intensifient et versent dans l’agressivité et la violence. Encore une fois, il nous faut savoir, en tant qu’élites en charge de responsabilités éminentes, être justement responsables. Et la meilleure façon pour ce faire est, encore une fois, l’empathie réelle avec le peuple, celle qui consiste à faire de ses soucis les nôtres et de son réel notre quotidien propre.
10. C’est que l’empathie crée la confiance, réduit l’anxiété et restaure la dignité. Aussi, politiques de Tunisie, quel que soit votre bord, veillez à faire montre de moins de sympathie affichée à l’égard du peuple, une sympathie que vous entretenez et qui est une pure comédie, qu’à une réelle empathie. C’est certainement plus dur, mais c’est plus gratifiant. Et surtout plus sincère, faisant le vrai honneur du politique.
Je conseille nos politiciens de bien s’ouvrire sur les bibliothèques mondiales, de lire des livres, des variétés des livres, pour ne pas avoir la paresse intellectuelle. 1 livre/mois au moins. c’est un conseil à moi même et à notre jeunesse. Ben Ali harab. Mandhouj Tarek.
@l’auteur, bonjour,
vous appellez le congrés “d’annahdha”(parti “majoritaire” que vous insistez a méprisé et c’est 3ibe alik, pensez au moins à ceux et celles qui ont voter pour lui ), alors vous pensez que le premier congrés d’un parti ouvert aux publics et sans se cacher est un non-événement ? cachez votre joie cher monsieur, c’est cette mentalité qui vous discrédite et vous laisse à la marge de la société, tout on croyant être intelligent .
essayez d’être plus objectif, si c’est pas trop demander , on ne vote pas annahdha , mais les nahdhaouis sont des notre, si vous permettez aux autres d’être différant de vous .
Bonjour et merci pour votre message comportant une appréciation erronée que j’accepte volontiers si elle part d’un sentiment sincère.
En effet, si vous avez lu d’autres de mes contributions, vous auriez vu que suis loin d’être anti-EnNahdha que je veux créditer d’un rôle historique en Tunisie qu’elle est bien la seule actuellement sur la scène politique à réussir dans les meilleures conditions : un islam paisible et ouvert. Et si j’appelle à pareil islam, c’est justement parce que je crois qu’il faut toujours respecter tout le monde, surtout ceux qui sont différents de nous, majoritaires ou minoritaires dans le pays. Et c’est le respect de la dignité humaine qui le commande! D’ailleurs, dois-je le rappeler? le respect de l’autre est d’abord et déjà un respect de soi! Mais si on ne se respecte pas, forcément on ne respecte personne. Or, ce n’est nullement mon cas, cher Monsieur.
Aussi, en parlant de non-événement concernant le congrès, ce n’est pas lui dénier toute importance qu’il a forcément et évidemment. C’est juste regretter qu’il ne fut par encore plus important par rapport à ce qu’il aurait pu faire en prenant les décisions qu’attend le peuple, et non en tergiversant, remettant l’essentiel à deux ans et continuant à faire de la politique politicienne. Certes, cette politique semble lui réussir, mais elle ne trompe pas notre peuple bien plus intelligent que ne semble penser la quasi-majorité du parti, demeurant dogmatique et jusqu’au-boutiste. Ce n’est surtout pas manquer de respect aux congressistes que de leur tenir le langage de la vérité, la mienne certes, mais qui est issue de ce que je vois en notre pays. Car le véritable respect est là, dans la sincérité du propos et non dans la langue de bois. D’ailleurs, le fait d’être le premier parti en Tunisie impose lui-même le respect; toutefois, ce respect ne doit pas se transformer en arrogance, étant entendu qu’en démocratie, ce qu’a fait le peuple hier, il peut le défaire demain. Donc, il ne faut jamais perdre de vue les attentes du peuple.
Or, qu’a-t-il eu de qu’il attendait à ce congrès? Rien; car le congrès a été la célébration d’une victoire passée au moment où le peuple continue à souffrir et n’a pas le coeur à célébrer quoi que ce soit, à part évidemment la masse populaire qui a voté pour EnNahdha et qui, malgré tout, est loin d’être la majorité sociologique du pays, même si elle a donné au parti une majorité politique.
Ma sévérité à l’égard du parti de Rached Ghannouchi est à la mesure de mon respect pour ce dernier, puisque je le crois encore en mesure d’incarner le futur d’un islam tout à la fois pur et avancé sur son temps, postmoderne en un mot, comme j’aurai l’occasion d’en parler dans de prochaines contributions. Aussi, j’attends de lui, et tout le peuple pareillement, d’avoir une place dans l’histoire qui soit encore plus grande qu’elle ne l’est déjà. Et c’est donc, en quelque sorte, en petit frère qui se permet de tancer son grand frère chéri que je le fais, pensant qu’il se laisse aller par trop à la facilité en cédant aux délices de la politique politicienne. Certes, en cela, il ne fait que se conformer à la pratique généralisée; mais est-ce une raison pour ne pas lui dire, du fait de l’estime qu’on a pour lui justement : holà ! cela ne vous fait pas honneur et n’est pas à la hauteur de votre grande valeur. Car agir de la sorte revient à se rabaisser au niveau d’une médiocrité ambiante par trop envahissante.
À bon entendeur salut !
1. Comme toujours avec M. Othman le discours est passionné et généreux mais les jugements un peu trop définitifs et les certitudes bien plus nombreuses que les hypothèses et les interrogations. La baguette magique n’est jamais trop loin, elle s’appelle tantôt la postmodernité (avec l’islam comme champ d’application privilégié), tantôt la liberté (celle de faire ce qu’on veut avec qui on veut pour peu qu’il y ait consentement mutuel). Ici elle s’appelle “la thérapie du coeur” c’est-à-dire “l’amour du peuple que l’on est censé servir”.
2. Cet amour du peuple trouve sa traduction selon l’auteur dans le fait que “L’homme politique doit se mettre [à ses pieds] et non s’élever au-dessus de lui” . Pourquoi le politique n’a-t-il le choix qu’entre le mépris du peuple et la servitude vis-à-vis de lui ? Cette religion de Dieu-le-peuple n’a-t-elle pas montré sa nocivité dans le passé, lorsque des idéalistes, des démocrates radicaux, qui s’appelaient Robespierre, Saint Just, Lénine, Mao,ou … Kaddafi voulaient “donner le pouvoir au peuple” et qu’ils ont fini par produire des systèmes dont le premier exclu et la première victime était précisément ce dernier.
3. A propos du peuple, il convient , me semble-t-il, de se souvenir que c’est une entité abstraite et que ce qui existe concrètement ce sont “les gens”, ces êtres en chair et en os “qui se nourrissent et circulent dans les marchés” selon la belle expression du Saint Coran. Le politique, nous en sommes d’accord, doit être au service de ces “gens” et même les aimer, mais il n’y a malheureusement aucune garantie ni pourqu’il en soit ainsi pour tous les politiques ni même que ce soit les plus compétents et les plus sincères qui soient choisis par les gens pour les servir. La manipulation, la puissance de l’argent, et bien d’autres outils aussi pervers les uns que les autres seront toujours là pour tromper les gens avec, malheureusement, des chances de succès non négligeables.
4. Au sujet des relations entre les élites et le peuple, M. Othman, somme les premières de faire preuve d’une “emptahie réelle” avec le second. L’empathie étant “la faculté de se mettre à la place d’autrui, de percevoir ce qu’il ressent” (Larousse) cela suppose donc que les élites et le peuple sont deux entités différentes. Le problème ne réside-t-il pas précisément dans cette conception d’une élite séparée du peuple ? Les élites, les vraies, sont-elles autre chose que les éléments les plus avancés du peuple? Si, comme nous le croyons, il s’agit là, à la fois de la bonne définition des élites et de leur raison d’être, il devient inutile d’appeler ces dernières à se rapprocher du peuple, puisque par définition elles en sont issus et condamnés à en être solidaires.
5. M. Othmane évoque la postmodernité pour nous dire que “La contradiction comme on la concevait […], c’est-à-dire l’opposition des contraires, n’existe plus, laissant place à une véritable complémentarité des contraires dans ce qu’on nomme une pensée contradictorielle.” Cette affirmation est-elle vraiment postmoderne ? N’est-on pas plutôt en plein dans la pré-modernité, c’est à dire dans une conception qui nie l’importance de la compétition (en politique comme en économie) donc de la contradiction ?
6. La grande civilisation arabo-musulmane doit au contraire découvrir l’importance de la contradiction comme moteur du progrès et sortir d’une idée fausse selon laquelle le besoin, réel, d’une union sacrée exclut cette dernière. C’est d’une gestion intelligente de “l’opposition des contraires” que nous avons besoin aujourd’hui.
7. Il y aurait beaucoup d’autres choses à dire, sur la lecture que M. Othman fait de l’oeuvre du grand syndicaliste et martyr Farhat Hached, sur son analyse du congrès d’Ennahdha, sur la lecture postmoderne de l’islam qu’il propose, sur cette explication curieuse qu’il donne des “actes sexuels non consentis” et sur bien d’autres choses qu’il défend avec talent dans cet article comme dans ses autres écrits.
8. Il y aurait, dis-je, bien d’autres choses à dire, mais restons-en là. Contentons-nous de ces quelques remarques que nous avons cru devoir faire à la lecture d’un article riche et écrit avec passion. Ces remarques soulèvent des désaccords que nous avons avec l’auteur, mais peut-être est-ce lui qui a raison ! peut-être l’avons-nous mal lu ! Comme disaient nos pieux ancètres, “Dieu est plus savant”.
Merci cher Monsieur de m’avoir lu et d’avoir pris de votre temps pour commenter certains de mes propos. Juste avant de reprendre en vrac vos points pour y apporter moins des réponses que quelques éléments de réponse et sans nécessairement suivre de près le développement de votre raisonnement, permettez-moi de rappeler ce que je disais à une aimable correspondante ici, à l’occasion d’une autre correspondance, à savoir que mes articles forment un tout, se complétant les uns les autres. J’ai alors évoqué le boléro de Ravel pour dire que certaines des questions qu’on peut se poser à l’occasion d’un article trouvent leurs réponses exposées dans un autre. C’est donc une même note (ou quelques principes directeurs) qui se répète en quelque sorte en se modulant différemment. Je pourrais aussi prendre l’image de la poupée gigogne.
1- Vous trouvez mon discours passionné et généreux, et je vous en remercie. Pour les jugements un peu trop définitifs et les certitudes bien plus nombreuses que les hypothèses et les interrogations, à supposer que cela soit vrai, n’est-ce pas par pure méthodologie pour se mettre au diapason du discours de l’élite critiquée qui procède par affirmations, et chez certains par vérité divine? Sinon, j’ai assez répété dans mes contributions que la vérité n’appartient à personne pour avoir à justifier que ce que vous prenez pour des certitudes sont les hypothèses les plus plausibles et les plus crédibles sociologiquement. Elles ne sont surtout pas des vérités figées, sacrées en quelque sorte selon la conception consacrée et qui est fausse, par ailleurs.
2 – Je ne suis pas pour le peuple déifié, je suis pour une loi des frères où il n’y a aucune autorité surplombante. Sinon, vos exemples contredisent vos propos puisque les personnages que vous citez n’ont jamais été de démocrates ou alors n’ayant eu que la prétention et/ou l’apparence; car, au vrai, ils ont été justement des divinités humaines. Il ne s’agit pas de donner un quelconque pouvoir au peuple, car le peuple est déjà le pouvoir ou plus exactement la puissance, étant sa source première. Il s’agit de reconnaître cette puissance et de faire avec et ce au mieux. L’ère des foules que nous vivons le démontre assez.
3 – Bien évidemment que le peuple est une abstraction, et si je l’utilise, c’est par commodité, sinon, j’entends parfaitement par peuple les créatures de chair et d’os dont le coran a parfaitement si bien parlé comme vous le rappelez à juste titre. C’est à ce peuple des مستضعفين que doit penser le politique qui en est issu en s’y mêlant et non pas en s’en éloignant dans ses voitures de fonctions et ses bureaux climatisés. Ne doit-il pas se souvenir de ce que disait le calife Omar sur les maisons des responsables devant rester ouvertes et même sans porte? C’est à cet exemple d’Omar, entre autres, que se réfère ma politique compréhensive.
Par ailleurs, je ne partage pas votre fatalisme sur les mécanismes de corruption inhérents à la politique. Certes, ils existeront toujours, c’est ce qu’on appelle par ce doux euphémisme de bavure. Mais l’honneur du vrai politique dans une vraie démocratie, donc le politique compréhensif, c’est de rester toujours vigilant et de lutter contre toute dérive. Or cette dernière n’excuse point qu’on ne lutte pas contre elle par la multiplication des mécanismes de veille. Prenons un exemple concret que je vous livre puisque vous ne semblez pas être loin du pouvoir, que vous pourrez ainsi conseiller utilement : on a intérêt à rationaliser la fonction de citoyen superviseur المواطن الرقيب qui existe et qui, pour peu qu’on la rende efficiente en la dotant de moyens et d’indépendance réelle, pourrait être encore plus utile qu’une cour des comptes dans une démocratie. Moi, il m’arrive de m’adonner à pareil rôle par pur jeu démocratique dans nos administrations, et je vois le résultat immédiat ! À bon entendeur…
4 – Vous vous référez au Larousse pour la définition de l’empathie et me référant, quant à moi, à nos dictionnaires arabes, je vous dirais que l’empathie est surtout معرفة الغير. Or, d’abord, l’autre ce n’est que soi-même, et ensuite sa connaissance (con-naissance) est une naissance avec lui, à ses préoccupations. Vous voyez donc que je ne distingue pas au vrai entre l’élite et le peuple. Car, si l’élite est التخبة، الخيرة، زهرة وصفوة المجتمع, il lui arrive de l’oublier comme vous-même oubliez ce que vous disiez au peu avant, à savoir la faiblesse de la nature humaine et les tentations du pouvoir. Donc, si les élites sont bien issues du peuple, et elles le sont, leur état d’élite leur fait oublier leur origine, quand il ne leur fait carrément oublier leur nature; cela s’appelle vulgairement “retourner sa veste” ou “changer de peau”. Dans la politique compréhensive à laquelle j’appelle, l’élite et le peuple ne font qu’un corps, car tout le peuple est appelé à devenir une élite et toute l’élite demeure le peuple et doit le rester. Dans l’attente de cette solidarité réelle, on ne peut fermer les yeux sur la réalité actuelle de séparation et d’opposition. D’ailleurs, il faut dire ici que c’est même une loi sociologique bien établie qui relève que toute structure, y compris cette structure informelle qu’est l’élite, est appelée à se détourner de ses fondements et ses valeurs premières si cela est de nature à assurer sa pérennité.
5 – À propos de fatalisme auquel vous semblez vous laisser aller, il est peut-être religieux (et encore dans une fausse conception), mais il n’est pas politique; car la politique vraie est l’art de faire possible l’impossible. Puis, votre conception religieuse, et permettez-moi de vous le dire sans méchanceté, n’est pas véritablement islamique, car notre religion est, dans le même temps, une foi et une action dans la cité (une politique donc) et cette action obéit à la règle majeure que tout est possible si on est vraiment vertueux, car (et je traduis librement en une maxime pour les politiques, et vous en êtes, peut-être, cher Monsieur qui me faite l’honneur de me commenter) تعلق همة بني آدم بما وراء العرش هو نيله
Il ne suffit pas de se dire solidaire pour que le slogan soit réalité. Il faut l’être dans son action de tous les jours, et je dirais même et d’abord, en conformité avec notre foi, notre intention première, nos plus secrètes pensées, notre intimité. Aussi, pour être bref, on ne s’improvise pas politique vrai (je dis moi compréhensif), on le devient en l’apprenant dans la rue avec ce peuple que vous avez justement bien spécifié au début de votre article, et c’est bien ma conception. Il suffit de me lire dans toutes mes contributions qui se complètent, sinon, vous ferez comme l’impie qui s’arrête à ويل للمصلين
6 – La civilisation arabe musulmane a montré déjà sa modernité avant la lettre (sa rétromodernité, selon moi) et elle est appelée aujourd’hui à être toujours en avance sur son temps et au moins de son temps. Or, on est en ère postmoderne qui est la faillite des grands discours fondateurs de la modernité technologique et la réhabilitation des valeurs anciennes. C’est, autrement, être en harmonie avec son temps et son milieu, accepter la vie telle qu’elle est et la vivre au présent. Qu’il y ait maintenant contradiction dans la complémentarité des contraires ou dans l’opposition de ces contraires pour booster le progrès (la progressivité, je dirais moi), cela revient au même, puisque c’est le but et le résultat qui compte en postmodernité, du moment qu’on s’accepte comme on est, en assumant son état avec ses forces et ses faiblesses et en étant bien en harmonie avec son environnement. Aussi, la gestion intelligente dont vous parlez et qui est une gestion des contraires qui se complètent et avancent ou des contraires qui s’opposent mais avancent quand même, c’est blanc bonnet et bonnet blanc. Car ce qui compte dans la pensée contradictorielle excluant l’opposition, c’est moins l’opposition elle-même que la progressivité de la pensée. N’oubliez pas qu’il s’agit de façon postmoderne de penser et non de la façon moderne devant se plier au cartésianisme et aux implications du cogito.
7 – Je m’étendrai plus dans des articles à venir sur la postmodernité et l’islam postmoderne. Je dirais juste ici que la postmodernité suppose un retour non pas à la prémodernité mais aux valeurs traditionnelles. Si vous qualifiez ce qu’on appelle la pensée contradictorielle, soit la complémentarité des contraires, comme une prémodernité, vous y mettrez fatalement la foi et la religion, la nôtre comprise. Ce n’est pas ma conception, car l’islam a été moderne avant la lettre, rétromoderne, disais-je. Aussi, aujourd’hui, il ne peut être moderne, puisque il l’a déjà été, d’une part, et car la modernité est morte, d’autre part. Il ne peut donc être que postmoderne, ce qui veut dire qu’il reste toujours en avance sur son temps. Je suis heureux de vous voir vous reprendre dans le point suivant, admettant la nécessité d’une gestion intelligente de l’opposition des contraires. Ainsi, et vous ne le réalisez, vous faites de la pensée contradictorielle comme le héros de Molière fait de la prose sans le savoir !
Cette pensée se retrouve d’ailleurs dans votre conclusion qui efface les approximations du début de l’article et ses silences. Bien évidemment, je ne prétends pas détenir la vérité car elle ne se possède pas, je l’écris d’ailleurs ainsi (vers-ité), soit cet horizon vers lequel il faut tendre. L’essentiel est d’être bien orienté, peut importe le cheminement et les embûches du terrain. C’est ainsi que j’interprète votre chute finale : “Dieu est plus savant”, mais non pas au sens d’abandon de tout effort de recherche, plutôt dans celui de ne jamais cesser de chercher, de ne jamais s’arrêter de tenter d’atteindre cet horizon même si l’on sait par définition qu’il est inatteignable. C’est la condition même de l’homme, cette tension permanente vers l’idéal tout en sachant rester dans le réel pour le féconder par nos efforts. Et c’est tout simplement être musulman, soumis à la providence, mais agissant pour le meilleur d’autrui qui est aussi le meilleur que l’on veut pour soi dans un effort qui est toujours gratifiant, car (et je reproduis encore librement la tradition avéré) .الأجر مضمون لمن اجتهد ولم يصب Or, ce n’est là qu’un des aspects de l’islam postmoderne où agir et se tromper, c’est toujours agir utilement, étant donné que tout comme l’utilité de l’utile bien connue, il est une utilité inconnue de l’inutile!
8 – Encore un merci pour le talent que vous me trouvez à parler de certaines choses et la richesse et la passion que vous relevez dans mes propos. C’est juste de la sincérité à traduire ce que la majorité du peuple sent et ressent. S’il y a de l’éloquence, le mérite est à attribuer à ce peuple et à sa manière de vivre sa condition, une manière que je qualifie d’esthétique au sens étymologique du terme qui veut dire sensibilité, sensation. C’est pourquoi mon corégionnaire Farhat Hached a osé lui clamer sa flamme, le connaissant dans l’âme. J’ose juste espérer marcher sur les pas de celui dont je porte en plus le prénom.
Oui, nos désaccords sont et doivent être nos richesses. Aussi, je vous remercie, cher Monsieur, de m’avoir donné l’occasion de cet échange qui, je présume, aura bien des suites, d’une manière ou d’une autre.
Un dernier mot, cher Monsieur, en m’excusant d’avoir été long, votre compagnie étant agréable, et m’ayant permis de clarifier un peu plus ma pensée. Aussi, je dirais, pour terminer, que si je vous semble pointer les maux de notre société, je ne crois pas moins qu’ils sont moins des maux qu’une santé insolente juste mal traduite pas des mots compris par tous, comme cette personne ayant la soi-disant maladie d’Alzheimer qui, malgré ses problèmes cognitifs, gardera sa réserve de vitalité intacte tant qu’on ne la fera pas entrer dans le couloir de la mort en pensant lui faire du bien en l’empoisonnant avec le traitement chimique. Car, et je l’ai dit au ministre de la Santé ici même et dans un courrier direct, ce qu’on appelle maladie d’Alzheimer est un mythe, et l’expression n’est pas de moi, elle est de la plus grande sommité américaine en la matière (cf. Whitehouse et George : Le mythe de la maladie d’Alzheimer. Ce qu’on ne vous dit pas sur ce diagnostic tant redouté).
Cher Monsieur,
à mon tour de vous remercier pour le temps que vous avez consacré à la lecture et à la critique de mes remarques. Ce début de débat aura, je n’en doute pas, une suite, puisque parmi les sujets qui vous préoccupent il y en a au moins un qui me semble essentiel et sur lequel je vous lis avec intérêt tout en ayant des déssaccords profonds avec vous, je veux parler du rapport de la postmodernité et de l’islam.
Une série d’articles sur Nawaat, dont le plus prochain normalement, sera justement consacrée à l’islam postmoderne, avenir de l’islam qui sera spirituel ou ne sera plus lui-même. Au plaisir de vous lire!