Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Alors que plusieurs clivages sont apparus au sein du paysage politique tunisien après le 14 janvier (je n’ose plus utiliser le mot Révolution au vu de toutes les turpitudes que connaît le pays), il y en a un qui a été plus ou moins occulté, ou du moins mis en sourdine alors qu’à mon sens il peut offrir une grille de lecture assez pertinente et jeter la lumière sur un certain nombre d’évènements. On a beaucoup disserté sur le clivage laïcité – islamisme, le clivage identitaire (francophile versus tenants de l’identité arabo-musulmane), progressiste versus conservatisme social, une certaine autonomie versus un modèle jacobin d’Etat fort et centralisé, libéralisme économique versus socialisme et plus d’interventionnisme étatique pour une redistribution plus équitable des richesses. Certains de ces clivages ont été sur-médiatisés, d’autres ont été artificiellement gonflés et une troisième catégorie ignorée ou sciemment négligée malgré son importance (notamment les enjeux socio-économiques, l’égalité des chances et la justice sociale, sujets sur lesquels aussi bien les partis de la troika que ceux de l’opposition se sont souvent limités a des déclarations de bonnes intention et des généralités ne correspondant à aucune mesure concrète au risque de tomber dans la démagogie et de friser la banalité).

Les déboires récents de Ayoub Massoudi dans le procès qui l’oppose à l’institution militaire est symptômatique d’un autre clivage qui a été jusque-là mis en sourdine : le conflit de générations. Au-delà des subtilités juridique dont j’ignore profondément les arcanes, on est en face d’un affrontement larvé entre deux générations. D’une part, la vieille garde qui essaie de garder les manettes et de jouer sur l’autorité morale et politique qu’elle prétend avoir eu égard à son expérience et à son histoire (le fameux argument fourre-tout de prestige de l’Etat : Haybet Daoula). De l’autre, une génération de jeunes assoiffés de liberté et de démocratie qui veut chambouler les règles du jeu, partant du principe qu’une Révolution ne se contruit pas sur des ravalement de façade des vestiges de l’ancien modèle, mais exige plutôt une refonte totale des paradigmes politiques, sociaux, économiques voire même mentaux. Si l’on fait abstraction appartenances politiques de chacun, on retrouve chez les ‘vieux’ toutes tendances confondues, les mêmes comportements et les mêmes réflexes hautains et refusant de rendre des comptes. Qu’il s’appelle Rached Ghannouchi, BCE, Marzouki, MBJ ou Rachid Ammar, le tenant de cette ‘ecole’ aura tendance à tout justifier par son passé glorieux et ses sacrifices pour la patrie (chacun ayant son argument de vente : droits de l’homme pour Marzouki, modernisme pour MBJ, avoir subi de plein fouet la répression féroce de Ben Ali pour Ghannouchi and co, être le représentant exclusif du Bourguibisme et seul rempart efficace et légitime contre le danger rampant des islamistes pour BCE, rôle positif présumé de l’armée dans le départ de Zaba pour Rachid Ammar etc…). Il s’agit pour cette génération de justifier tous les égarements actuels dont ils sont actuellement du moins en partie (ne serait-ce que par leur passivité) complices, par cet espèce de blanc-seing que leur accorde leur passé ou leur appartenance a une caste ou une secte politique donnée. Ils considèrent que cette appartenance leur donne de facto une légitimité et une autorité qui coule de source et les positionne ainsi sur un nuage au-dessus de tout reproche quels que soient leurs méfaits ou les conséquences de leurs actes dans la gestion du pays. Ils font tout pour s’entourer d’une espèce d’aura sacrée (Wahra) qui leur sert de justificatif face à toute critique qu’elle soit fondée ou pas. De l’autre côté de la barre, on voit des jeunes qui s’agitent tous les jours faisant feu de tout bois, pour remuer la fourmillière et instaurer de nouvelles règles du jeu plus adaptés à un contexte post-révolutionnaire : rien n’est sacré, tout personnage public s’expose à la critique, tout doit être mis en oeuvre pour exercer le droit et le devoir de chaque citoyen : vigilance et esprit critique. Evidemment cette conception des choses n’est pas pour plaire à la vieille garde des ‘aparatchiks’ (même Marzouki et MBJ ont fini par se couler dans le moule) puisqu’il constitue un défi permanent a la place de leader qu’ils prétedent occuper. Pour citer quelques noms dans la catégorie qu’on pourrait désigner par ‘les jeunes rebelles révolutionnaires’, il y a par exemple le blogueur Yassine Ayari (indépendamment de ses ‘lubies’ facebookiennes il est resté fidèle a ses principes en termes d’idéaux révolutionnaires tels que le soutien aux familles des martyrs, aux régions défavorisées dans sa lutte contre la nomenklatura sahelienne et tunisoise etc…), il y a également Ayoub Massoudi et Samir Feriani qui ont payé (et continuent à le faire) le prix fort pour leur engagemenet et leur militantisme.

A mon avis, ce combat qui transcende souvent l’appartenance partisane, est loin d’être termine entre une génération dont la moyenne d’âge est de 70 ans et qui se croit infaillible, omnisciente et omnipotente et une génération de 30-40 ans qui pense avoir joué un rôle moteur et décisif dans le déclenchement et l’évolution des évènements du 17 Décembre – 14 Janvier et même au-delà (Kasbah 1 et 2 notamment), et comme corollaire pouvoir légitimement faire entre sa vois et peser sur les orientations de la Tunisie d’aujourdh’hui. Pour ma part, c’est l’issue de ce combat de longue haleine qui va être déterminante pour l’avenir du pays et sur le succès ou l’échec du processus…Il y a clairement un choix à faire, le mien est déja fait !