Siège social du groupe Dar Assabah

Article rédigé en collaboration avec Malek Khadhraoui

Dans un précèdent article sur la situation de Dar Assabah nous nous interrogions sur les raisons qui ont pu pousser le gouvernement à limoger Kamel Samari et à fermer les yeux sur la gestion financière de Dar Assabah. Dans la deuxième partie de l’enquête nous nous attachons à mettre en lumière la situation financière de Dar Assabah et l’immobilisme du premier ministère.

Dar Assabah, une affaire d’argent ? Oui mais pas seulement. En arrivant à la tête de la maison en novembre 2012 Kamel Samari trouve un déficit d’un million de dinars. Lui qui pensait venir faire de la déontologie se retrouve à demander au procureur de la république de nommer un expert comptable pour mettre les comptes à plat.

En plus des dettes cumulées depuis l’an 2000, un redressement fiscal et le non règlement de la taxe professionnelle depuis des années équivalent à 134 000 dinars, des détournements en tout genre grèvent les comptes.

Ainsi le comptable a trouvé qu’une société au nom de Vénus a été vendue au dinar symbolique en 2007. Le fisc a finit par s’y intéresser, jugeant que la vente était douteuse. Il demande ainsi à Dar Assabah (DA) un redressement de 90 000 dinars pour la plus value.

Le comptable a trouvé dans les factures de DA un séchoir facturé au prix de 350 000 dinars pour la société Défi, de Raouf Cheikhourou. A l’époque il possédait le magazine L’Expression et le séchoir devait servir à faire la couverture du mag. Mais ce n’est pas tout. Concernant la société Défi les employés étaient payés par DA.

Dar Assabah payait également les factures d’eau et d’électricité privée des actionnaires et de la direction de DA.

Par ailleurs Dar Assabah possède un immeuble avenue Jean Jaurés, d’une superficie de 1300 m2 équivalant à 5 millions de dinars. Et il s’avère que Raouf Cheikhourou détenait les clefs. En 1993 le Président du Conseil d’Administration lui aurait loué le local. Mais impossible de trouver le PV du CA attestant d’un tel fait. Depuis l’entrée dans les murs M. Cheikhourou ne s’est jamais acquitté du loyer dû. Dar Assabah continuait tout de même de payer les factures d’eau et d’électricité de l’immeuble. Cette affaire est aujourd’hui devant la justice.

Enfin Dar Assabah possède un autre immeuble, à côté de son siège, qui était loué au premier ministère. Depuis le mois de janvier 2012 aucun loyer n’a été réglé. Ceci dans une volonté d’asphyxie de Dar Assabah de la part des services administratif du premier ministère, d’après M. Samari. La somme dû s’élève à 450 000 dinars. Le premier ministère a depuis quitté les locaux, après avoir mis des mois à rendre les clefs.

Autre source de détournement, la vente des chutes des rouleaux de papier. En effet, en faisant une enquête interne, Kamel Samari découvre que les chutes n’étaient pas revendues par la maison mais par et au profit de Raouf Cheikhourou. Un détournement qui avoisinait les 250 000 dinars par an. Un employé aurait confié à M. Samari, avoir été chargé de déposer personnellement des sacs d’argent liquide au domicile de Raouf Cheikhourou.

Ce qui finalement mis bout à bout purge les comptes de DA. Au départ de Kamel Samari, les comptes de l’entreprise n’affichaient plus qu’un déficit de 750 000 dinars. Mais si on retire de ceux-ci les 450 000 dinars de loyer dû par le Premier ministère et les 250 000 dinars détournés pour le papier invendu et les différentes factures injustement réglées par la maison mère alors les comptes devraient s’équilibrer.

Kamel Samari, ex-Directeur Général de Dar Assabah. Photo via Leaders.com

Et c’est ce à quoi Kamel Samari travaillait. Mais si, selon lui, il a été écarté et sa demande à Hamadi Jebali de ne pas laisser couler l’institution Dar Assabah n’a pas été entendue c’est qu’un jeu d’intérêts financiers et politiques est en train de se nouer entre les frères Cheikhourou et le gouvernement.

En effet contrairement à ce que nous avons écrit dans l’article Coup d’Etat à la tête de Dar Assabah du 22 août dernier il n’a pas été prouvé que Moncef Cheikhourou ait été obligé de vendre ses parts à Sakhr Materi. En fait on peut même penser que Moncef a vendu les quelques 23 000 actions qu’il possédait, pour prés de deux millions de dinars à Sakhr Materi, de son plein grès et à l’insu de son frère Raouf. Moncef n’aurait conservé, suite à cette opération, que 7 actions. Le contrat de vente est d’ailleurs resté sur l’ordinateur que Kamel Samari a trouvé en arrivant. Une rivalité serait née entre les frères du fait de ce coup fait par Moncef.

Pour Kamel Samari tout est clair : les frères Cheikhourou veulent voir couler la maison pour la racheter au dinar symbolique. Raouf n’a que 20% des parts, son frère Moncef ne possède plus que 7 actions. Et cette théorie peut être étayée par le dernier rebondissement dans l’affaire Dar Assabah : la publication d’un communiqué dans le journal Chourouk d’hier parlant de la mauvaise situation financière de Dar Assabah. Un communiqué que Lotfi Touati n’a pas pu publier dans Assabah et Le Temps. Les employés ayant refusé cette distorsion de la vérité. Ils doivent publier aujourd’hui un communiqué rapportant la réalité de la situation financière de DA.

L’affaire Dar Assabah est une affaire d’argent : mauvaise gestion, détournement et abus de biens sociaux, mais au delà des comptes c’est l’aspect politique qui prend le dessus.

Tout porte à croire que le premier ministère a couvert les irrégularités financières de la maison sans, à aucun moment, intervenir pour protéger les intérêts de l’Etat, préférant tourner la situation à son avantage. Une stratégie qui sied parfaitement à l’ambition des frères Cheikhourou de récupérer Dar Assabah au plus bas prix.

Cette communauté d’intérêts bénéficierait à tous : le gouvernement s’assure le contrôle d’une maison de presse qui pèse sur le paysage médiatique national, spécialement dans une période préélectorale difficile pour le parti leader de la coalition au pouvoir et à la tête du premier ministère ; les frères Cheikhourou misent eux, à moyen terme, sur un rachat au plus bas prix de la maison familiale, tout en se protégeant contre les risques d’éventuelles poursuites en justice.

NDLR : Nawaat a, encore une fois, envoyé un fax au conseiller du Premier ministre. Il est resté sans réponse.

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