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Cher Charb,

Le petit succès facile de la fausse lettre ouverte de défense que vous avait envoyée Lina Dafour sur le site Nawaat, faisant référence à une lettre d’Olfa Riahi ainsi que les déclarations que vous avez faites au journal Le Monde d’aujourd’hui, m’ont fait réfléchir sur votre personne.

La lettre ouverte m’a parue être de mauvais gout et exagérément irrespectueuse envers les valeurs de liberté que vous défendez.

Elle vous peint entre autres comme un personnage Houelbecquien insignifiant, tellement fasciné par un monde musulman terroriste qu’il décide de trouver le sens de son existence dans la critique radicale de cette religion autoritaire.

J’aimerai vous défendre sérieusement, cher Charb, car vous me semblez vraiment être un artiste intègre et l’un des derniers représentants de la liberté d’expression.

Je vous défends car vous êtes tellement radical que vous nous sortez, avec le même sang froid, à chaque fois que des menaces planent sur votre journal, tel un distributeur automatique, le même argument central qui structure votre système de pensée inébranlable.

Cet argument, je l’attendais et vous n’avez pas hésité à le balancer au Monde d’aujourd’hui : « Je n’ai pas l’impression d’égorger quelqu’un avec un feutre. Je ne mets pas de vies en danger. Quand les activistes ont besoin d’un prétexte pour justifier leur violence, ils le trouvent toujours.”.

Je savoure à chaque fois la subtilité de cet argument sensé montrer l’aspect complexe, à la fois inoffensif et subversif de votre respectable travail.

Aucune concession, cher Charb. Vous ne croyez pas au traitement des sujets au cas par cas, lorsqu’il s’agit de liberté d’expression, votre Dieu, si je puis m’exprimer ainsi.

Oui, effectivement vous n’égorgez personne avec votre feutre. Le feutre, c’est fait pour dessiner sur du papier. Ce n’est pas un couteau qui pourrait tuer des gens. Mais bien sur que ce que vous dites est d’une intelligence métaphorique rare. Comment le nier ?

Il y a un sens caché derrière cette formule : vous dites cela pour montrer que le feutre utilisé contre les cons peut être une arme aussi performante qu’un couteau. Il est performant symboliquement mais il ne tue pas comme les cons qui ont des couteaux. Et puisqu’il y tellement de réactions violentes à vos petits dessins, vous vous sentez à chaque fois bluffé par cet aspect fascinant du feutre.

Un aspect qui peut tellement déranger les cons qu’ils en deviennent agressifs. Alors vous ne pouvez vous empêcher de clamer haut et fort dans tous les micros que les journalistes vous tendent, que vous adorez ce que vous faites et que vous n’accepterez jamais aucune concession aux cons qui veulent effacer vos dessins (ou vous égorger).

Oui, cher Charb, vous utilisez toujours le même argument et vous ne faites jamais de cas par cas lorsqu’il s’agit de produire une réflexion, justement parce que votre métier est la caricature, l’art d’exagérer les défauts.

Quel beau métier que celui dessinateur de caricatures ! Il vous permet vraiment de voir la vie d’une manière tellement simple ! Il permet d’appréhender le monde qui vous entoure avec une vision tellement saine ! Il permet d’analyser l’histoire des civilisations d’une façon tellement claire !

Ce qui me pousse à vous défendre sérieusement, c’est que vous ne risquez jamais de vous perdre dans des ratiocinations intellectuelles vaines ou dans un regard dialectique sur les faits sociopolitiques qui vous entourent.

A quoi bon se casser la tête lorsqu’on a cet extraordinaire outil critique qu’est le dessin de caricature pour s’exprimer sur des trucs super compliqués ? Votre esprit obsédé par une volonté de tout caricaturer, vous fait voir les choses avec une netteté, une clairvoyance que vous traduisez instantanément dans vos dessins pour fustiger les méchants.

Et si l’on vous interroge sur « un dérapage » que vous aurez commis ou sur une quelconque surenchère gratuite, vous nous sortez cet argument inattaquable et tellement apprécié par les esprits libres qui vous lisent, celui du feutre considéré comme arme de défense contre les cons égorgeurs.

Et d’ailleurs, pour pouvoir éviter de faire cet humour d’actualité que nous aimons tant vous voir produire avec votre feutre, il aurait fallu que vous lisiez des livres compliqués.

Vous voyez, pas seulement des dessins de Wolinski, des bandes dessinées ou des ketches de Pierre Desproges. Je parle de livres genre philosophie, analyse géopolitique, sociologie, anthropologie, histoire ou alors les grands auteurs mondiaux.

Tous ces livres, lus attentivement, apprendraient sans doute aux plus rustres, à ne plus remâcher la même rengaine à chaque fois qu’ils commencent à avoir leur quart d’heure de célébrité, dans des sujets qui les dépassent.

Non, vous, vous n’avez pas besoin de toutes ces futilités intellos qui vous donneraient une vision précises sur les thèmes chauds que vous aimez traiter, dont fait partie la réalité de la liberté d’expression la république française. Cette vision précise vous empêcherait surement d’avoir de l’inspiration pour vos belles caricatures.

Cher Charb, on vous a déjà appris des convictions nobles que vous répétez sans broncher. Cette histoire de feutre subversif que vous ne cessez de répéter, c’est votre conception théorique majeure que personne n’a le droit de remettre en question puisque vous êtes du côté des bons : ceux qui croient dur comme fer en la liberté d’expression.

Pour tout cela, je vous défends contre vos détracteurs, cher Charb. Continuez à dessiner et à provoquer les cons de tous les bords. On les aura !