Qui avait le droit d’extrader l’ex-Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi ? Est-ce M. Marzouki ou M. Jebali ? A cette question, le Tribunal administratif a répondu le 8 octobre dernier. Deux mois plus tard, l’avis du Tribunal est encore tenu au secret.
Tout le monde se souvient de l’affaire Baghdadi Mahmoudi et de la crise politique au sommet de l’Etat que cela a provoqué. Après l’envoi d’une commission qui est restée à peine deux jours en Libye pour savoir si les conditions de détention étaient correctes et si la justice libyenne pouvait assurer un procès équitable pour l’ex-Premier ministre libyen, Baghdadi Mahmoudi est renvoyé dans des circonstances ambiguës, dans son pays duquel il a fui, dévoilées en partie par Ayoub Massoudi, Conseiller auprès de la Présidence, qui se retrouvera par la suite poursuivi devant la justice militaire pour atteinte à la dignité de l’armée et interdit de quitter le territoire.
Retour sur les faits :
L’une des crises qui a le plus secoué l’Etat en Tunisie depuis la formation du gouvernement Jebali a été celle de l’extradition de l’ex-Premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi qui faisait l’objet d’un mandat d’amener des autorités libyennes. Le 24 juin dernier, M. Mahmoudi se fait extrader sur ordre du Chef du gouvernement Hamadi Jebali, sans que le Président de la République Moncef Marzouki, qui s’y opposait, le sache.
Ayoub Massoudi, Conseiller Principal auprès de la Présidence, chargé de l’information, mettra à l’index la responsabilité de M. Jebali qui aurait préparé le départ de M. Mahmoudi en éloignant sciemment de la capitale, le Président de la République et ce en orchestrant son envoie dans une mission dans le sud de la Tunisie où tout accès téléphonique était impossible. Mieux encore, le Chef d’état major des Armées et le ministre de la Défense qui accompagnaient le Président de la République dans le sud ont omis, délibérément, d’en informer ce dernier, pourtant leur supérieur hiérarchique, représentant légal de l’Etat et surtout Chef suprême des forces armées.
Le lendemain de l’extradition, la Présidence de la République exprimera sa vive désapprobation dans un communiqué de l’action de l’extradition faite d’une manière unilatérale, sans concertation avec les trois Présidences (Présidence de la République, Gouvernement et Assemblée Constituante) et sans la signature du Président Marzouki.
Cette crise mettra M. Marzouki dans un isolement politique puisque ses deux partenaires dans la Troïka, Takatol et Ennahdha, soutiendront l’action de Jébali. De surcroît, Mohamed Abbou, SG de son propre parti CPR, enfoncera encore plus le clou en déclarant dans les médias que l’extradition de Mahmoudisans le consentement du Président est légale.
La Présidence saisit alors le pouvoir légitime de l’Assemblée Constituante (ANC) pour trancher, non sur l’extradition de Mahmoudi déjà accomplie mais pour tous les cas similaires en général afin de préciser les prérogatives et du chef de gouvernement et du Président de la République en se basant sur la loi sur l’organisation provisoire des pouvoirs publics. Au préalable, l’ANC devait s’adresser au Tribunal Administratif (T.A) en recourant à une assemblée Générale Consultative, chose qui a faite.
Le Tribunal Administratif statue sur la prérogative de l’extradition
Le 8 octobre, les juges du Tribunal administratif ont tranché quant à cette question en octroyant la prérogative d’extradition à l’un des deux partis, présidence ou le gouvernement. Cependant, deux mois plus tard, aucune nouvelle n’a été donnée à ce sujet pour savoir lequel des deux y a le droit.
Nous avons alors contacté le député Dhamir Manai, l’un des membres du bureau du Président de l’Assemblée Constituante. Ce dernier nous a assuré que la Présidence n’a rien reçu du Tribunal Administratif au sujet de sa décision.
Non, nous n’avons rien reçu. Je vais faire le nécessaire pour qu’on envoie une demande au Tribunal Administratif nous a-t-il confirmé
Nous nous sommes donc dirigé vers la Présidence de la République en contactant son Conseiller juridique Ahmed Ouerfeli qui nous a affirmé que ni l’Assemblée Constituante, ni le Tribunal administratif ne leur a envoyé ou informé du résultat de l’avis du Tribunal. Voulant savoir s’il y a eu requête de leur part, M. Ouerfeli nous a précisé que
une demande écrite a été envoyée il y a plus d’une semaine à l’Assemblée Constituante pour savoir ce qu’il en est de la décision au sujet de la prérogative de l’extradition. Aucune réponse ne nous a été délivrée jusqu’à aujourd’hui.
L’avis du Tribunal Administratif n’a pas été encore envoyé à l’Assemblée Constituante !
Ainsi, ni l’Assemblée Constituante ni la Présidence de la République n’ont reçu une réponse du Tribunal Administratif. Nous nous sommes donc dirigé vers le Tribunal en question en interviewant le juge Ahmed Soueb, l’un des membres de l’assemblée générale consultative au Tribunal Administratif.
Nous nous sommes réunis le 8 octobre et on a décidé ce qu’on a décidé. Logiquement la première Présidente du Tribunal Administratif [Raoudha Michichi] renvoie dans des délais raisonnables l’avis du Tribunal Administratif au Président de l’Assemblée Constituante.
A voir : Interview avec Ahmed Soueb, juge du Tribunal Administratif (en ar)
Lors de l’entretien, on a bien remarqué que M. Soueb s’est abstenu de nous révéler la décision du Tribunal afin de respecter le secret de négociation au sein de l’assemblée générale consultative. Néanmoins, on se pose plusieurs questions : Pourquoi le Tribunal tarde-t-il autant à envoyer son avis ? L’affaire serait-elle tenue au secret si le Tribunal avait donné la prérogative à M. Jebali ? Deux mois depuis qu’on a statué sur l’affaire, l’avis du Tribunal est resté dans les tiroirs, d’où la question : Pourquoi le Tribunal n’a-t-il toujours pas envoyé l’avis aux concernés pour qu’il soit publié ?
Selon M. Soueb, cela impliquerait deux hypothèses
Ou bien, d’une manière intentionnelle, le T.A n’a pas voulu divulguer l’avis, car il y aura embarras politique ou bien, il n’a pas été reçu. […] Pourquoi l’avis a-t-il pris autant de temps pour être publié et déclaré ? Il y a eu des fuites et des rumeurs et tout le monde sait que la décision du T.A a eu lieu le 8 octobre et il y a eu fuite sur son objet. […] Ce qui est important c’est qu’il y a un problème de transparence. Supposons que l’avis statue que la prérogative d’extradition revenait au Chef du gouvernement, il n’y aurait aucun problème. […] J’ai peur que la justice soit manipulée pour des considérations politiques
Contrairement à ce que M. Soueb affirme, l’objet de la décision n’a pas été connue du grand public ni même des députés avec qui on a parlé tels que Dhamir Manai, Selim Ben Abdessalem ou Samia Abbou mais seulement dans la sphère des juges et de quelques personnes à l’affût de telles informations.
Plusieurs questions se posent : Pourquoi le Tribunal Administratif tarde-t-il tant à envoyer son avis à l’Assemblée Nationale Constituante ? Quelles implications auraient la publication de l’avis du Tribunal Administratif au sujet de la prérogative d’extradition disputée entre le Chef du gouvernement et le Président de la République ? Des questions auxquelles on répondra dans un prochain article.
Merci, Madame, de revenir sur ce sujet dont les faits, jusqu’au moindre détail, nous rappellent l’état de non droit qui continue de prévaloir dans ces « hautes » sphères du pouvoir. Ces petits messieurs qui se gargarisent de mots grandiloquents, du matin au soir, « État de droit », « Justice », « Dignité » etc., reproduisent dans leurs faits et gestes la tradition des fachos de naguère : coups bas, magouilles en tous genre, mépris pour le droit et la légalité.
Cela fut, en ce cas d’espèce, d’autant injustifiable, d’autant incompréhensible, d’autant crétin que tout laissait à croire que ce lieutenant du sanguinaire Kaddafi devait, de toutes façons, répondre de ses actes devant une juridiction ou internationale ou nationale.
Plus insoutenable encore : le coup de force du Premier Sinistre et sa précipitation révélaient que pendant cette affaire, les affaires continuaient ! « Un homme contre des emplois » ! Le principe est terrible en lui-même, et nul besoin de rappeler qu’il ne s’agissait ni de contrats ni même de promesse de contrats ; « future promesse » conviendrait. Cela s’est d’abord murmuré, puis se fut écrit, puis assumé. Et nous savons tous ce qu’il en est advenu… De la haute politique en somme !
Tajû‘u al-hurratu wa lâ ta’kulu bi-thadyayhâ, disaient les anciens. Visiblement, nous sommes encore en servitude.
Merci aussi à ce juge qui réclame la transparence d’une institution qui apparaît encore en servitude volontaire.