Universite-manar

Par Mazigh Mourad

« Le mensonge m’a toujours été si odieux et si impossible» (Lamartine).

Résumé

Le gouvernement en place a commandé une étude sur une éventuelle réforme de l’enseignement supérieur. En tant qu’acteur dans ce secteur, nous pensons qu’il est de notre devoir d’avancer notre vision et le rôle prépondérant qu’il est censé jouer dans notre société. Nous énumérons en premier lieu les problèmes qui l’ont miné durant toutes ces années de dictatures. Nous expliquons que l’enseignement supérieur était utilisé comme étant un instrument de propagande politique.

Il servait l’agenda du parti unique au pouvoir et il n’existait pas une vraie politique efficiente qui le régissait. Nous proposons en deuxième partie des éléments de solutions qui devront aider dans la mise en place d’une vraie politique qui viendrait le sortir de la précarité dans laquelle il se trouve. Ces pistes de solutions résident dans les différentes composantes qui sont : les enseignants, les étudiants, l’administration et la recherche. Le rôle de chacune de ces composantes doit être bien cerné pour donner à l’enseignement supérieur sa place de précurseur dans l’évolution de notre société.

1 Introduction

Dernièrement, nous avons eu une réunion d’enseignants relative aux problèmes qui affectent notre institut. Lors de cette réunion, nous débattons de sujets liés au fonctionnement quo-tidien de l’institut, comme la taille du local, la propreté, les fournitures de bureau, etc. Nous faisons abstraction des problèmes fondamentaux que vit notre institut et des causes principales de cette situation que nous qualifions de précaire.

Dans cette réunion, une de nos collègues a résumé que l’origine des maux que nous vivons au quotidien est due en ma-jeure partie à la non-gouvernance des institutions universitaires. Notre collègue représente notre institut dans le cadre des réunions, qui se tiennent en ce moment au sein du rectorat dont notre institut est membre, pour discuter de la nouvelle réforme qui se prépare au sein de l’enseignement supérieur. Il se trouve que la non-gouvernance fait partie des solutions proposées pour faire sortir l’enseignement supérieur de son marasme.

Mr Nicholas Sarkozy, président déchu de la France, a procédé, durant son quinquennat, à une réforme universitaire qui, en grande partie, aborde le sujet de la non-gouvernance des institutions universitaires. Aujourd’hui, ce sujet est repris par les hautes instances dirigeantes de la Tunisie. Comme c’est tout le temps le cas, nous allons peut être finir par adopter une politique universitaire faite de slogans mais qui en bout de ligne ne réglerait aucun ou très peu de nos problèmes.

Après l’indépendance, la Tunisie a connu deux chefs d’états, ou plutôt deux dictateurs, qui ont souvent utilisé des slogans pour régner sur le peuple dans tous les domaines qui touchent de près et de loin les affaires de l’État et du citoyen.

En ce moment, après la “révolution” que nous venons de vivre, nous avons un chef d’État fantoche et une coalition gouvernementale qui veut donner l’impression d’être la garante de cette “révolution” et continue à préconiser la stratégie des slogans pour faire passer ses messages. Toutefois, cette coalition gouvernementale reste complètement absente en terme d’actions concrètes et de communication réelle.

Comme l’avait mentionné l’ambassadeur des États-Unis d’Amérique en Tunisie, le changement que vit notre pays en ce moment est “un changement dans la continuité”. Nous tenons à rappeler que suite à la destitution du président Habib Bourguiba par son ancien premier ministre Zine El Abidine Ben Ali, l’ambassadeur des États-Unis d’Amérique dans le temps avait tenu les mêmes propos et avait prononcé intégralement la même citation pour décrire l’arrivée de Ben Ali à la tête du pouvoir.

Ainsi, les têtes tombent et les décors changent, mais la situation reste pareille. Malheureu-sement, ce sont les mêmes techniques utilisées pour faire véhiculer une certaine image qui consiste à faire croire au peuple que le gouvernement en place met tous les efforts nécessaires pour que nous soyons une nation moderne et évoluée et que nous accompagnons la plupart des nations avant-gardistes dans leur raison d’être : contribuer à l’évolution de l’humanité.

Nous pensons que la solution à tous nos problèmes passe en premier lieu par la compréhen-sion de la situation actuelle et les vraies causes qui nous ont poussés à arriver à cet état. Cela nous aiderait à établir par la suite une stratégie qui nous permettrait de sortir de ce marasme. Un vrai travail de réflexion est à la fois nécessaire et obligatoire pour proposer par la suite les bonnes pistes de solution.

L’approche que nous suivrons dans ce document consiste à énumérer les difficultés que rencontre l’université tunisienne et qui ne lui permettent pas en ce moment de se lancer vers le statut de non-gouvernance car elle ne s’est pas encore dotée de conditions nécessaires qui assureraient en partie sa réussite dans l’adoption d’un tel mode de fonctionnement : celui de l’entreprise université.

Ce mode d’opération est un saut dans l’inconnu car nous continuerons de régler les problèmes au fur et à mesure qu’ils arrivent et se succèdent. Or, cette manière de fonctionner est une technique de gestion qui n’est pas digne d’un haut lieu de savoir. Même l’épicier du coin doit se doter aujourd’hui d’outils de gestion performants et doit très bien connaître ses produits et son marché sinon il est appelé à disparaître. Les entreprises sont valorisées selon des critères précis et exigeants qui peuvent accélérer leur disparition et leur anéantissement dans le cas où celles-ci n’arrivent pas à réaliser leurs objectifs.

Souvent, les entreprises cotées en bourse sont appelées à préparer des prévisions établies à l’avance et doivent tous les trois mois fournir des données par rapport à ces prévisions établies. Elles sont fortement sanctionnées par le marché si les résultats publiés sont en dessous des attentes. Sans oublier aussi que l’entreprise d’aujourd’hui n’est pas à l’abri d’une sanction quotidienne s’il s’avère qu’il y a une défaillance quelque part dans sa performance ou sa gestion. C’est justement dans cette logique que doit s’insérer cette non-gouvernance à laquelle font appel ses partisans.

Par la suite, nous proposerons des éléments de solution qui pourraient nous permettre de rendre à l’enseignement supérieur la place méritée dans l’économie de notre société et de notre pays.

2 État des lieux

Nous commencerons par énumérer quelques points qui, à notre avis, expliquent la situation dans laquelle se trouve l’enseignement supérieur. Il nous arrivera quelques fois de déborder du cadre de l’enseignement supérieur puisque, ce secteur n’est qu’une composante de l’appareil de l’État qui vit, au bout du compte, les mêmes problèmes structurels.

1- Démocratisation de l’enseignement du primaire et du secondaire entamée par la poli-tique de Habib Bourguiba.

Pendant l’ère Bourguiba, le slogan affiché était celui de l’éradication de l’analphabé-tisme. Nous avons surtout concentré nos efforts à apprendre à lire et à écrire mais nous avons sûrement négligé le plus important : comprendre, réfléchir et analyser. Sous l’ère Bourguiba, l’enseignement supérieur était d’une certaine qualité car l’accès à l’univer-sité était limité et sélectif. Cette limitation était dictée plutôt par le manque de moyens de l’État et non pas par une politique qui cherche l’excellence. Par conséquent, il y avait une certaine sélection naturelle où seuls les mieux classés dans le concours du baccalauréat avaient la chance de poursuivre leurs études supérieures. Il faut avouer que ces mieux classés étaient d’un bon niveau académique. Mais cette tendance s’est effritée au fil des années et surtout à la fin du règne de Bourguiba.

2- Par la suite, Zine El Abedine Ben Ali a consolidé cette politique de démocratisation de l’éducation en l’appliquant à l’ensemble de l’enseignement supérieur, c’est à dire à tous les niveaux confondus (premier cycle, deuxième cycle et troisième cycle).

Le règne de Ben Ali a été marqué par une libéralisation de l’économie tunisienne. C’est l’époque du programme d’ajustement structurel. La plupart des entreprises de l’État ont été cédées à des capitaux privés. Au départ, cela a apporté une certaine amélioration à l’économie tunisienne et un semblant de croissance. Mais puisque cette libéralisation n’a pas été effectuée selon les règles de l’art, elle a plutôt servi à enrichir certains proches du pouvoir. L’ancien président lui même et les membres de sa famille en ont profité. Cela a permis de mettre les fondations d’une nouvelle entreprise : le crime organisé. Le pays a vécu une embellie économique de très courte durée et par la suite, il a sombré dans une crise économique sans précédent. L’article de Mme Sophie Bessis et Mr Kamel Jendoubi intitulé “un «miracle» tunisien aux pieds d’argile” paru dans le journal le monde diplomatique en mars 2003, décrit parfaitement la situation de l’économie tunisienne durant cette période du règne de Ben Ali.

Durant ses vingt trois années de dictature, le nombre des diplômés d’études supérieures a augmenté d’une manière fulgurante sans pour autant que l’on exige un niveau de qualité en conséquence pour soutenir cette croissance économique mythique. Nos po-liticiens et politiciennes comptaient sur le génie du diplômé tunisien et son esprit d’entrepreneurship pour créer de l’emploi. Finalement, cela n’était qu’un mirage pour tous ceux et toutes celles qui s’efforçaient de croire à ce «miracle». Beaucoup d’uni-versitaires ont répondu présents à cette politique d’apprenti sorcier de Ben Ali qui a engendré en grande partie le problème de l’accentuation du chômage.

Aujourd’hui, nous comptons aux alentours de deux cent milles diplômés d’études supérieures sans emploi et nous pensons que le pourcentage parmi ces individus qui peuvent être em-ployés, ne dépasse pas les vingt pour cent. Alors que les autres quatre vingt pour cent ont besoin de recyclage, de formation et de réorientation, bref d’une remise à niveau qui leur permettrait d’augmenter leur chance à l’emploi.

3- L’enseignement dans son ensemble et particulièrement l’enseignement supérieur ont été des outils de propagande politique.

La plupart des directeurs des universités sont nommés seulement sur la base de leur appartenance au parti politique au pouvoir et doivent défendre bec et ongles les intérêts du parti et non pas les intérêts de l’enseignement. Ainsi, ils occupaient ces postes car ils aspiraient souvent dans le futur à des postes politiques plus importants et ils n’apportaient rien de substantiels à l’enseignement supérieur.

Ces universitaires-politiciens ont tout fait pour donner l’impression que tout se passait bien, alors qu’en réalité, les choses allaient de mal en pis à l’intérieur des universités. Au lieu d’être jugés selon des critères de performance scientifiques et objectifs, ces amis du régime étaient jugés sur les services rendus au parti unique au pouvoir. Ainsi, ils travaillaient un agenda politique plutôt que la mission des institutions universitaires en matière de savoir, d’équipement, de financement, de coopération internationale etc. D’ailleurs, même si tout récemment des élections de nouveaux directeurs d’instituts, d’universités et de doyens de rectorats se sont déroulés, ce sont toujours les mêmes individus avec les mêmes mentalités et les mêmes états d’esprit qui continuent à diriger nos institutions universitaires. Rarement, où il y a eu du sang nouveau injecté dans la direction des institutions universitaires.

4- L’absence totale d’une vraie politique claire établie sur des données réelles et sur des études scientifiques solides bien argumentées en considérant les différents horizons : court, moyen et long terme.

Tout au long de ces années de dictature, le pays a été géré au jour le jour en cherchant tout le temps des solutions de colmatage. Nous n’avions pas de gestionnaires, ni de vrais visionnaires mais plutôt des plombiers qui passaient leur temps à boucher des trous et qui finalement ne pensaient qu’à leur propre intérêt.

L’enseignement supérieur a souffert durant toutes ces années et continue de souffrir aujourd’hui à cause de cette manière de voir les choses. Malheureusement, cette façon de gérer est ancrée chez la plupart des individus qui ont dirigé le pays, ou plutôt qui étaient nommés à des postes décisionnels sans être formés pour de telles responsabilités. Cette situation continue à perdurer.

Les individus occupant des postes décisionnels continuent à refuser de faire le vrai travail qui consiste à faire un état des lieux et de trouver par la suite de vraies solutions à nos problèmes en fonction de nos moyens avec une vraie projection dans l’avenir. Cela exige d’eux un travail de réflexion approfondi qu’ils n’acceptent pas d’effectuer car cela les obligera à faire un effort quotidien hors du commun et supposeraient des dirigeants qui n’ont pas peur d’avouer leur échec, le cas échéant. S’ils se sont trompés dans leur choix, ils seraient prêts à céder leur place à d’autres personnes qui sont plus aptes à gérer les problèmes et à prendre les bonnes décisions. Est-ce que nos dirigeants sont prêts à agir de la sorte ? Nous en doutons fortement.

La politique de l’ambiguïté a été instaurée depuis des années car elle permet au chaos de s’installer et nous pouvons confirmer que durant toutes ces dernières années, nos dirigeants ont excellé dans cette manière de gérer au point où ils en sont devenus des experts. Malheureusement, ces techniques de gestion ne sont pas exportables car au-cune nation n’aimerait vivre cette situation et, la preuve aujourd’hui, nos institutions sont carrément dans le chaos. Nous aurions pu d’ailleurs remplacer le terme chaos par médiocrité et nos constatations resteraient valables pour autant. Nous préférons plutôt le terme médiocrité au terme chaos car d’après le mathématicien Mandelbrot, il existe un ordre même dans le désordre. Ce qui n’est pas le cas avec la médiocrité. Par exemple, dans notre institution, l’institut supérieur d’informatique, nous avons refusé de faire un travail de réflexion quand il y a eu la réforme “License, Mastère, Doctorat” (LMD).

Aujourd’hui, nous refusons de faire ce travail de réflexion quand les instances dirigeantes nous ont demandé de fournir notre vision sur l’ensemble des programmes que nous enseignons dans notre institution. Nous estimons que nos dirigeants refusent de faire le vrai travail. Certains parmi eux sont limités en terme d’idées ou ont peur de l’inconnu.

En effet, toute chose nouvelle fait peur et certains dirigeants ne sont pas prêts à apprendre ou à s’ouvrir sur l’avenir. Quand une personne a appris à fonction-ner d’une certaine manière, elle refuse automatiquement de changer sa méthode car elle craint de perdre ses acquis. Ce comportement est malheureux surtout quand il provient de personnes supposées être aux devants de la scène. Par leur action, ou leur inaction, ces gens préfèrent le statut quo synonyme de médiocrité. Nous voulons un changement réel et global qui toucherait toutes les parties sans aucune exception.

5- L’absence totale de données détaillées qui nous permettent d’avoir des décisions jus-tifiées et de mieux calibrer nos stratégies.

En Tunisie, nous n’avons pas une culture de collecte et d’analyse de données. Aujour-d’hui, dans tous les domaines, ils existent des données en temps réel et des outils qui exploitent ces données en temps réel pour permettre aux gestionnaires de résoudre les problèmes existants ou plutôt améliorer ces décisions pour aller chercher une meilleure performance.

Dans les rares cas où il existait des données, les anciens régimes ont tout fait pour les cacher ou carrément les éliminer et ceci dans le seul but de voiler la réalité. Bien évidemment, à travers ces données, nous pouvions découvrir des vérités qui auraient sûrement fait du tort à ces dirigeants. Les anciens régimes se sont amusés à falsifier les données et ceci dans le seul but de faire bonne impression. Nous continuons aujourd’hui d’ignorer cet outil de gestion indispensable, celui de justifier nos choix décisionnels par une vraie analyse de données.

Il est indispensable et urgent à mettre en place des outils pour la collecte de données et s’assurer au même temps que ces données soient fiables pour permettre par la suite leur utilisation à bon escient afin de prendre les bonnes décisions. Il faut par la même occasion rendre accessible ces données pour permettre en premier lieu aux différents acteurs de l’économie du pays, aux scientifiques et à tous les citoyens qui le désirent de faire leur propre lecture de ces données et de pouvoir ainsi tirer profit de cette source d’information qui est devenue vitale pour tous les pays. Les problèmes que vit l’université d’aujourd’hui se sont accumulés durant toutes ces années de dictature et se sont aggravés surtout durant les dernières années puisque le nombre d’étudiants, des filières enseignées et d’institutions ont augmenté d’une manière vertigineuse pour soutenir une politique de slogans vides et non fondée.

De plus, il faut rajouter que les réformes effectuées dans le système universitaire ont généralement été faites à la va-vite sans prendre le temps pour les étudier adéquate-ment. En l’occurrence, la réforme LMD a été adoptée en France car il s’agissait d’une décision européenne. Elle a été étudiée et implémentée sur une longue période et elle continue d’être l’objet de certains ajustements. Alors qu’en Tunisie, l’ancien ministre de l’enseignement supérieur, Mr Bououne, a pris la décision d’adopter le système LMD dans un laps de temps très court qui n’a pas dépassé deux ans en prétextant qu’il était indispensable de s’aligner sur les diplômes européens alors qu’en réalité, il était là pour satisfaire son maître à Carthage.

D’ailleurs, pendant sa main mise sur le ministère, nous avions l’impression que ce ministère de l’enseignement supérieur s’est transformé en un ministère de l’intérieur puisqu’un des soucis majeurs était devenu de répertorier les enseignants selon leur appartenance politique. D’ailleurs, pendant que Mr Bououne occupait le poste de ministre, il semblerait qu’une base de données soit née et sa mise à jour se faisait sur une base quasi-quotidienne concernant les activités des enseignants qui étaient opposés au régime de Ben Ali.

Son passage par ce ministère était plutôt marqué par les conflits entre le ministère et les enseignants et non pas par une vo-lonté de faire évoluer le savoir et la science. D’ailleurs, cet ancien ministre était très concerné par la sécurité et à maintes reprises nous avions l’impression que le ministère d’enseignement supérieur s’est transformé en un bunker à la place d’un lieu du savoir.

6- L’absence totale d’une vraie politique de concertation et de dialogue.

Aucun individu ne peut prétendre détenir toute la vérité. Par conséquent, il faut essayer d’écouter et de prendre en considération toute les suggestions valables et jus-tifiées. Les anciens dirigeants de ce pays n’ont jamais voulu écouter des avis autres que les leurs. Ils ont refusé le dialogue. Ils prétendaient tout savoir. Et dès qu’une personne apportait une idée différente de la leur ou qu’elle leur pointait une erreur dans leur action, ils la jugeaient de traître, de vendue et l’éloignaient de tout pro-cessus décisionnel. Parfois, cet écartement pouvait aller très loin.

La personne était punie mentalement et physiquement. Les hommes des anciens régimes refusaient systématiquement toute initiative d’individus qui ne faisaient pas partie de leur cercle et qui voulaient apporter une contribution au pays. Il dénigrait tout travail sérieux que pouvait apporter un simple citoyen et ceci à tous les niveaux. Ils prétendaient détenir la vérité absolue alors qu’au fond, ils étaient tout simplement des incultes pour ne pas dire des ignares car nous savons aujourd’hui qu’une personne ne peut enrichir son savoir qu’en se mesurant aux idées des autres.

A titre d’exemple, le géant américain Google autorise ses employés à utiliser vingt cinq pour cent de leur temps de travail pour développer ce que bon leur semble. D’ailleurs, leur service email Gmail est né de cette même initiative. Les employés sont payés à développer des idées à l’intérieur de leur espace de travail sans qu’ils ne soient obligés en contre partie de rendre des comptes à leurs patrons. Ces idées peuvent être présentées aux personnes ayant le pouvoir de décision et si elles sont jugées innovatrices, elles sont adoptées par l’entreprise.

7- L’économie tunisienne est divisée en deux catégories :

– L’artisan, la petite et moyenne entreprise.

– Les grandes entreprises.

Les deux catégories sont des moteurs de l’économie tunisienne et créatrices d’emploi. La première catégorie n’est pas bien exploitée car elle peut jouer un rôle dominant en matière d’emploi. Par exemple en France, 60% de l’économie dépend de l’artisan. Cette catégorie n’a pas suivi l’évolution technologique car elle se contente de sa part de marché et elle n’a pas le soutien financier et logistique pour monter d’un cran dans sa gestion et la qualité du produit ou du service qu’elle offre.

La deuxième catégorie pose aussi un vrai problème car il s’agit de sociétés familiales qui se sont départagées le marché tunisien dans différents secteurs industriels. Ces sociétés familiales n’opèrent pas souvent dans un même secteur. Ce qui nous rend le plus souvent dans une configu-ration de monopole et donc absence de concurrence.

Et même si par hasard, certaines entreprises familiales différentes opèrent dans un même secteur, leur nombre ne dépasse pas deux ou trois par secteur. Automatiquement, elles s’installent dans une dynamique d’équilibre où chacune d’entre elles s’adjuge une part du marché et se contente d’un certain gain. Et de ce fait, ces entreprises évoluent à leur propre rythme sans être inquiétées par le risque de perdre des parts du marché. Elles agissent sur le marché à leur guise. Ce sont des entreprises qui s’assoient sur des gains faciles. C’est entre autre l’État, par son protectionnisme de l’économie tunisienne, qui les a amenées vers cette logique. Sous prétexte, de protéger nos acquis économiques, l’État n’encourage pas des sociétés étrangères opérant dans les mêmes secteurs que nos propres entreprises fami-liales à venir s’installer et travailler dans un vrai marché concurrentiel.

L’État assure ainsi à ses entreprises une vie tranquille. De ce fait, elles ne se sentent pas en danger et elles ne prennent pas le risque d’investir dans l’innovation, la qualité et les perfor-mances. Bien sûr, elles ne voient aucun intérêt à embaucher des personnes hautement qualifiées et très compétentes. Ce qui n’est pas le cas des entreprises étrangères qui en premier lieu sont devenues des entreprises à plusieurs actionnaires et elles vivent une pression au quotidien : se faire avaler par des entreprises concurrentes ou perdre leur place de leader dans le marché. Elles sont dans une configuration où elles sont appelées à faire un effort quotidien pour grignoter chaque jour des miettes de parts de marché et à rechercher des opportunités d’affaires pour satisfaire leurs investisseurs. Les exemples sont nombreux de pays qui ont su profiter de cette dynamique qui est la raison d’être des entreprises étrangères : celle de produire en premier lieu à moindre coût et d’innover en second lieu à moindre coût. Plusieurs pays émergeants ont ac-cepté l’ouverture de leur marché et leur enseignement supérieur a su tirer profit de cette nouvelle situation. C’est notamment le cas de l’Inde, du Pakistan et de la Ma-laisie. Ces pays continuent à intéresser des entreprises multinationales par la qualité de leurs diplômes et cela a pu profiter aux entreprises locales de s’adapter au climat de concurrence qui s’est installé sur leur territoire.

8- L’économie tunisienne est très dépendante des investissements étrangers.

Il est de nos jours presque impossible d’exceller dans tous les domaines. Ainsi, certaines nations ont misé sur des domaines bien spécifiques et ont réussi à se doter d’un savoir-faire dans des secteurs industriels ciblés qui les font émerger du lot par rapport au reste du monde. Elles se retrouvent expertes par excellence dans quelques domaines si ce n’est pas parfois un seul domaine spécifique. Malheureusement, les gouvernements successifs n’ont pas défini des domaines porteurs qui donneraient à la Tunisie une place de leader dans certains marchés mondiaux. Il est ainsi rendu difficile d’attirer des entreprises étrangères qui opèrent dans des secteurs à fortes valeurs ajoutées. Nous continuons à promouvoir le secteur du textile, le tourisme de masse, la fabrication des câbles pour l’industrie de l’automobile, les centres d’appels etc. Aujourd’hui, la Tunisie ne doit pas être fière de détenir la première place au monde des centres d’appels ayant dans leur rang le plus grand nombre de diplômés d’études supérieures : quel gâchis !

9- Le système des études et les formations doivent être fortement liés en grande partie à l’économie locale et aussi à l’économie mondiale. Malheureusement, cette interaction n’existe pas entre l’université et le besoin en matière de main d’œuvre qualifiée.

Le diplôme doit répondre à des critères tels que :

satisfaire le marché local en matière d’emploi.

satisfaire le marché local en matière de recherche.

répondre à une demande mondiale : aujourd’hui, nous vivons dans un marché d’em-ploi mondialisé. Cette réalité ne doit pas être sous-estimée.

Mr. Saïd El Aïdi qui a occupé le poste de ministre de la formation professionnelle et de l’emploi et aussi un ancien dirigeant d’une entreprise évoluant dans le domaine informatique a soulevé dans une interview les vrais défis auxquels fait face le marché de l’emploi en Tunisie. Il a insisté sur deux points :

-la non-employabilité du diplômé tunisien par rapport au marché de l’emploi non pas parce que le diplômé est surqualifié mais parce que, le niveau du diplôme est en dessous du minimum requis exigé par certaines industries.

-les limites de l’économie tunisienne pour la création de l’emploi. Il propose de s’orienter plutôt vers une économie numérique.

10- L’université d’aujourd’hui est dans un état désastreux et lamentable à tous les niveaux (un manque d’enseignants qualifiés, d’équipements, de financement, etc.).

La qualité des diplômes discernés laisse à désirer. Nous avons tendance à mettre la crise de l’emploi sur le dos d’une crise économique mondiale. Certes, il existe une part de vérité dans ceci mais, nous pensons aussi que l’université n’a pas fait son travail correctement. Elle ne s’est pas adaptée à la réalité du marché et elle est restée complè-tement déconnectée de la réalité du marché de l’emploi et de la structure économique de notre pays.

L’université doit agir rapidement aux changements auxquels fait face le marché de l’emploi. D’ailleurs c’est le cas de l’entreprise d’aujourd’hui qui fait face à des chan-gements brusques dans son propre secteur. L’absence d’université tunisienne dans les classements effectués par certains organismes d’évaluation d’universités ou l’apparition de certaines universités tunisiennes à des rangs qui font sûrement rougir de honte vient confirmer en partie cette piètre performance de nos universités.

Mr. Takeri, le ministre qui a succédé à Mr Bououn, a été questionné une fois sur les mauvaises performances des universités tunisiennes dans certains classements produits par ces organismes. Il a critiqué les mesures de performance mises en place par ces organismes. Il a cité en exemple que l’embauche d’un prix Nobel dans une université est un des critères retenus et cela augmente énormément les chances d’une université pour se retrouver parmi les mieux classés. Nous aurions bien aimé enchaîner en lui demandant et comment ça se fait que nous n’arrivons pas à attirer les prix Nobel dans nos propres universités ?

Ce genre de réponse révèle à la fois de l’arrogance et de l’ignorance de nos dirigeants de l’époque. Il s’agit d’un cocktail explosif. D’ailleurs, c’est pour cela que ce ministre quelques jours de la fuite de son maître de Carthage, déclarait dans une interview sur la chaîne télé El Jazira que le gouvernement auquel il appartenait ne pouvait pas tomber et qu’il avait encore de belles années devant lui.

Il s’agit là d’un exemple d’un haut dirigeant qui ne voyait pas plus loin que le bout de son nez.

11- L’université d’aujourd’hui n’a pas atteint un certain niveau de maturité en terme de personnels (cadres enseignants et cadres administratifs) et d’outils de gestion qui lui permettent d’être gérée comme une entreprise.

Intel est une compagnie américaine qui a été dirigée jusqu’à l’an 2005 essentiellement par des individus ayant une formation d’ingénieur. Ces dernières années Intel a changé de stratégie en confiant cette tâche à un individu qui possède un profil purement de gestionnaire. L’arrivée du nouveau CEO d’Intel a coïncidé avec le nouveau logo d’Intel : « A leap ahead ».

La non-gouvernance insinue en partie d’avoir d’excellents gestionnaires, hautement qualifiés dans le secteur de l’enseignement supérieur. Nos directeurs actuels n’ont pas souvent une formation en management. Avons-nous vraiment en ce moment des hommes et des femmes qui ont le profil adéquat pour gérer l’entreprise université ?

3 Des éléments de solutions

Nous pensons que les débuts des solutions résident dans le rôle que doivent jouer les différents éléments qui composent l’université et le système universitaire. Nous nous attarderons plutôt sur les composantes principales de l’université. Nous pensons qu’une interaction efficiente entre ces différents éléments fera de l’université un corps vivant et innovent. Nous distinguons principalement les composantes suivantes :

– enseignants – étudiants – recherche

– administration

Les enseignants :

L’enseignant est un acteur principal dans tout système universitaire. Il représente la valeur d’aujourd’hui et de demain de cette institution. Il compose en partie son capital principal. En majeure partie, il est le produit final de l’université tunisienne. Il est aussi le reflet de toutes les lacunes du système universitaire tunisien. Ceci étant dit, est-ce que l’enseignant tunisien est conscient du rôle qu’il peut jouer dans l’évolution et la prospérité de l’université ? Nous n’en sommes pas trop sûr.
Les enseignants ne participent pas à faire évoluer l’université pour différentes raisons :

(1). Le niveau du diplôme tunisien laisse à désirer.

(2). L’enseignement supérieur est devenu synonyme de non-productivité.

Une bonne partie du corps enseignant est motivée par la profession car la charge horaire lui permet de se reposer ou d’accomplir d’autres activités.

Nous avons souvent tendance à entendre que notre pays détient des compétences exceptionnelles et qu’elles sont très nombreuses aussi bien dans le milieu universitaire qu’ailleurs. La question qui se pose est : “pourquoi vivons-nous tous ces problèmes si nous avons vraiment les bonnes personnes pour gérer le pays ? ”

Deux réponses semblent plausibles :

Il se peut que ces gens là ne soient pas à la bonne place pour prendre les bonnes décisions.

Ou alors que le pays soit en manque de gens compétents.

Nous favorisons l’existence des ces deux scénarios décrits ci-dessus. En effet, il existe un manque énorme de compétences et que le peu de personnes qui détiennent vraiment un savoir-faire sont écartées du processus de décision. Et nous pensons que les conséquences de ces deux constats sont palpables dans tous les domaines.

(3). L’enseignant universitaire est supposé être informé de ce qui ce fait le mieux dans son champ de compétence direct et d’autres champs connexes. Or encore une fois, le constat est accablant, le manque d’implication et la futilité des sujets de recherche font de la sorte que l’enseignant se trouve incapable de suivre la dynamique de recherche rigoureuse.

(4). Nous avons un vrai problème au sein du corps d’enseignement universitaire : l’hon-nêteté scientifique. Un des principes de l’éthique de cette noble profession est d’être honnête envers le savoir et la science. Or malheureusement, le plagiat, la falsification des résultats, l’appropriation des documents scientifiques sans en être les auteurs ori-ginaux et tant d’autres situations de malhonnêteté, sont monnaie courante dans le milieu des enseignants universitaires. L’origine de ce qui se passe est due en partie à la non compétence de certains enseignants qui nuisent à la profession et qui malheu-reusement ne sont pas à la hauteur de leur responsabilité et aussi à cette course de passage de grade à n’importe quel prix car ces promotions leur donnent accès à un pouvoir plus élargi.

Il est temps de sanctionner ces comportements qui portent atteinte à l’ensemble de l’université. Par exemple, le ministre de la défense allemand a été épinglé dans une affaire de plagiat dans son doctorat. Il a été contraint à démissionner pour ne pas nuire au gouvernement d’Engela Merkel et surtout à l’image de l’Allemagne. Il a aussi perdu son titre de docteur. Il faut opter pour la rigueur, la discipline et l’excellence en matière de savoir. Il faut instaurer une dynamique au sein du corps enseignant semblable au contrat par objectif.

Par exemple, en Angleterre, les professeurs doivent soumettre tous les six mois un état d’avancement de leurs travaux de recherche ainsi que les financements apportés pour soutenir leur recherche. Aux États-Unis d’Amérique, un professeur universitaire est payé sur la base de neuf mois. Le restant de l’année, il a le libre choix de faire de la recherche qui lui génère des revenus ou se reposer et ne pas être payé dans ce cas.

(5). La corruption est malheureusement présente dans de l’enseignement universitaire et il ne s’agit pas de cas isolé. L’affairisme a atteint le corps enseignement et a gangrené le

cœur et les esprits d’un ensemble assez important de décideurs dans le milieu universitaire (enseignants et administrateurs). L’attribution des notes et la réussite ne se font pas parfois sur le compte d’une évaluation des connaissances purement scientifiques mais plutôt sur d’autres considérations qui n’ont aucun rapport avec le savoir. Les concours d’entrée destinés aux étudiants dans certaines institutions sont aussi minés d’irrégularités. Nous citons par exemple : la falsification qu’a connue l’Institut supé-rieur de l’informatique (Isi) dans ses concours d’ingénieurs. Certains étudiants ne sont pas acceptés par ordre de mérite mais plutôt selon d’autres critères et jusqu’à nos jours, nous ne connaissons pas encore les responsables qui ont mené ces manipulations et les bénéficiaires de ces fraudes.

Cette affaire qui a éclaté au grand jour tout de suite après la “révolution”. Elle n’a pas été élucidée mais plutôt elle a été camouflée car à notre avis, il existe tout un réseau de personnes impliquées dans ces fraudes et nous sommes persuadé que ces mêmes personnes continuent à occuper des postes décisionnels au sein même de l’appareil universitaire. Nous ne pensons pas qu’il s’agit d’une situation qui concerne seulement l’Isi mais plutôt d’un phénomène qui existe dans plusieurs institutions.

Les étudiants :

L’étudiant représente la matière première et le client au même temps. Aujourd’hui, la plu-part des plus grandes universités au monde essayent d’enrôler dans leurs rangs les meilleurs étudiants. C’est similaire d’ailleurs, aux maîtres chocolatiers qui pour assurer un excellent produit final, leur travail consiste en première phase de dénicher les meilleures graines de cacao. L’étudiant de son côté, cherche à s’inscrire dans la meilleure université qui offre un diplôme avec une employabilité exceptionnelle de premier choix. Cette dynamique est inexis-tante en Tunisie. L’université tunisienne s’est abaissée à la facilité de réussite recherchée par les étudiants car finalement, la recherche d’emploi ainsi que les critères de poursuite d’études de deuxième et troisième cycle ne sont plus en grande partie synonyme d’excellence.

Les universités doivent être impérativement concernées par l’employabilité de leurs diplômes et leurs aptitudes aussi à former d’excellents chercheurs. L’université d’aujourd’hui doit aussi offrir des formations professionnelles ciblées et destinées aux entreprises et aux profession-nels opérant dans l’entreprise. Cette activité non négligeable doit lui permettre d’avoir une source de revenus supplémentaires. L’étudiant non plus n’est pas conscient qu’il peut contribuer énormément dans la prospérité de son institution. S’il se considère comme étant un client et un consommateur de savoir, il peut apporter énormément à l’université en exigeant une meilleure qualité d’enseignement et un environnement d’études plus adéquat. Malheu-reusement, il contribue par cette passivité dans la régression de l’université. Finalement, il devient complice de cette détérioration que vit au quotidien l’université.

Nous continuons à enseigner à l’université de la même manière qui se fait au lycée. En réalité, il existe une cassure entre l’enseignement universitaire et secondaire. L’enseignement secondaire est un enseignement de base.

Ainsi, l’étudiant est appelé à reprendre un ensemble de notions et les assimiler en faisant un ensemble d’exercices pour s’assurer que ces notions apprises sont bien comprises. Quant à l’enseignement universitaire, c’est un enseignement qui a accès sur l’interprétation de l’information. Donc, il faut être capable en premier lieu d’enseigner la théorie vue d’un certain angle. Souvent la même matière peut être enseignée de différentes façons et pouvoir la mettre par la suite dans un contexte où elle peut être critiquée. Ses limites et ses avantages peuvent être testés.

Donc, l’enseignement supérieur s’intègre dans une autre philosophie qui devrait être l’aboutissement à des questions et des échanges d’idées entre l’étudiant et l’enseignant aussi bien dans le cours que dans des travaux faits à la maison. Le rôle de l’enseignant est de diriger l’étudiant vers l’information et de lui permettre d’intégrer dans son raisonnement sa propre façon de voir les choses à partir de certaines références. Et, c’est pour cela d’ailleurs qu’aux États-Unis d’Amérique, le mot “coaching” est préféré au terme “teaching” pour définir le rôle de l’enseignant. L’enseignement supérieur est une interaction entre les enseignants et les étudiants qui est censé être une source inépuisable d’idées innovatrices.

Les laboratoires ou unités de recherche :

La recherche définit le présent et l’avenir de l’université et plus encore la prospérité du pays. A notre avis, il faut s’orienter vers une recherche ciblée vers des domaines porteurs qui cor-respondent à nos moyens humains et matériels. Les moyens financiers représentent l’une des composantes principales de la recherche. Malheureusement, pour le moment, nous sommes un pays avec de petits moyens financiers pour ne pas dire de très faibles moyens financiers investis dans la recherche. La recherche constitue l’une des raisons d’être de l’université. D’un côté, elle doit être une source importante d’entrés de fonds qui assurent la survie de cette entreprise et d’un autre côté un des critères prépondérant pour la mesure de performance de l’entreprise université. L’autre composante prépondérante est celle du capital humain.

En effet, avec d’excellents directeurs de recherche et des chercheurs qualifiés, nous pouvons arriver à générer une excellente qualité de recherche qui est capable par la suite de générer des capitaux qui nous permettraient de pouvoir passer à une autre politique de recherche. Il faut qu’il y ait des choix stratégiques en terme de domaines de recherche qui n’exigent pas des gros montants d’argent mais plutôt des têtes bien remplies. Par exemple, la modélisation mathématique associée à la simulation informatique peut être un axe très important.

L’outil informatique a contribué au niveau de la réduction des coûts dans le processus de développement puisqu’aujourd’hui, nous arrivons à étudier des comportements réels sans passer par la fabrication de prototypes qui coûtent énormément chers et tout ceci grâce à la sophistication des modèles mathématiques et à la vitesse d’exécution de l’ordina-teur. Cette combinaison de modèle mathématique et de simulation informatique touchent de près et de loin plusieurs domaines de recherche : du domaine du génie en passant par les sciences naturelles et allant jusqu’aux sciences sociales.

Il faut donc investir au départ dans le capital humain. Ainsi notre tâche consiste à former d’excellents chercheurs de haut niveau et créer au même temps une synergie entre les différents domaines de recherche. C’est à dire, nous pouvons regrouper des chercheurs de différents domaines dans un même laboratoire et qui peuvent travailler sur le même thème de recherche (par exemple, nous pouvons associer dans un même laboratoire des mathématiciens, des informaticiens et des sociologues). Nous pourrions ainsi devenir leader dans la recherche interdisciplinaire.

L’administration :

La gestion saine passe par une administration performante, rigoureuse et efficiente. Tous les employés doivent sentir cette responsabilité parce qu’en partie, la réussite de l’université passe par eux. L’administration au sein de l’université est en quelque sorte à l’image de l’enseignant qui vient donner son cours et part. Elle carbure aux rythmes d’événements qui marquent l’année universitaire :

– Emploi du temps des enseignants.

– Rentrée des étudiants.

– Devoirs surveillés et examens.

– Délibérations.

Entre temps, c’est le calme plat qui règne. Elle n’évolue pas. Elle utilise les mêmes outils d’antan. Elle ne sent pas le besoin de vraiment évoluer et ne cherche pas des outils qui lui permettent d’être plus prompte aux demandes des étudiants et des enseignants. De toutes les façons, elle n’est pas différente des administrations des autres institutions étatiques. Elle vit les mêmes problèmes sauf qu’elle est moins sollicitée que les autres administrations. Elle a le temps pour s’améliorer mais elle ne le souhaite pas car elle ne voit pas l’intérêt.

Il s’agit là d’une attitude défaitiste. Nous donnons l’exemple de l’Isi : il s’agit d’un institut informatique et aucune procédure administrative n’a été informatisée et nous continuons à utiliser le papier comme étant l’unique et le seul support de travail. L’ordinateur a remplacé seulement la machine à écrire. C’est malheureusement dans ce cadre très restreint que nous voyons l’utilité de l’ordinateur dans un institut d’informatique. Nous n’incombons pas cette nonchalance aux employés. Loin de là, ils ne font qu’exécuter des ordres. C’est le rôle des directeurs des universités d’établir une gestion saine et dynamique. Aujourd’hui, une uni-versité doit être munie d’un “Entreprise Resource Planning” (ERP) pour la gestion de son quotidien.

Conclusion

Nous ne pensons pas que l’université tunisienne soit fin prête à faire le saut de l’expérience de la non-gouvernance. Nous faisons vraiment fausse route en étudiant la possibilité d’adhérer à la non-gouvernance. Cela dit, il s’agit d’un sujet à étudier profondément. Il faudra préparer le terrain de la non-gouvernance car la réalité dans le domaine de l’enseignement supérieur l’exigera dans le futur et en fait, nous ne pouvons pas y échapper.

Cela revient à mettre en place une vraie stratégie nationale où chaque université doit faire part de ses propres besoins en matière d’enseignement, de recherche, de financement, de qualité et doit définir comment arriver sans heurts à cette non-gouvernance tant réclamée. Sûrement que dans ce travail, il y aura des institutions qui doivent disparaître ou encore rationaliser leurs activités et les orienter vers des filières prometteuses et porteuses d’un avenir meilleur. Ces institutions doivent se doter impérativement d’outils performants pour leur permettre de faire face à tous les défis qu’elles rencontrent quotidiennement en ce moment et qu’elles devront affronter dans le futur. Elles doivent dès maintenant trouver des sources de financement autre que l’État.

Nous voulons le beurre et l’argent du beurre. Or non-gouvernance, rime aussi avec désen-gagement progressif de l’État. Les universités devront un jour être appelées à payer leurs propres salariés. Nous sommes persuadés qu’aucune structure universitaire n’est capable aujourd’hui de pouvoir collecter un dinar(monnaie tunisienne) par ses propres moyens. Il faut impérativement mettre en place un système de mesures de performance pour évaluer nos institutions uni-versitaires. Ce système pourrait inclure aussi un “benchmark” qui servira aux institutions universitaires de référence à battre. Il faut que ce mode d’évaluation soit basé sur des cri-tères objectifs et doit inclure aussi la dimension internationale qui nous permet de nous positionner par rapport à l’ensemble des universités à travers le monde. Ainsi, Si nous nous hasardons ou que nous nous précipitons comme dans le passé à faire des sauts dans l’inconnu, cela assurerait la banqueroute de cette entreprise université avant même sa naissance. Pour dépasser la vitesse du son, Félix Baumgartner a du préparer son saut qui a duré à peine neufs minutes dans les plus petits détails pendant presque sept ans.

La réussite de notre système universitaire passe en partie par les enseignants. Ce corps enseignant doit aussi faire son bilan et son mea-culpa et doit indubitablement s’assainir des individus qui lui portent tort et qui fonctionnent en cultivant les pratiques douteuses et malsaines. Nos enseignants doivent se rendre à l’évidence que le défi à relever est énorme et que si des mesures urgentes ne sont pas prises au plus vite, tout le système coulera, y compris les institutions étatiques. Toutes les composantes de la société civile sont, elles mêmes, menacées et elles le sauront d’avantage. L’enseignement supérieur représente le cerveau et les poumons du corps de la société civile et il est supposé être un vivier d’idées, d’innovations et d’individus hautement qualifiés. Or ce cerveau et ces poumons ont cessé de fonctionner depuis longtemps et dans l’état actuel des choses nous sommes en état végétatif et maintenus artificiellement en vie.

Cette dite “révolution” qui nous a été offerte, nous a donné une petite lueur d’espoir pour quitter cet état de mort clinique, nous devons saisir cette chance unique en son genre car elle se compte sur le bout des doigts d’une seule main dans l’histoire de toute une nation, mais le temps presse et il ne reste plus beaucoup de temps. Mettons pour une fois nos intérêts personnels et notre ego de côté et pensons à l’avenir des futurs générations, Réveillons nous et Agissons au plus vite.

Mazigh Mourad:

Maître assistant, Département des mathématiques appliquées, Institut Supérieur d’informatique.

Toutes mes études universitaires sont faites au Canada : le diplôme d’ingénieur en génie électrique (option : Automatique et Informatique appliquée), le master en optimisation stochastique et le doctorat en théorie de jeux différentiels). Et, j’ai eu l’occasion de connaître le système universitaire Suisse et Allemand puisque j’ai travaillé à l’université de Genève et à l’université de Leipzig en tant que chercheur.

De même, j’ai eu la chance de travailler dans une institution financière canadienne et de côtoyer le cercle fermé de la haute finance. J’ai occupé aussi le poste de vice président finance dans une entreprise d’informatique. J’ai intégré le corps enseignant tunisien durant l’année universitaire 2001-2002 et j’occupe depuis cette date le poste de maître assistant en mathématiques appliquées. Je suis passé par deux institutions : l’école préparatoire d’études d’ingénieur de Nabeul et l’institut supérieur d’informatique.