Crédit image : Ramzi Bettibi
Crédit image : Ramzi Bettibi

Chokri Belaid n’a pas été tué il a été assassiné politiquement.

L’assassinat politique est défini comme un meurtre organisé, prémédité, visant une personne importante qui a une grande influence politique et que les commanditaires du crime (qui peut être un parti…un gouvernement…un état ) considèrent comme un obstacle à la propagation de leur idées, de leur objectif.

On a donc supprimé les idées…le courage…le style…l’argumentation…la conviction… un projet de société qui gagne du terrain et qui menace le projet des commanditaires…

Le crime odieux a été perpétré lâchement par un flingueur qui ne connait pas Chokri belaid au profit de ceux qui le connaissent bien.

C’est un crime d’état qui à bouleversé toute la vie politique et Chokri Belaid mort, devient plus dangereux pour ses adversaires que de son vivant.

Rapidement, Le ministère public a mis en mouvement l’action publique il a chargé un juge d’instruction pour instruire les procédures pénales dans le cadre de la loi de 2003-75 du 10/12/2003 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et la répression du blanchiment d’argent telle que modifiée et complétée par la loi n ° 2009 -65 DU 12/08/2009 et avec la même rapidité le juge d’instruction a commis rogatoirement la brigade criminelle qui va exercer tous ses pouvoirs sauf l’audition des témoins.

La brigade criminelle va donc exercer tous les pouvoirs du juge d’instruction, ce qui signifie que le juge d’instruction n’est pas le véritable maitre des actes accomplis lesquels sont déterminés par la brigade , le juge d’intruction n’a plus le pouvoir de verifier l’opportunité des actes accomplis.

La compétence

La loi de 2003 stipule que le tribunal de première instance de Tunis est seul compètent pour connaitre des infractions terroristes ce qui signifie que le tribunal militaire n’aura pas à examiner cette affaire même si des policiers sont impliqués.

Protection des témoins

Dans une procédure criminelle comme c’est le cas de l’assassinat politique de chokri belaid , le témoignage à une importance capitale non seulement pour déterminer les éléments à charge ou à décharge, mais en plus pour assurer et garantir que les témoins peuvent témoigner devant les tribunaux sans peur ni crainte pour leur sécurité.

En droit Tunisien, La protection des témoins est prévue par la loi 2003 -75 DU 10/12/2003 relative au soutien des efforts internationaux de lutte contre le terrorisme et le blanchiment d’argent.

Cette loi est largement contestée notamment par l’observatoire de l’indépendance de la magistrature, par la ligue des droits de l’homme qui recommandent de l’abroger au plus vite car elle comporte plusieurs mesures restrictives des droits et libertés, elle légalise des instructions, des perquisitions et des gardes à vues illégales.

L’alinea 2 de l’article 48 de cette loi énonce que les mesures de protection sont également applicables aux témoins, aux membres de leur famille.

Ces mesures de protections prévues par les articles 49 à 53 de la loi 2003-75 comprennent :

• La possibilité de procéder aux enquêtes et à la tenue de l’audience dans un lieu autre que sur le lieu habituel
• Procéder à l’audition des témoins recourant aux moyens de communication visuels ou auditifs sans nul besoin de leur comparution personnelle à l’audience.
• Ne pas dévoiler l’identité des personnes auditionnées lesquels peuvent élire domicile auprès du procureur de la république.
• Mention des données des témoins dans des PV indépendant, consigné dans un dossier tenu séparément du dossier initial.

Ces mesures de protections sont nettement en deca des mesures de protection prévues par la convention des nations unies contre la criminalité ratifiée par la Tunisie et qui a une valeur supérieure aux textes de droit interne.

En effet les mesures de protection prévues pour les témoins peuvent s’étendre jusqu’à leur fournir un nouveau domicile.


Justice tunisienne ou CPI ?

Il faut noter que le déroulement de l’intruction dans l’affaire chokri belaid laisse un sentiment de malaise sur un double plan :

1) D’abord la grande faiblesse du système judiciaire tunisien qui souffre toujours de l’absence d’indépendance des tribunaux , du ministére publique par rapport au pouvoir exécutif.

L’ingérence flagrante du ministre de la justice dans certaines affaires pour ne citer par exemple que l’affaire sami fehri et l’affaire sheraton est édifiante à ce titre .En effet dans cette dernière affaire la mutation du juge d’instruction et sa promotion pour occuper un poste à l’inspection est une technique reconnue et célèbre propre à ben ali pour dessaisir de juges de certains dossier, ce qui constitue une véritable parodie de justie ancienne – nouvelle !

L’echec de l’ANC de remettre sur pied l’instance provisoire indépendante de la magistrature la reconduction du triste conseil supérieur de la magistrature, les nominations répétitives des magistrats la promotions des uns la sanction des autres , la création de pôle de magistrat en dehors de tout cadre légal ne sont que quelques manifestations flagrantes de vouloir maintenir la justice sous la coupe du pouvoir exécutif agravent et prouvent l’absence de toute volonté politique réelle de concrétiser l’indépendance effective du pouvoir judiciaire.

Face à cette politique de main mise les magistrats continuent leur lutte, sit-ins, bassards rouges, décalages des horaires des audiences …

2) Au niveau du déclenchement de la procédure et même de l’instruction de l’affaire de l’assassinat de chokri belaid des manipulations dangereuses apparaissent :

• L’assassinat de chokri belaid a eu lieu au ressort de compétence du tribunal de première instance de l’ariana, ce qui signifie que l’ouverture de l’enquête et de l’instruction incombent donc au procureur de la république et au juge de l’instruction auprès du tribunal de première instance de l’arina .ces derniers ont été très vite dessaisis de leur compétence par le ministre de la justice qui a confié le dossier au procureur de la république de Tunis se basant sur la qualification du crime de terroriste et l’application de la loi n° 2003-75 du 10/12/2003 relative au efforts internationaux de lutte contre le terrorisme qui accorde une compétence exclusive au tribunal de première instance de Tunis .

Ce dessaisissement opéré par le ministre de la justice est illégal puisque c’est le juge d’instruction de l’Arianna qui doit procéder aux actes d’instruction urgents et se déclarer incompétents aussitôt après avoir decouvert qu’il s’agit d’un crime terroriste.

• Le juge d’instruction 13 auprès du tribunal de première instance de Tunis chargé irrévocablement par le réquisitoire d’information a accordé une commission dérogatoire totale à la brigade criminelle au mépris de l’article 57 c.p.p qui lui permet de commettre rogatoirement les officiers de police judiciaire s’il est dans l’impossibilité de procéder lui-même à certains actes d’informations.

• Comment peut imaginer que le juge d’instruction écoute des témoins qui accusent citent des accusés sans la présence de la brigade criminelle !

• Le juge d’instruction 15 auprès du tribunal de Tunis est chargé d’une instruction intimement lié à l’assassinat politique de chokri belaid sans aucune coordination avec le juge d’instruction 13.

• Plusieurs questions sur la qualification du crime en tant que crime terroriste demeurent sans aucune suite .en effet, la question se pose de savoir si la qualification du crime en tant que crime terroriste se base sur des indices, preuves ou à la limite début de preuve ou il ne s’agit que d’une manœuvre pour accorder compétence au tribunal de première de Tunis dont le procureur de la république et les juges d’instruction sont généralement tout proche du ministère de la justice.

• Pourquoi cette affaire d’une envergure nationale et même internationale n’a t-elle pas été confiée au doyen des juges d’instruction auprès du tribunal de première instance de Tunis ?

Face à cette dérive, à la défaillance du système judiciaire Tunisien , est – il possible de recourir à la justice internationale ?

La cour pénale internationale est une juridiction permanente chargée de juger les personnes accusées de crimes de génocide, de crime contre l’humanité ou de crime de guerre.

En principe justice nationale et justice de la cour pénale internationale ne s’opposent pas, car en ratifiant le statut de Rome les états concernés parmi lesquels la Tunisie s’engagent à adapter leur droit interne pour réprimer les crimes de génocide, crime contre l’humanité ou de crimes de guerres. Ce qui signifient s’il se commet en Tunisie par exemple un crime de guerre de génocide , ou un crime contre l’humanité les tribunaux tunisiens doivent le juger conformément au statut de Rome .

La Tunisie a ratifié le traité de Rome en 2011 , deux ans plus tard, elle n’a pas toujours modifié sa loi comme elle aurait dû le faire . les tribunaux tunisiens ne sont pas à meme donc de juger l’affaire de l’assassinat de chokri belaid conformément au statut de Rome.

Le conseil national constitutionnel est loin de s’occuper de cette question !! il en va de même malheureusement des différentes associations des droits de l’homme qui ne se sont jamais posés cette question.

Ce qui fait que dans l’état actuel des choses, le droit pénal tunisien n’est pas conforme au niveau des définitions, des procédures, des règles au statut de Rome ; Ce qui constitue une autre défaillance dans notre système judiciaire.

Peut-on recourir à la cour pénale internationale ?

En principe, l’affaire de l’assassinat de chokri belaid peut être jugée irrecevable par la cour pénale internationale puisqu’elle fait l’objet d’une enquête et de poursuites de la part de l’état tunisien.

Mais ce principe est atténuée des lors qu’il apparait que l’etat tunisien n’a pas la volonté ou est dans l’incapacité de mener à bien l’enquête ou lorsque la procédure est engagée dans le dessein de soustraire la personne concernée à sa responsabilité pénale.

En plus ,L’affaire de l’assassinat de chokri belaid ne peut pas à elle seule être porté devant la cour pénale internationale compétente pour juger les criminels de guerre , de génocide ou de crime contre l’humanité.

Par contre si elle s’insère dans le cadre de plusieurs crimes ( lotfi nagh) , de violences ,de menaces physiques , d’appel à la haine, à la mort perpétrées par les gouvernants, par l’état lui-même, par des organisations terroristes ( ligues de la haine ) soutenues par le parti au pouvoir ( ennhdha et consorts la cour devint compétente conformément aux articles 5 et 7 du statut de Rome.

En effet on est là face à un crime contre l’humanité tel que défini par l’article 7 sus indiqué aux termes duquel du statut de la CPI.

Il faut noter que n’importe qui( citoyen- association – militants des droits de l’homme …) peut porter plainte devant la cour pénale internationale pour crimes contre l’humanité et sans l’assistance d’avocats.

Il suffit de préparer un dossier comportant toutes les informations , les preuves et de l’envoyer au bureau du procureur à la Haye à l’adresse suivante :

Cour pénale internationale
Bureau du Procureur
Unité des informations et des éléments de preuve
Boîte postale 19519
2500 CM La Haye
Pays-Bas
Fax: +31 70 5158555
Email: otp.informationdesk@icc-cpi.int