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Par Farhat OTHMAN

Contrairement à ce que pensent certains esprits encore éblouis par la modernité occidentale pourtant évanouie, le fait religieux est plus vivant que jamais. Le retour du religieux est même la marque majeure de la postmodernité, notre époque actuelle. Et cela est vérifiable partout dans le monde sous des formes diverses.

Certes, durant la période déjà finie de la modernité occidentale, on a cru enterrer Dieu et la religion; or, on n’a fait que désenchanter le monde.
Avec la postmodernité que nous vivons, le réenchantement du monde est, en fait, un retour à la religion. Plus que jamais, le droit au sacré est revendiqué et s’impose à tous.

Toutefois, que l’on y prenne garde; il ne s’agit pas nécessairement de retour à une forme rigide de la religion, salafie par exemple comme on le voit chez nous, mais à une forme plutôt populaire de spiritualité.

Or, cette religiosité de nouvelle génération est en gestation en Tunisie.
Car l’islam n’est pas qu’un culte; il est une culture. Aujourd’hui, on doit le dire et le redire.

On doit aussi rappeler à ceux qui l’oublient que notre religion est universelle et est rationnelle, ne répudiant aucune tendance avérée de scientificité.

Puis, l’islam n’appartient pas à une coterie ou à des savants autoproclamés en sciences religieuses. L’islam abolit tout intermédiaire entre Dieu et ses fidèles; aussi, ils n’ont de compte à rendre qu’à Lui. Et, surtout, ils ont son Livre et la Tradition de son prophète pour y trouver la guidance de leur comportement. Ils n’ont besoin en cela ni de clercs ni d’église.

Aussi, on ne peut plus se contenter de se retrancher derrière un héritage qui fut assurément riche et grandiose, mais qui ne nous dispense pas de l’obligation d’en faire l’inventaire afin de l’enrichir encore et toujours davantage aux lumières de notre religion.

L’islam commande d’user de la raison et d’innover au lieu de ressasser ce qui ne fut que l’œuvre géniale de jurisconsultes ayant entrepris l’exégèse et l’herméneutique de leur religion pour leur temps et rien que pour leur temps.
Cela a donné un corpus qui a satisfait des générations de musulmans; mais qui n’est plus d’actualité, ne trouvant aucun écho dans les cœurs des nouveaux fidèles, notre jeunesse.

Que voit-on, en effet ? À l’exception de quelques minorités activistes usant de force et de violence, agissant par mimétisme en robots sans cervelle, nos jeunes se désintéressent des préceptes de notre religion, ne se reconnaissant nullement dans le moule obscurantiste où elle se trouve coulée.

Pourtant, pour qui sait lire correctement le Coran avec un esprit libre et libéré des conditionnements antiques et qui interprète honnêtement la geste prophétique, il y a moyen de trouver des enseignements en phase avec les exigences des jeunes d’aujourd’hui, n’étant en rien opposés à leur élan vital, leurs désirs et leurs rêves.

Aujourd’hui, en notre temps postmoderne, on ne peut plus vivre sur le legs de nos ancêtres et délaisser les trésors de notre religion qui sont encore plus beaux s’ils étaient confrontés aux impératifs du temps présent.

L’islam est la religion postmoderne par excellence; or, à nous accrocher à une conception éculée, une interprétation dépassée, celle léguée par des jurisconsultes géniaux, mais dont le génie était approprié à leur temps, on fait du tort à notre islam, le ramenant au statut d’une religion dépassée. Et d’un islam des Lumières on fait une religion des ténèbres !

Que ceux qui se prétendent révolutionnaires en ce pays, tout en se réclamant d’un islam que la dictature déchue ne renierait pas, se le disent donc : L’islam de papa et de papy, c’est fini !

Pour retrouver vivace notre foi dans les cœurs des jeunes, il faut leur parler de leur religion selon les canons de leur temps, une religion postmoderne, forcément. Et je parle de tous nos jeunes, y compris de ceux qui dansent dans leurs lycées comme leurs semblables dans le monde entier, car il est un temps pour tout; et notre religion est la première à honorer la danse et l’amusement comme étant indispensables à la santé de la jeunesse.

Parler aux jeunes de leur religion selon la mentalité de leur temps est bien possible et se fera, qui plus est, en total respect de l’authenticité même de l’islam, en nous référant à son esprit, à ses visées. En effet, en nous liant au texte qui ne reflète qu’une partie minime de la parole divine, on ne le respecte point; cette parole, outre son apparence formelle, ayant un génie qui est son esprit et où se concentre le message divin véritable par-delà le temps et l’espace, étant éternel.

Certes, dans notre pays, on ne se rend pas assez compte encore de cette réalité que je décris et qui travaille comme une centralité souterraine en sous-sol de notre socialité. Cela a essentiellement pour cause l’accès de fièvre extrémiste qui n’est que le résultat logique de tant d’années de dictature et d’oppression. Mais, la religion en Tunisie ne sera pas celle dont rêvent ces égarés, et certainement jamais à l’image de ce que nous connaissons au Moyen-Orient, ne serait-ce que parce que ces pays n’ont pas réalisé ce qui constitue l’honneur de la Tunisie, son Coup du peuple.

De plus, l’islam tunisien, déjà bien avant la révolution, avait son originalité propre, tirant sa spécificité d’une composition ternaire, étant basé sur le rite malékite, avec un zeste du rationalisme asharite et surtout un attachement certain, bien ancré dans la population, au soufisme d’origine, cet islam spirituel de grande facture.

Ce n’était déjà que l’islam de nos parents; et les jeunes d’aujourd’hui ont besoin d’encore plus d’originalité pour non seulement comprendre leur religion, mais aussi bien apercevoir qu’elle compose leur identité.

Or, qui parle d’identité, sauf à accepter qu’elle soit perturbée, débordant de troubles psychologiques et du comportement, ne peut envisager une religion qui ne parle pas aux jeunes, ne cadre pas avec leur vie de tous les jours.
Il leur faut donc un islam de leur temps, ce temps d’internet et des technologies de communication. Et notre islam, qui est fondamentalement révolutionnaire et est éternel dans sa prétention à l’universalité et à la scientificité, est le fait religieux le plus adapté à notre temps. Il est même de ce temps dans son esprit, bien évidemment, et pas sa lettre.

Aussi, il nous faut retrouver, en notre Tunisie révolutionnaire, un islam qui soit cette révolution qu’il a été et qu’il reste, un islam toujours d’actualité étant le sceau des Écritures saintes. Il est donc temps de proclamer la Tunisie pays de l’i-slam ! Quèsaco?
La neuvième lettre de l’alphabet français désigne aujourd’hui tout ce qui a trait au monde virtuel et à la circulation de l’information via internet; c’est plus qu’une manière d’être, une philosophie, et c’est la religion profane d’aujourd’hui.

Le slam, mot d’origine américaine pouvant signifier, en argot, la claque, l’impact, est synonyme, en français, de poésie orale, ouverte à tous. Très exactement, c’est une déclamation publique faite pour surprendre et émouvoir l’auditoire.

Or, qu’est-ce que l’islam sinon ces préceptes universels, cette inspiration spirituelle humanitaire qui est à la base du respect de la règle partagée spontanément comme tout ce qui se partage sur les réseaux sociaux. Et ses signes extérieurs ne sont-ils pas le symbole désignant la qualité de la distinction de la communion en des valeurs suprêmes immatérielles telles celles réunissant les adeptes des mondes virtuels ?

Qu’est-ce que l’islam, lorsqu’on écoute le coran, sa substantifique moelle, sinon cette déclamation qui charme et qui fait venir les larmes aux yeux du fait de sa splendeur formelle et sa sagesse matérielle ? Que serait l’islam, selon la tradition du prophète, sinon un hymne à l’art de vivre et l’appel à l’harmonie avec la nature ?

Aussi l’islam est bel et bien aujourd’hui, au pays de la révolution 2.0, un i-slam !

Notons, par ailleurs, que le slam peut désigner également ce plongeon que l’artiste fait, de nos jours, dans la foule pour qu’elle le porte à bout de bras, créant une communion avec elle, une symbiose absolue. Nos nouveaux religieux s’adonnant à l’i-slam seraient alors tels ces artistes pour une osmose inévitable entre tous les croyants musulmans, les sublimes préceptes coranique étant une sorte de plongeon dans leurs consciences.

Enfin, pour revenir au sens originel de l’argot américain, l’appliquant cette fois-ci à tous ceux qui nient l’importance de la religion en notre postmodernité, l’i-slam serait alors comme une claque qu’ils recevraient en voyant auprès des foules, notamment jeunes, l’impact considérable qu’il mérite, un accueil chaleureux digne de ce qu’ils réservent habituellement à leurs grands artistes préférés.

Alors, souhaitons en Tunisie la bienvenue à l’islam postmoderne, cette religion spirituelle, une religion des Lumières ainsi qu’elle le fut des siècles durant, illuminant le monde plongé dans les ténèbres.

Saluons donc l’avènement de l’i-slam en Tunisie, berceau du printemps arabe; disons tous, en Tunisie Nouvelle République : Bonjour i-slam !