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Une info est sortie il y a quelques temps : à Thala le taux de prévalence (1) de l’hépatite C serait de 8,23% selon un dépistage organisé par une association. Le ministère de la Santé s’est empressé de démentir. Et les médias ont, tour à tour, publié des articles sans que personne ne réussisse à démêler le vrai du faux. Entre le risque d’ostraciser une partie de la population et celui de créer une psychose autour d’une pandémie, une bataille des chiffres s’est jouée. Au final à Thala la prévalence ne semble pas plus importante qu’ailleurs si on s’en tient aux annonces du ministère de la Santé. Une chose est sûre cette affaire aura permis de mettre en lumière le manque de certitude du ministère de la Santé quant à cette maladie ainsi que la situation des malades qui ne sont pas toujours pris en charge.

L’hépatite C est une maladie infectieuse transmise par le sang. Elle s’attaque au foi et peut passer inaperçue tant qu’elle n’est pas en phase active. En Tunisie, comme ailleurs, des personnes sont atteintes par le virus. Il y a peu de temps un homme politique faisait une sortie à ce propos : la prévalence serait de plus de 8% à Thala. Une annonce qui a étonné, puisqu’elle ne concorde pas avec les chiffres des autorités publiques.

Pour Lotfi Mraihi le taux de prévalence à Thala est de 8,23% pour les autorités il est 0,27%

Il y a quelques temps le SG de l’Union populaire républicaine (UPR), Lotfi Mraihi déclarait que la prévalence de l’hépatite C était de 8,35% à Thala. Des chiffres que le ministère de la Santé s’empressait de démentir, affirmant qu’il n’y avait pas de propagation de la maladie et que le taux de prévalence n’était pas si élevé.

Renseignements pris au prés de l’Institut Pasteur, la prévalence en Tunisie se situerait entre 0,2 à 0,4 % dans la population.

Pourquoi alors M. Mraihi avance-t-il le chiffre de 8,23% ?

Il explique avoir mené une enquête pour le compte d’une association en été 2011. A l’époque la rumeur courait qu’il y avait beaucoup de personnes atteintes par l’hépatite C à Thala. Il y a eu volonté de vérifier ces dires.

L’association a l’origine de l’initiative de dépistage a donc pris contact avec le bureau du groupe pharmaceutique Roche à Tunis qui a fourni 1000 kits de test, sous forme de bandelettes et a mis l’association en contact avec un laboratoire privé. Pendant deux week-ends, le local du parti de Lotfi Mraihi a ouvert ses portes à la population pour qu’elle puisse se faire dépister. Quelques jours avant les week-ends de dépistage, des annonces avaient été faites dans la ville. En tout, cinq cent personnes auraient été dépistées, en se présentant avec leur carte d’identité directement au local du parti politique. M. Mraihi explique que lorsque le test par bandelette était positif il y avait prélèvement et envoi de sérum au laboratoire pour un deuxième test.

C’est à ce moment là que la situation se serait compliquée. Au vu du nombre de résultats positifs, le laboratoire aurait demandé l’arrêt d’envoi de prélèvement et le laboratoire Roche aurait demandé à ce que les kits non utilisés soient retournés. M. Mraihi explique avoir refusé de le faire.

Début janvier M. Mraihi entre en contact avec le ministère de la Santé pour l’alerter. Pas de réponse immédiate. Il faudra attendre deux semaines pour une réaction sous forme de démenti, le taux de prévalence serait de 0,001 % d’après le Dr Mondher Ounissi, chargé de mission au ministère de la Santé.

L’étude menée par M. Mraihi n’aurait pas été faite sur une population représentative, les pouvoirs publics se basant généralement sur les chiffres de la Banque du sang ainsi que sur les dépistages faits au sein des services hospitaliers alors que l’étude de M. Mraihi a été faite sur des volontaires. Par ailleurs le test par bandelette donnerait beaucoup de faux positifs, explique-t-on au ministère de la Santé. Mais le fait est que M. Mraihi a également fait des tests sérologiques puisqu’il était en contact avec un laboratoire.

Sur la forme, M. Mraihi se défend en expliquant qu’il n’a pas réalisé une enquête exacte, qu’il avance ces chiffres avec circonscription et qu’il souhaite surtout que les autorités publiques agissent. Sur le fond M. Mraihi n’aurait pas fait remonté les résultats de l’étude au ministère avec le nombre de personnes atteintes. Pourtant si cela avait été le cas le ministère aurait pu recouper ces résultats avec les informations qu’il possède afin de vérifier si oui ou non il y a augmentation du nombre de personnes atteintes.

Quoiqu’il en soit l’annonce du chiffre de 8,23% aurait eu un effet bénéfique puisqu’une campagne de dépistage a ainsi été mise en place par le ministère. Contacté par téléphone Afif Ben Salah, à la direction des soins de santé de base du ministère de la Santé explique que :

« Pour nous toute information en rapport avec la santé du citoyen est précieuse et dès que nous avons entendu parler de cette affaire nous avons fait une investigation sur place avec différents experts ainsi que l’Institut Pasteur. »

La recherche est toujours en cours d’après le directeur régional de la santé à Kasserine : plus de 3000 personnes seraient en cours de dépistage pour réaliser une étude représentative. Il s’agit donc de se baser sur une collecte de données auprès des services hospitaliers et de la banque du sang.

A l’hôpital de Thala un responsable explique que le chiffre avancé de plus de 8% est exagéré. Même remarque à la Direction régionale de la santé à Kasserine. Il s’agirait d’un coup médiatique pour un parti politique selon le responsable.

Lotfi Mraïhi explique, lui, que l’idée était surtout d’alerter les pouvoirs publics. Il ne s’agit pas d’un effet d’annonce et dit n’en tirer aucun avantage. « Cette étude a été faite en été 2011, nous connaissons les chiffres depuis octobre 2011, nous aurions pu nous en servir à l’époque pour nous attirer la sympathie électorale. Ce n’était pas le but. Nous ne voulions pas mettre en danger la situation sécuritaire du pays, nous avons donc attendu qu’il y ait un gouvernement et un ministère de la Santé en fonction pour alerter les pouvoirs publics. »

Préoccupation de la population

Suite à la déclaration de Lotfi Mraihi le ministère de la Santé a réagi en lançant une campagne d’analyse à Thala. Un certain nombre de personnes se seraient présentées spontanément pour faire le dépistage, d’après un membre du personnel de l’hôpital à Thala. Une partie de la population a semblé préoccupée par la question.

Pire, une nouvelle a commencé à tourner : des personnes malades depuis des années n’auraient pas été informées de leur situation alors même que les autorités étaient au courant.

Le 31 janvier près d’une centaine de personnes ont été convoquées à l’hôpital de Thala pour venir faire des tests. Une des personnes convoquées aurait reçu la veille de l’examen la visite d’un personnel soignant qui l’aurait averti du fait qu’elle était atteinte par le virus. Ce malade dit n’avoir jamais été informé de son état avant ce jour. Ils seraient plusieurs personnes dans ce cas.

Difficile à croire pour le directeur de l’hôpital de Thala qui explique qu’en Tunisie toute maladie transmissible bénéficie d’un programme national, que dès qu’il y a dépistage d’un cas la personne est informée ainsi que les autorités publiques.

Même déclaration au niveau de la direction régionale de la santé à Thala et au ministère de la Santé. Dès qu’un cas est dépisté la personne est informée de son état, les autorités sont prévenues et une lettre est adressée au service de gastro-entérologie pour prise en charge.

Sauf que toutes les personnes atteintes ne sont pas prises en charge. Suivant le stade de la maladie il n’y a pas forcement besoin de thérapie médicamenteuse, explique un professionnel de la santé.

Mais surtout si les patients n’ont pas de couverture CNAM ils ne sont pas soignés, ce qui est le cas de nombreux Tunisiens. Il y a donc en Tunisie des personnes atteintes par le virus, mais qui n’ayant pas de couverture CNAM et pas les moyens financiers de se soigner ne bénéficient d’aucun suivi.

En Tunisie il n’y a pas de prise en charge automatique de toutes les personnes atteintes par l’hépatite C pour le moment

Selon M. Mraihi s’il y a eu volonté d’étouffer l’affaire c’est qu’il y a connivence entre les organismes publics pour ne pas prendre les malades en charge. « Il y a beaucoup de négligence. Il y a des gens atteints qui ne le savent pas et il y a des gens qui sont atteints mais qui sont sans traitement car ils n’ont pas de couverture CNAM. »

Au siège du laboratoire Roche un responsable expliquait que faire le test sur des personnes sans couverture CNAM ne servait à rien puisqu’elles ne bénéficieraient pas d’un suivi médical. Et il avait raison.

Bilel Mahjoubi de l’association ATL/MST SIDA témoigne :

« Le problème en Tunisie c’est que l’Etat ne prend pas en charge les porteurs de l’hépatite C. C’est pourtant une maladie chronique grave. »

Khaled est atteint par l’hépatite C. Il l’a appris alors qu’il était en détention en 2008. Il n’a jamais bénéficié de soin, de médicament ou de suivi médical. Au contraire il a tout de suite été mis au ban : « Je me suis retrouvé dans le pavillon spécial pour les personnes atteintes du HIV et des maladies vénériennes. Une sorte de mise en quarantaine pour les malades. »

Khaled est maintenant en contact avec l’association ATL (Association de Lutte contre le Sida) et il essaie de faire de la prévention autour de lui. Une prévention nécessaire car selon lui le taux de personnes contaminées serait extrêmement élevé chez les jeunes. Lui essaie d’expliquer aux jeunes consommateurs de drogues injectables que les seringues sont à usage personnelle par exemple, pour qu’il y ait moins de contamination.

Le dépistage et les soins coûtent trop cher, voilà pourquoi personne ne veut payer pour eux :

« Les pouvoirs publics nous considèrent comme des animaux, des personnes qui ne méritent pas de vivre et nous laissent sans aucune prise en charge…Je suis un mort vivant, je n’ai aucun avenir, tout ce que je peux faire maintenant c’est d’aider d’autres personnes à ne pas tomber malade. »

Et Khaled a raison de se soucier des autres car les autorités publiques ne semblent pas le faire.

Le Dr Ben Salah à la direction des soins de santé de base au ministère de la Santé le dit lui-même : il n’y a pas de prise en charge gratuite de tous les malades pour le moment en Tunisie, mais cet évènement devrait faire bouger les choses : « nous devons arrêter de traiter les gens au cas par cas. On ne peut plus laisser les gens dans la nature après leur avoir annoncé une telle nouvelle. Nous devons aller vers une prise en charge générale. »

Reste à espérer que le pouvoir politique aille dans ce sens et mette en place les moyens nécessaires.

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(1) Prévalence : Terme de l’épidémiologie : nombre de personnes atteintes d’une certaine maladie à un moment donné dans une population donnée.