fmi-bm-tunisie

La Tunisie va bientôt signer un accord avec le FMI sur un prêt de 2,7 milliards de dinars tunisien remboursable sur 5 ans avec une période de grâce de 3 ans et 3 mois et adossé à un programme de réformes structurelles de deux ans.

Nous avons déjà publié un article décrivant l’ensemble des réformes annoncées, mais deux documents classés, ultra-confidentiels nous permettent de mieux comprendre les détails de l’accord que la Tunisie s’apprête à signer. Le premier document est une lettre d’intention à l’attention de Christine Lagarde, la présidente du FMI et signée conjointement par Chadly Ayari, gouverneur de la Banque Centrale et Elyes Fakhfekh, le Ministre des Finances. Le deuxième document, sous forme de tableaux contenant le calendrier 2013 pour la mise en place des réformes structurelles.

Tout d’abord nous remarquons que la Banque Mondiale pilote la plupart des projets économiques mentionnés dans la lettre d’intention. Celle-ci avec “son grand frère” le FMI semblent faire main basse sur la politique économique du pays en dirigeant la plupart des chantiers économiques, selon le document, et en faisant passer les recommandations classiques du FMI lors de la préparation du budget 2013 afin que les réformes structurelles soient plus facilement acceptées. Une ingérance flagrante dans la politique économique du pays.

Sachant que ces deux institutions, piliers du Consensus de Washington, se trouvent largement critiquées par plusieurs organisations internationales ainsi que par des économistes de renom, qui leurs reprochent d’être les outils à travers lesquels les Etats-Unis et les pays du G8 font main basse sur les économies dans le monde. Il est aussi important de rappeler que leurs interventions dans des pays comme l’Indonésie, l’Argentine, la Coré Du Sud, le Ghana et bien d’autres pays en Afriques, ont souvent aggravé les crises économiques de ces derniers.

Le plus frappant dans la lettre d’intention est l’écart entre les chiffres annoncés dans la lettre d’intention et les chiffres officiels déclarés, notamment, le taux d’inflation, le taux de croissance ou le déficit budgétaire.

Aussi dans un article publié auparavant nous avons mentionné le cas de la Mauritanie où le FMI a été soupçonné de falsification des indicateurs économiques (lien dans mon article FMI) pour le bénéfice du gouvernement. Les doutes quant à la récurrence de la même tricherie envers le peuple tunisien ont eu raison depuis la conférence de presse où Mr Mati représentant du FMI, le ministre de la finance et le gouverneur de la BCT ont balancé des chiffres erronés sur le niveau de la dette.

Notre gouvernement et le FMI doivent non seulement apprendre à mieux mentir au peuple mais aussi à mieux coordonner leurs mensonges.

Cependant, dans cette lettre d’intention formelle adressée au FMI, le gouvernement semble adopter plus de transparence que dans les médias où il masque les chiffres et évite de donner des explications sur le fond des problèmes économiques et du déficit budgétaire. Dans l’analyse qui suit, nous relèverons à partir de ces documents plusieurs incohérences et des détails assez pertinents.

⬇︎ PDF

Dans la lettre d’intention nous retrouvons un aveu clair quant aux causes de l’hémorragie des dépenses qui ont agravé le déficit budgétaire. Ainsi des dépenses ont été crées lors du gouvernement Beji Caid el Sebsi, notamment le programme « Amal », et perpétués dans le gouvernement actuel. Ensuite, l’hémorragie a été amplifiée, et des dépenses supplémentaires sont venues alimenter les augmentations de salaires non justifiées sous le gouvernement Jebali.

Une fois ces sources de dépenses créés, au lieu de les stopper ou les redéfinir, il y a eu, au contraire, un recours très facile à la dette qui engagera dans l’avenir plusieurs générations de Tunisiens. Ceci ne peut être interprété que par une mauvaise gestion des ressources et des dépenses, en gros une mauvaise gouvernance.

Ce document montre par ailleurs dans son ensemble, une faible approche pragmatique sur le long terme pour le développement économique, à l’exception des réformes relatives au secteur bancaire, qui sont indispensables et qui doivent être encouragées sous certaines conditions.

En ce qui concerne la croissance, le document propose un taux ultra optimiste de croissance prévisionnelle pour 2014 (4%) alors qu’aucun mécanisme de croissance ou de développement n’est envisagé pour atteindre ce chiffre comme nous l’avons expliqué précédemment.

Ce taux de croissance qui ne tient pas compte de l’instabilité actuelle du pays ainsi que du manque de confiance des investisseurs, ne pourra être approché qu’avec les mêmes méthodes qui ont été utilisées en 2012 afin de truquer la véritable croissance économique du pays. C’est à dire les augmentations de salaires dans le secteur public.

Mis à part le fait que nous devons nous endetter pour financer les augmentations de salaires qui creusent le déficit budgétaire, celles-ci n’auront pas d’impact significatif sur l’amélioration du niveau de vie des fonctionnaires puisqu’elles sont simultanément accompagnées d’une augmentation des prix sur le marché. Par contre, il faut noter que cela relève d’une injustice sociale importante car dans le secteur privé les salaires n’augmenteront pas face à une augmentation exponentielle du coût de la vie.

Par ailleurs, ce document particulièrement intéressant nous fournit enfin une explication du «schéma de soutiens de ménages ciblés » qui sera mis en place. En effet, le document mentionne des transferts d’argents aux familles nécessiteuses. Ces aides sociales, si elles sont mal gérées pourrainet faire l’objet de détournements de fonds et de corruption. Je rappelle que la classe moyenne en Tunisie représente 89,5% selon la BAD. Sachant que ceux qui sont vraiment dans le besoin n’ont probablement pas de compte bancaire, il est donc important de se poser des questions sur les modalités des “transferts monétaires” qui seront mis en place.

Notons aussi que la date de mise en place de ce programme (Août 2013) coïncide avec la période électorale, ce qui mène à soupçonner que ces fonds seraient utilisés pour enrichir d’autres personnes que les familles nécessiteuses.

voir ci- dessous le calendrier de déclenchement de ces aides

⬇︎ PDF

En ce qui concerne la réforme du système bancaire, la recapitalisation des banques publiques est essentielle mais ne doit pas se faire sur le dos du contribuable et à coup d’amputations des subventions. Les Tunisiens n’ont pas à payer les dettes douteuses du clan des Ben Ali, des Trabelsi et leurs alliés alors que plusieurs d’entre eux sont en Tunisie et jouissent jusqu’à aujourd’hui d’une impunité totale et intrigante.

Par ailleurs, il est à noter que le citoyen tunisien vit déjà très mal la crise économique et l’augmentation des prix, ajoutons à cela les réformes structurelles douloureuses recommandées par ces institutions internationales. La crise sociale sera dure et le gouvernement ne prévoit malheureusement aucune mesure sérieuse pour remédier à cela. Pire encore, il s’agit de freiner les crédits à la consommation ce qui étranglera le consommateur tunisien et diminuera la consommation considérée comme un moteur de la croissance économique.

De plus, le gouvernement dans cette lettre à l’IMF mentionne que la société civile approuve le nouveau code des incitations aux investissements alors que ce code est jusqu’à aujourd’hui inconnus par tous, et n’a jamais fait l’objet d’un débat national ni à l’ANC ni même au sein des organismes intéressés, et ce en dépit des enjeux économiques de grande taille que représente celui-ci.

Le site BusinessNews a été à l’origine de quelques fuites, il y a quelques jours, lorsque notre propre code a été présenté, en avant-première, devant l’Assemblé Nationale Française. Ces fuites avaient crées la surprise générale au sein de la société civile.

Dans un climat politique tendu caractérisé par un manque de coopération des partis politiques, la Troïka a préféré laisser des institutions étrangères lui fabriquer sa politique économique plutôt que de faire confiance à la société civile et aux nombreuses compétences locales.

Ces institutions ont saisie l’opportunité pour faire main basse et diriger l’économie, confisquant ainsi la souveraineté nationale de la Tunisie. Une source au sein de la Banque Européenne qui veut garder l’anonymat a même noté à ce sujet « ils signent là où on leurs dit de signer ». Dans ce contexte, Il y a un besoin urgent de dialogue national sur la politique économique du pays, c’est notre pays à tous et nous devons tous réfléchir à son bien être économique sans aucune exclusion surtout que nous aurons tous à payer cette dette. Aucune considération ni agenda politique ne doivent être mis en avant et primer sur l’intérêt de la nation.