L’affiche de l’atelier « Luttes et Expressions Artistiques », tenu hier mercredi 27 Mars de 16 à 18h30, au Campus Universitaires de Tunis, dans le cadre du Forum Social Mondial 2013, parle d’elle-même. « La révolution culturelle tunisienne » écrite en lettres calligraphiques arabes, noires charbon, sur un fond parsemé de taches de sang. Est-ce celui des martyrs de la révolution, ou bien est-ce celui, symbolique, de ses victimes postérieures ? Taches d’une beauté et d’une esthétique irréductibles, et justement éparpillées sur le support, qui fait surgir de ces gouttes emplies d’hémoglobine, une réalité implacable. Sur le ton de l’affirmation, toutefois avec une question sous-jacente: « La révolution culturelle tunisienne a-t-elle eu lieu ? Est-elle en train d’avoir lieu ? Ou bien va-t-elle avoir lieu ?
Une chose est sûre : elle doit avoir lieu. L’ensemble des intervenants présents lors de l’atelier « Luttes et expressions artistiques » l’ont affirmé comme un devoir de citoyenneté et de combat pour la libération des sociétés encore embrigadées, ou en risque d’embrigadement. Initiative de réflexions mises en place par l’association « Le Manifeste 20 Mars » qui « défend un projet sociétal où chaque individu peut, et doit avoir accès aux productions artistiques existantes tout autant que la possibilité d’entreprendre dans la création et l’expression elle-même », l’organisation a annoncé sa rencontre comme « un atelier interactif de réflexion et d’échange en rupture avec toute forme de séminaire unilatéral », voulant d’emblée axer les idées des participants, sur le terrain de la praticité et de la circulation des expériences comme une action concrète et directe.
Sur l’asphalte Tuniso-tunisienne, la révolution est en marche. La plus exacerbée, la plus profonde et la plus passionnée. Celle qui n’a aucune démagogie est bien celle qui se déroule « in-situ » à l’instant « T » dans la rue, cet espace de lutte et de contestation par excellence, espace naturel des Hommes, celui où tous sont égaux.
Comme un commencement et/ou un aboutissement à l’action voir à l’actionnisme qui s’est emparé de la rue tunisienne depuis les périodes pré et post révolutionnaires débutées fin 2010, l’artiste, le penseur, le citoyen tunisien a littéralement arraché l’espace public au politique, qui se l’était illégalement, car de manière illégitime, approprié. Consciemment et inconsciemment, l’artiste a compris que la révolution culturelle dont nous parlons, celle que nous vivons peut-être sans le savoir, passerait de facto par le réinvestissement de l’espace public.
Il n’est donc pas hasardeux que toutes les expressions artistiques tunisiennes post-révolutionnaires ont pris la rue comme scène d’action et de réaction. Les artistes sont devenus acteurs, ARTistes actEURS de leur temps, dans l’instantanéité et la simultanéité. Pas de révolution, sans révolution culturelle. Pas de révolution culturelle sans une remise en forme et en fond des idées reçues et préétablies, des valeurs et des principes traditionalistes et archaïques, jusqu’ici bien ancrés dans les strates profondes des couches des mentalités. Une remise en question dans le contenu et dans les contenants des établissements spirituels et systématiques.
Alors, l’Art non seulement accompagne les révolutions, mais les artistes soulèvent les peuples dans la mesure où ils touchent leur conscience. S’ils travaillent de manière alternative et souterraine en ramifiant les batailles et les luttes sociales avec pour seul moteur leur liberté d’action, les artistes n’en demeurent pas moins de vrais résistants quand l’occupation des esprits par le système se fait pressente et présente pour conditionner les sociétés.
Tous ces points d’affrontements problématiques, remarques et considérations autour des approches qui font les « luttes et expressions artistiques », donc qui annoncent ou installent les révolutions culturelles, ont été abordés et discutés lors de l’atelier du même nom. Ce, en prenant appui sur les différentes recherches et démonstrations des intervenants et collectifs présents, ceux qui ont marqué la scène artistique urbaine de ces deux dernières années, par leurs actions hybrides, entre citoyenneté, militantisme et néo-approche esthétique.
Le Collectif Street Poetry- Klem Chere3, qui a installé une sorte de poésie dialectale dans l’espace et les places publiques, le collectif Lab’Z Orchestra, qui a donné à l’art urbain une dimension expressive où le festif côtoie le ludique, Bahri Ben Yahmed de l’association « Art Solution » et du projet Danseurs- citoyens, Rafik Omrani, réalisateur tunisien et activiste pour la diffusion des expressions numériques, Fathi Bel Hadj Yahia, écrivain et penseur, entre autre défenseur des cultures alternatives et expressions des minorités, Ayoub Jaouadi, metteur en scène de l’expérience théâtrale « l’Avenue », et bien d’autres participants, ont pu discourir individuellement et tour à tour, toujours dans un partage de points de vue communs, leur visions de la lutte, leurs vision de l’art, et leurs visons de l’art comme un des moyens pour la lutte.
Évoquant tous la « Rue » comme étant un élément qui impose des choix artistiques et qui s’impose de lui-même, l’art qui s’y place et s’y assiège en profondeur et non pas en surface, ne peut revêtir que l’habit de la contestation, donc de la lutte. En total rupture avec l’art dit « traditionnel », dans la mesure où il reste enfermé dans ses espaces institutionnalisés, l’artiste citoyen qui va le chercher sur son territoire, désobéit aux normes et aux diktats esthétisants, que le pouvoir en place a trop longtemps contrôlé. Oui, nous pouvons « renverser le régime » par l’art, et ce n’est pas simple vicissitude si les artistes ont, de tous temps, fait peur aux politiques.
L’importance des valeurs humaines et des fondements partagés entre des individus autour d’une même cause intensifie la lutte et rend légitime n’importe quel combat. Celui des artistes également. Si les révolutions sont des soulèvements collectifs donc des actes d’ordre cognitif, l’artiste dans un rendu très souvent individuel, souvent en huis-clos, se renvoie tour à tour ses interfaces et ses interférences idéelles subjectives. Alors, l’identité de l’artiste dit « révolutionnaire » dans la mesure où il tend au changement et à la possibilité d’un autre monde et d’une autre culture, n’est-elle justement pas de se constituer en collectif et d’agir en groupe comme masse d’intervention d’abord populaire?
Nous parlons d’évolution de culture et non pas de « nouvelles » cultures, et tous ces collectifs participants à l’atelier « Luttes et expressions artistiques » ont bien affirmé qu’ils n’attendent rien des institutions, car l’art doit se faire par ses protagonistes, et non grâce au système. Grande différence entre l’artiste pionnier et créateur, et l’artiste passif et consommateur qui attend l’argent des ministères pour proposer de l’ « art ».
En somme, toutes ces expressions alternatives encore marginalisées par le système et le politique et le pouvoir en place pourraient-elles respirer avec leur concours et/ou leur encouragement ? L’essence de toute lutte, artistique ou autre, n’est-elle pas d’être dans la désobéissance et l’indignation ?
Être libre c’est déterrer sa liberté de la terre qui l’a engloutie. La révolution tunisienne a su créer son propre théâtre, elle a donc crée par là même sa propre esthétique. Une lutte… artistique… finale. pour les partances et les mouvances révolutionnaires. Artistiques. Citoyennes. Humaines.
Selima Karoui.
Vous avez investi la rue pour démarrer la révolution culturelle, c’est bien! C’est très bien!
Mais pourquoi exclure? Pourquoi prétendre que c’est le seul endroit où la révolution culturelle se fait? Pourquoi exhiber les muscles sur une scène où l’art devrait vibrer de patriotisme, d’amour et de bonté?
Vous décidez donc que ceux qui ne descendent pas dans la rue parce qu’ils sont devant leurs chevalts, leurs recherches, leurs livres ne participent pas à la révolution culturelle?
L’art et la culture ont besoin de modestie comme de l’oxygène…
C’est le premier pas vers la révolution culturelle en Tunisie car elle doit détruire la “hograh” envers quiconque et n’importe qui…