Par : Mohamed Arbi Nsiri
Chacun écrivant sur la démocratie, commence par distinguer les démocraties « directes » de celles « indirectes » dites aussi démocratie représentative. Ceux qui se concentrent sur les institutions opposent parfois la « démocratie des assemblées » à la « démocratie parlementaire » ; mais la distinction est la même car dans une démocratie directe, le peuple se gouverne effectivement lui-même, c’est-à-dire que chacun a le droit de la prise de décision comme l’était le modèle grec antique, tandis que l’autre système repose sur le choix des représentants du peuple pour prendre des décisions au nom du groupe.
Les analyses conceptuelles affichent toujours à assurer que la démocratie directe n’existe plus du moins dans les États moderne contrairement à la conception antique. Cette indiscutable vérité tend à être suivie de l’affirmation qu’une telle démocratie ne peut plus subsister à cause de la taille des sociétés contemporaines.
Néanmoins, on peut adopter une démarche différente, tournée vers d’autres types d’expériences humaines ce qui tend à prendre des formes variables selon le contexte historique. Le monde anglo-saxon a porté son attention vers les cités-États grecques de l’époque classique et plus précisément à la démocratie athénienne ; c’est pourquoi il est irrésistiblement attiré par cette conception politique traduite dans les assemblées communales (The town meeting) du 17ème siècle.
Les français, depuis Jean Jacques Rousseau, ont en outre tourné leurs regards vers la Rome antique pour trouver la source inspiratrice. Cependant, certains chercheurs allemands se mettent joyeusement en route vers la Stadtstaat inspirée des cités italiennes de la Renaissance pour dessiner les traits d’une nouvelle doctrine politique marquée par une grande fécondité du sens et par une profondeur conceptuelle.
Au cours des deux derniers siècles, plusieurs définitions ont été proposées, révélant combien le néologisme sollicite particulièrement la réflexion des chercheurs, en histoire comme dans les disciplines voisines. Intrinsèquement polysémique, la notion ou le concept de la démocratie, selon les différents auteurs, recouvre en effet plusieurs dimensions, ce qui explique probablement la raison de son succès autant que la difficulté à s’entendre sur son contenu.
D’emblée, ce mot composé fait référence à la Res publica et à ses fonctions dans le corps politique qui l’organise. Derrière cette idée se profile le concept de la souveraineté populaire qui passe pour une définition très acceptable de la démocratie. Elle recèle pourtant sans doute plus de problèmes qu’il ne semble ; pour une large part, résultat d’une mutation surprenante de l’idée de souveraineté.
C’est dans l’œuvre de Jean Bodin (1529-1596) intitulé « Les six livres de la République » que se trouve formulé pour la première fois avec une réelle clarté le principe de la souveraineté. L’œuvre entend effectuer une reprise historique du concept, on ouvrant totalement l’espace politique à une programmation fondée sur la reconnaissance des droits de l’individu comme singularité et sur la notion de souveraineté qui offre le terrain sur lequel s’effectue le retournement philosophique nécessaire à l’idée de la liberté comme principe fondamental et comme l’une des conditions sine qua non pour la réussite de la démocratie.
Ainsi libéré par son immanence de tout ordre supérieur normatif, la démocratie renvoie à la pratique et à la puissance humaine comme à ses seules sources possibles de normativité. Si toute puissance vient du citoyen, toute légitimité aussi. À ce niveau, l’adage « vox populi » devint l’axiome républicain par excellence, car il est clair que l’intérêt personnel se trouve en raison inverse du devoir or la volonté générale est toujours aussi plus juste et la voix révolutionnaire est, en effet, la voix du peuple.
Le peuple, ici, n’est pas la populace du Moyen-Âge, ni la masse des temps antiques, mais un être moral dont sont redevables les individus et leurs droits. En effet, le peuple résulte bien d’une sorte de transmutation de la multitude, qui forme désormais un corps uni et une « personne publique ». Suivant cette analyse, l’État n’est rien d’autre que la paix et la sécurité de la vie, et le meilleur gouvernement est celui sous lequel les hommes passent leur vie dans la concorde où les lois sont observées sans violation.
Le chapitre seize du « Traité Théologico-Politique » du Spinoza, montre avec force combien la démocratie désigne le lieu exemplaire de l’autodétermination rationnelle de l’homme, de l’autonomie éthique et politique. La liberté du peuple n’est pas le libre arbitre, mais la puissance d’agir sous la conduite de la raison, d’être cause et maître de ses actes, de connaître la nécessité, de maîtriser les passions et de les orienter vers le bien de la collectivité. La démocratie est le régime politique où les citoyens n’ont d’autres maîtres qu’eux-mêmes puisqu’ils y sont les auteurs de la loi ; elle se définie comme l’union de la société en un tout qui a un droit souverain collectif sur tout ce qui est en son pouvoir. Son fondement, comme sa fin, n’est autre que de soustraire les citoyens à la domination arbitraire de l’appétit et à les maintenir, autant qu’il est possible, dans les limites de la raison, pour qu’ils vivent dans la fraternité et dans l’harmonie.
Ce régime paraît aux philosophes des lumières comme le plus originel, le plus proche de la liberté. Ainsi, la démocratie se veut alors délivrance de toutes les formes de captivité volontaire ou involontaire ; morale ou physique. Elle conjure la peur et lui substitue un vivre-ensemble soucieux du bien commun, qui assure la liberté du dire et de penser et rend possible l’expérience de la pluralité.
L’État est donc institué pour l’âme et le corps s’acquittent en sécurité de toutes leurs fonctions, pour qu’eux-mêmes usent d’une raison libre, pour qu’ils ne luttent point de haine, de colère ou de ruse, pour qu’ils se supportent sans malveillance les uns des autres.
Les avantages de cette conception en sont incommensurables pour l’individu, comme pour la société car le citoyen détient en lui-même les armes de son salut. Il s’agit ici de la recherche d’un fond commun qui permet de traverser les êtres et les consciences et les ouvres les unes aux autres, leur permettant de se reconnaître, au-delà de leurs particularités, dans une atmosphère plurielle. C’est ce fond qui doit assurer aux citoyens leur unité et leur multiplicité, leur spécificité et leur ouverture, leur identité et leur différence.
Cher ami,
j’ai pris un plaisir immense à lire ces lignes. celà fait quelques temps que je ne me suis pas replongé dans les fondements de la pensée moderne.
Néanmoins, cette analyse oublie un paramètre important. Ou disons, que cette analyse aurait été parfaite pour le 18éme siècle, mais certainement pas en adéquation avec les luttes, et les pensées du 19éme siècle jusqu’à aujourd’hui.
Vos références sont toutes du 16éme et 17éme siècle, chevauchant de peu sur le 18éme siècle. mais à cette époque, et en europe, il était surtout question de s’émanciper du clergé, de la noblesse. il n’était pas encore question de l’individu “utile” et “épanoui”, mais de citoyeneté.
Le paramètre qui manque à votre analyse est celle de la place de l’individu dans la société, dans l’état, le rôle que joue chaque individu dans un état, et le rôle que joue l’état pour chaque individu.
vous le mentionnez dans votre texte, et vous parlez de “devoir”. Or la bataille qui a été mené après cette époque était celle des droits de l’individu, et non pas de son devoir. la notion du devoir est une notion très ancienne qui a permi d’asservir les individus.
Une des idées phares du 19éme siècle était de considérer “le travail” comme source de droit. celui qui travaille a le droit de participer à la décision, et donc à façonner l’état.
je ne vais pas m’attarder dessus, il suffit de contempler les travaux faites sous les différentes internationales ouvrières.
Une des idées phares de la fin du 19éme siècle et le 20éme siècle était de considérer le travail non plus comme une source de droit (et donc non plus comme un devoir), mais comme un droit. c’est pour cette raison que le droit au travail a été inscrit dans plusieurs constitutions comme un droit opposable. L’état devenant de ce fait le garant de ce droit. c’est de la que vient l’opposition entre communisme et capitalisme. le premier revendiquant la souvrainté du travailleur comme acteur actif dans la décision. le deuxième revendiquant la souverainté des capitaux comme élément nécessaire à la garantie du droit au travail.
la pluparts des démocraties actuelles en europe et en amérique sont un mélange de ces deux conceptions. La dérive actuelle est une conséquence des moyens d’action. les capitaux menent la dérive avec le lobbying, la pression financière, les crises économiques, les dettes, etc…les travailleurs n’ont que des moyens éphémères d’actions (grèves, sit in, tractes, pétitions, vote etc..)…
Aujourd’hui il n’est pas question de remettre en doute le principe de la démocatie. aujourd’hui il est question de lui donner une nouvelle définition en adéquation avec notre temps. Aujourd’hui il est question de redonner à l’individu les moyens et les garanties de jouir de ses droits, de s’épanouir, de lui redonner sa créativité, et de le remettre dans le circuit décisionnel.
Très bel article. merci.
sémantique= sens= pléonasme