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Quelques mois à peine après le viol de Meryam par des policiers une autre affaire d’agression sexuelle faisait la une dans les médias : le viol d’une fillette de trois ans par un gardien de la crèche dans laquelle elle se trouvait. S’il est difficile de savoir si le nombre d’agressions augmente, on peut affirmer que la parole se libère, permettant ainsi d’espérer un changement dans les mentalités et une meilleure prise en charge des victimes.

En juillet 2011 une enquête nationale de l’Office nationale de la famille et de la population faite sur prés de 4000 femmes, de 18 à 64 ans, a montré que 15,7 % des femmes interrogées disaient avoir été victimes de violence sexuelle.

De son côté l’Association Tunisienne des Femmes Démocrates (ATFD) a réalisé une étude à son échelle qui concerne les violences sexuelles faites aux femmes et aux enfants. « Le viol, l’inceste, la pédophilie ont toujours existé, mais il y a un grand déni autour de ces problèmes, explique l’avocate Bochra Bel Haj Hamida. Aujourd’hui grâce aux femmes qui parlent, grâce aux parents, le silence se brise doucement. »

Le mur du silence se brise

Pour pouvoir évaluer si il y a une évolution du phénomène, il faudrait des chiffres fiables et plusieurs étude explique Bochra Bel Haj Hamida. Hayet Ouertani, psychologue conduisant l’étude de l’ATFD sur les violences sexuelles, va dans le même sens et ajoute que même les chiffres existants doivent être analysés en gardant en tête le fait que le déni et la honte font qu’une grande partie des violences ne sont pas déclarées.

Ce qui est certain, par contre, c’est le fait que la médiatisation du phénomène est plus importante parce que la parole se libére autour de ce problème  :

« L’affaire de Meryam a encouragé certaines femmes à en parler, la médiatisation a donné de l’ampleur au phénomène »

témoigne Hayet Ouertani.

Dans les cas de viol sur adulte, seul 1 cas sur les 11 a donné lieu a une condamnation

Depuis une vingtaine d’années, l’ATFD reçoit des femmes et des enfants victimes de toute forme de violences. En octobre 2012 l’association a lancé une campagne contre toutes les formes de violence sexuelle à l’encontre des femmes et des enfants. Une étude est en train d’être menée dans ce cadre.

Sur une centaine de dossiers répertoriés, cinquante ont été analysés pour le moment : 24 dossiers de mineurs de 3 à 18 ans et 26 dossiers d’adulte. Les cinquante autres dossiers sont toujours à l’étude. Cette étude se penche sur toutes les formes de violence sexuelle, comme l’explique Mme Ouertani :

« On parle ici de viol, d’harcèlement, d’inceste ou encore d’incitation à la prostitution, qui est aussi une forme de violence sexuelle mais dont on parle peu. On parle beaucoup plus du viol en général, les autres formes de violence sont encore taboues, surtout lorsqu’il s’agit de l’inceste et de violence sexuelle dans le cadre familial. »

Les dossiers sont classés en fonction de cette typologie. Dans les 26 dossiers de victimes adultes il y a : 1 tentative de viol, 11 viols, 3 cas d’inceste, 10 harcèlements sexuels et 2 incitation à la prostitution ( dont un cas concernant une femme victime d’inceste). La question du viol conjugal est aussi abordée, mais le sujet est encore tellement tabou et si peu connu qu’il est difficilement distingué de la violence en général.

Dans les cas de viol seul 1 cas sur les 11 a été condamné. La moitié des agresseurs étant inconnus, ils n’ont pas pu être poursuivis. Un procès est en cours, une des victime a abandonné, un autre procès a abouti à un non lieu.

Pour le harcèlement la situation n’est pas plus positive :

« Les victimes abandonnent la plainte par manque de preuves et d’ailleurs la victime elle-même est souvent condamnée ou punie d’une manière indirecte »

rapporte Mme Ouertani.

Dans les 24 dossiers de mineurs sont répertoriés : 11 viols, 3 de tentatives, 9 cas d’inceste ( dont une avec incitation à la prostitution) et 1 atteinte à la pudeur.

Sur les 11 cas de viol, 3 se sont résolus en vertu de l’article 239 du Code pénal qui permet à un violeur de mineur de l’épouser afin d’éviter la prison. La société civile dénonce depuis des mois cet article qui est pourtant toujours en vigueur. Il permet à l’agresseur de s’en sortir sans peine de prison et condamne la victime une deuxième fois.

Pourtant les violences sexuelles commises à l’égard de mineurs laissent de lourdes séquelles psychologiques, physiques et sociales : deux jeunes filles victimes de viol ont eu un enfant suite à l’agression et ont été abandonnées par leurs familles et une victime d’inceste a eu 3 fausses couches. Une vraie prise en charge doit être faite et un mariage arrangé ne fait qu’aggraver la situation.

Nous sommes toujours dans la culpabilisation de la femme

Car souvent il n’y a pas réparation pour les victimes. Le déni et l’honneur prennent encore le dessus explique Hayet Ouertani :

« Une femme qui parle est encore stigmatisée et le tabou de la virginité reste fort. Nous sommes toujours dans la culpabilisation de la femme. Et même si on ne la culpabilise pas on pense à la protéger mais via une protection « sociale », par rapport à l’image sociale de la famille et de l’honneur de la famille. Il vaut mieux que la fille se marie, par exemple, quitte à ce qu’elle divorce et qu’elle ait le statut de divorcé, plutôt qu’elle ait le statut de fille violée. »

Et si les victimes arrivent à ne pas tenir compte des pressions exercées par leurs familles ou par l’agresseur, si elles arrivent à faire fi de l’opprobre il faudra réussir à aller porter plainte : suite à l’agression il faut se rendre dans un commissariat, faire face à des agents de l’ordre qui ne savent pas comment prendre en charge des victimes, attendre pendant des heures, souvent en présence de son agresseur. Beaucoup de victimes ont rapporté avoir subie de mauvais traitements : insultes, violence, accusées d’atteinte aux bonnes mœurs…. un parcours difficile et obligatoire car ce n’est qu’avec une attestation de la police qu’un examen peut avoir lieu à l’hôpital.

La médiatisation des affaires permet de faire changer les mentalités, pour que les victimes ne se sentent plus coupables et tout en essayant d’informer l’opinion publique sur l’ampleur du problème. Mais Hayet Ouartani craint qu’il ne s’agisse que d’une médiatisation temporaire, qui s’essouffle rapidement sans apporter des effets bénéfiques. Pourtant elle insiste sur le fait que parler de ces problèmes permet d’éveiller les consciences. Les victimes ne seront plus culpabilisées et auront le courage de poursuivre leurs affaires en justice.

Il faut également des changements institutionnels : les policiers et les juges doivent être sensibilisés et formés, une cellule d’accueil spécifique doit être mise en place, explique Mme Ouertani.

« Il faut former des agents de police à recevoir les victimes, ce ne doit pas dépendre de leur bon vouloir : s’il pense que c’est normal de violenter une femme et que lui-même agresse sa femme à la maison, il est certain qu’il va tout faire pour dissuader la victime de porter plainte. Porter plainte demande un effort et du courage. »