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Hommes politiques, chefs d’État ou chefs religieux, milices ou organisations criminelles, ces cerbères de la propagande officielle censurent, emprisonnent, enlèvent, torturent et parfois assassinent des journalistes et des acteurs de l’information en toute impunité. A l’occasion de la vingtième édition de la Journée mondiale de la liberté de la Presse, avec pour thème « Parler sans crainte : Assurer la liberté d’expression dans tous les médias », Reporters sans frontières (RSF) publie une liste des 39 ennemis publics de la liberté d’information.

Cette célébration, instaurée par l’Assemblée générale des Nations Unies en décembre 1993 à l’initiative de Reporters sans frontières, est l’occasion « de rendre hommage à tous les journalistes, professionnels et amateurs, qui payent leur engagement de leur vie, leur intégrité physique ou leur liberté, et de dénoncer l’impunité dont bénéficient ces prédateurs » déclare ainsi Christophe Deloire, secrétaire général de Reporters sans frontières.

« Ces prédateurs de la liberté de l’information sont responsables des pires exactions contre les médias et leurs représentants. Leurs actions sont de plus en plus efficaces : 2012 a été une année historiquement violente pour les acteurs de l’information, avec un nombre record de journalistes tués ».

Palmarès des tyrans de la liberté de la Presse

Toujours présents dans cet inventaire toxique :

Kim Jong-un, chef suprême de la Corée du Nord, qui en digne héritier de son père, a instauré le culte de la personnalité comme devoir national.

Vladimir Poutine, prônant une politique de « verticale de pouvoir », tient sous sa coupe toutes les chaines de télévision depuis le début des années 2000. Pas moins de 29 journalistes indépendants ont été assassinés depuis cette même période, dont la journaliste Anna Politkoskaïa et Khadjimourad Kamalov. Aucun n’aura eu droit à un procès pour que justice soit faite.

L’Amérique du Sud fait encore tristement parler d’elle par le biais des organisations criminelles ou paramilitaires liées au narcotrafic. Les Zetas au Mexique ou les Urabeños en Colombie continuent d’assassiner et de torturer les journalistes dont le son de cloche irait trop à l’encontre de leurs exactions. Le Mexique compte ainsi 86 tués et 17 disparus depuis 2000, des affaires où la justice n’a jamais été rendue.

Mahmoud Ahmadinejad et l’Ayatollah Khamenei, habitués des ’honneurs de ce hit-parade’, ne manquent jamais de faire parler d’eux. A la répression systématique (suspension de plus de 200 journaux) et aux exécutions et tortures devenues monnaie courante depuis des décennies (Ali Asghar Amirani, Simon Farzami, Nasrollah Arman, etc.), s’ajoutent leur nouvelle campagne d’oppression sur les médias concernant la prochaine élection présidentielle du 14 juin 2013 : les arrestations et détentions préventives arbitraires de journalistes se multiplient depuis le dimanche noir du 27 janvier 2013.

Du côté d’Israël, les Forces de défense israéliennes en prennent pour leur grade d’armée de propagande dont les valeurs officiellement prônées notamment sur leur site internet sont démenties par leurs tentatives de meurtre à l’encontre de journalistes et photographes palestiniens. Le 8 avril 2013, Mohamed El Azza du Palestinian news network, sera blessé par balle au visage, alors qu’il prenait des photos des soldats dans le camp de réfugiés de Aida. Mohamed Othman, grièvement blessé en 2011 dans le cadre de son activité, restera handicapé à vie.

Le reste du Moyen-Orient figure aussi en bonne position avec le roi Abdallah Ibn El-Saoud pour l’Arabie Saoudite, le roi Hamad Ben Aissa Al Khalifa pour le Bahrein. Les deux chantres du despotisme royal peuvent s’enorgueillir d’une presse terrorisée qui en vient à s’autocensurer. Pour les journalistes plus téméraires, c’est l’emprisonnement assuré. Tel a été le sort de trois journalistes télé arrêtés pour avoir osé parler de la « misère » dans la capitale de Riyad, et de Hamza Kashgari, qui croupit toujours dans une geôle saoudienne, risquant une peine de mort pour « Tweets blasphématoires ».

Les Nouveaux arrivés

Cinq nouveaux noms font leurs apparitions : le président chinois Xi Jinping, le groupe djihadiste Jabhat Al-Nosra en Syrie, les membres et partisans des Frères musulmans en Egypte, les groupes armés baloutches du Pakistan et les extrémistes religieux des Maldives.

Le retour de boomerang des révolutions arabes se fait ainsi ressentir. Jabhat Al-Nosra prouve que le visage des persécuteurs des journalistes en Syrie n’est plus seulement celui des membres et partisans de Bachar Al-Assad, mais aussi celui des groupes armés de l’opposition ; du 15 mars 2011 au 3 mai 2013, au moins 23 journalistes et 58 citoyens-journalistes ont été tués en Syrie. A ce jour, 7 journalistes sont toujours portés disparus.

En Egypte, les médias indépendants et les journalistes critiques du parti et du président Morsi subissent également les foudres des Frères musulmans qui n’hésitent ni à harceler ni à agresser toute voix dissidente.

Quatre personnalités et organisations ont par contre disparu du radar de RSF : l’ancien ministre somalien de l’Information et des Télécommunications, Abdulkadir Hussein Mohamed, le président birman Thein Sein, le groupe ETA, et les forces de sécurité du Hamas et de l’Autorité palestinienne.

Si ces deux dernières organisations ont été retirées de cette liste, ce n’est malheureusement pas dû à revirement libertaire ou démocratique de ses membres à l’égard de la presse. Les procès pour « insulte à la personne du Président Mahmoud Abbas » sont encore de mise et le gouvernement du Hamas a récemment interdit aux journalistes gazaouis toute collaboration avec des médias israéliens. Cependant, fait encourageant, le nombre de violations de la liberté de la presse qu’elles ont commises a fortement diminué au cours des quatre dernières années.

Les ‘heureux’ absents…

Si certains États ne font partie de cette liste des 39 prédateurs les plus dangereux, la condition de leurs journalistes n’en est pas moins délicate. Il en est ainsi de nos voisins proches.

Le Maroc, par exemple, avait été classé en 136e position sur les 179 pays évalués par RSF en 2012 pour son classement annuel mondial de la liberté de la presse. La même année, Human Rights Watch avait critiqué les autorités marocaines en leur demandant de « cesser leurs représailles » et de « cesser de contrôler la façon dont les journalistes couvrent des sujets sensibles ». A l’occasion de la journée de la liberté de la presse de 2013, le syndicat marocain de la presse a d’ailleurs lancé une alerte concernant les peines privatives de liberté et les nombreuses violences faites à l’encontre des journalistes.

Quant à l’Algérie, classée 125e, la presse indépendante y subirait un musèlement à travers l’adoption de textes et lois « d’un véritable code pénal- bis », rétrécissant leur espace de liberté, mais également, tel que l’exprime Manseur Si Mohamed journaliste et syndicaliste algérien, « le spectre de l’emprisonnement des journalistes et autres correspondants ». Une menace devenue réalité avec la condamnation, au mois de juin 2012, de ce même homme de presse du quotidien national Nouvelle République, et de Fatma Zohra Amara du quotidien arabophone “Akher Saa”, à deux mois de prison fermes assortis d’une forte amende.

Le Roi est mort…vive le Roi ?

Quid de la Tunisie ? Elle régresse de 4 places, passant de la 134e à la 138e position. La liberté de la presse est encore sous le coup de nombreux périls, notamment institutionnels.

Si le départ précipité, bien qu’il se soit fait longuement ‘attendre’, du despote tunisien a libéré la condition de la presse en Tunisie, les détenteurs actuels du pouvoir ne semblent pas particulièrement sensibles à une véritable liberté de la presse.

Outre les agressions et menaces de mort perpétrées contre des journalistes et bloggeurs tunisiens devant l’indifférence des autorités, la présence de l’article 121 de la Constitution prévoit une instance à la ressemblance troublante avec un ministère de l’Information, pouvant appliquer la censure. Le décret-loi n°115 relatifs à la liberté de la presse écrite de l’édition et de l’impression n’est toujours pas appliqué. Un projet de loi, prévoyant des peines allant de 3 mois à 3 ans de prison pour quiconque critiquerait le président de la République, est également en préparation.

Le gouvernement de la Troika est sous le feu des critiques, nationales et internationales. Reporters Sans Frontières n’a pas hésité à condamner « l’absence de mécanisme de consultation réglementant les licenciements et les nominations à la tête de l’audiovisuel public en Tunisie», n’hésitant pas à qualifier les agissements actuels de « méthodes qui rappellent celles employées par l’ancien régime».