Les Femen devant le Tribunal de Tunis mercredi 29 mai.
Les Femen devant le Tribunal de Tunis mercredi 29 mai.

L’action de deux Femen françaises et une allemande à Tunis en soutien à la Femen tunisienne Amina Tyler maintenue en détention. La démonstration a généré des violences ciblant les journalistes mais également des avocats.

A peine dénudées, les trois Femen ont été accueillies par divers caméras et appareils photos. Les cris de «Free Amina» étaient accompagnés du slogan «Fuck your morals». L’épisode aurait pu être anecdotique comme dans d’autres pays où les Femen ont fait des actions similaires mais il a choqué certains Tunisiens présents ce jour-là, jusqu’à provoquer des mouvement de violence.

Devant le Tribunal

A 10h30, les trois femmes sont arrivées devant le Tribunal et ont enlevé leurs manteaux exposant leurs poitrines dénudées devant la foule d’avocats et de passants qui prenaient leur café devant le Tribunal. Alors que les journalistes présents se sont précipités pour prendre des images des trois femmes, un homme a commencé à leur enlever les banderoles tandis que des femmes leur jetaient des manteaux sur leur corps pour qu’elles se couvrent. Les Femen ont ensuite commencé à monter sur les grilles de l’entrée du Tribunal, et se sont cramponnées.

La foule a grossi autour d’elles et les gens ont commencé à pousser vers l’entrée du tribunal. Tout d’un coup, les événements commencent à mal tourner et les journalistes deviennent la cible d’attaques. Soi-disant parce que les journalistes auraient « organisé » l’évènement, la colère de la foule s’est tournée contre eux alors que les Femen venaient d’être arrêtées par la police. Pour précision, des journalistes tunisiens et étrangers étaient en effet postés devant le tribunal avant l’action Femen. En tant que journalistes, ils étaient au courant de l’action comme n’importe quel journaliste qui fait correctement son travail.

Il n’y avait aucune organisation des journalistes en coopération avec les Femen qui elles, avaient en effet été préparés pour leur action. Les journalistes se sont donc rendus sur place pour couvrir un événement qui leur avait été annoncé. Partout dans le monde, les actions des Femen sont médiatisées. La médiatisation d’une action n’engage pas l’objectivité du journaliste qui peut ne pas «soutenir» ce genre d’action. Tout comme il y a deux semaines, les journalistes étaient présents pour couvrir le congrès «interdit» d’Ansar Charia.

Violences

Alors que la foule s’agglomérait dans la cour du tribunal, Mohamed Haddad un journaliste tunisien travaillant pour Reuters s’est fait violemment bousculer par plusieurs personnes et on lui a jeté de l’eau sur la tête. Il a dû se réfugier dans un local de la police avoisinant pour éviter que les mouvements de foule n’atteignent sa caméra.

«Je pense que lorsque les Femen ont été emmenées par les policiers, les gens en colère face à cette démonstration, se sont retournés contre nous. Ils sont tombés dans le raccourci présence des journalistes est égal à complicité. On nous alors bousculé et crié dégage.»

Plus loin, c’est Nacer Talel, photographe, qui se fait agresser avec Anis Mili, photographe pour Reuters.

«J’ai commencé à me retirer quand j’ai vu Anis se faire agresser et tout près du poste de police, un homme m’a tiré violemment le T-shirt et m’a frappé au visage. Les policiers sont alors intervenus.»

nuque de Nacer Talel après les faits le 29 mai 2013. Crédits photos: Anis Mili
nuque de Nacer Talel après les faits le 29 mai 2013. Crédits photos: Mohamed Haddad

Anis Milli, lui n’aura pas la même chance, agressé par plusieurs hommes, il recule sous leurs coups pour se réfugier dans le café d’en face. Une bagarre entre lui et d’autres hommes éclate, une poubelle et des verres volent. Bilan : Un coup violent à la tête et plusieurs blessures à la jambe :

« J’ai été très choqué, surtout parce que ce sont des avocats qui au début m’ont agressé et qui sont même allés dire jusqu’au poste de police, « ce sont les journalistes qui nous provoquent. »

Jambe d'Anis Milli après les faits. Crédits photos: Nacer Talel
Jambe d’Anis Milli après les faits. Crédits photos: Nacer Talel

Cette version d’avocats agresseurs a été confirmée par d’autres avocats qui ont été violentés par leurs confrères lorsqu’ils ont tenté de défendre des journalistes:

Deux autres journalistes tunisiens, ont été également agressés. L’un d’eux a eu des égratignures à la hanche. Un autre a été giflé à plusieurs reprises.

Au poste de la brigade judiciaire de Bab Net

Ces cinq journalistes ainsi qu’un français ont ensuite été emmenés au poste de police du district. Encore sous le choc, on ne leur a pas vraiment précisé pourquoi il était nécessaire qu’ils viennent au poste. Mohamed Haddad a fait le compte-rendu sur Twitter de ce qu’il s’est passé. La plupart des journalistes ont eu un interrogatoire avec des questions comme «pourquoi vous étiez là ?», «qu’avez-vous filmé ?». On a également demandé à Mohamed de visionner ses images, ce qu’il a refusé.

«Globalement, les policiers ont été très professionnels et ce sont eux qui nous ont aidé lorsque la foule a commencé à être violente.» déclarent-t-ils à la fin de la journée.

En effet, les journalistes seront rapidement relâchés après avoir fait une déposition sur ce qu’il s’est passé. Au même moment et au même endroit, les trois Femen, elles sont détenues et un mandat de dépôt a été retenu contre elles.

Bilan de la journée, les violences à l’égard des journalistes continuent en Tunisie. Elles sont cette fois légitimées par une foule qui fait des raccourcis dangereux entre des activistes et des journalistes.
Deux jours plus tôt, sur une chaîne de télévision de grande écoute, le Ministre du tourisme tunisien n’a pas hésité à dire qu’il y avait un «complot des médias étrangers» à l’égard de la Tunisie. De telles déclarations ne jouent en effet pas en faveur des journalistes. Cependant si l’on regarde les faits, ce sont des journalistes tunisiens et des avocats tunisiens qui se font agresser comme des centaines d’autres depuis la révolution.