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Depuis le printemps arabe la référence à la démocratie et au pluralisme est devenu le credo de cette nouvelle ère, tant dans les enjeux internes de chaque pays que dans les enjeux régionaux, avec en outre des interférences de plus en plus vives entre les deux sphères, nationale et régionale. Les évolutions enregistrées dans la plupart des pays arabe concernés semblaient plutôt prometteuses, avant de se heurter peu à peu à de multiples écueils, puis à des menaces et enfin à des actions qui ont éteint les premières lueurs de l’État de droit.

Cette situation rend plus aigu encore le souci d’analyser, de comprendre et d’expliquer les transformations, les ouvertures ou les impasses repérables dans le paysage politique du monde arabe postrévolutionnaire. Toutes ces données déconcertantes et contradictoires s’inscrivent-elles dans une perspective historico-culturelle liée à des décennies d’autoritarisme, à unerecomposition du monde arabe dans sa difficile rencontre avec la modernité, ou bien encore elle constitue des réactions aux influences extérieures avec la résurgence des spécificités avec l’insurrection des singularités face à une uniformisation de la société… (etc.).

Sans doute s’agit-il un peu de tout cela, mais ce constat est insuffisant et insatisfaisant ; certes il est malaisé de mettre à sa place exacte chaque élément du puzzle arabe, d’articuler les perspectives historiques aux données présentes, de lier les aspects théoriques et pratiques de la question, surtout lorsque les problèmes sont en quelques sorte piégés par ceux qui les enferment dans des alternatives d’exclusion, de faux dialogue ou de dialogue de sourds ou, pire encore, dans des logiques et des pratiques de violence aveugle. Beaucoup de spécialistes estiment qu’il y a là un point d’articulation entre l’intensité du processus de nivellement et l’uniformisation de la société arabe postrévolutionnaire.

Dans bien des cas au Maghreb comme au Machrek, on assiste à la montée d’une interprétation manichéenne et réductrice qui prétend opposer les chantres de l’authenticité arabo-islamique aux tenant de l’universalité et de la modernité ; elle se traduit parfois sur le terrain par des confrontations violente dont les élites intellectuelles sont les premiers victimes, comme si le fait de penser librement était désormais un crime.

Le retour à l’utopie semble être un nouveau phénomène dans les pays du printemps arabe. Ce mouvement est né de la crise de la modernité, des désarrois engendrés par la mondialisation et de la contestation des modèles socio-économique du développement régional. Il revêt des formes et des origines diverses, souvent teintées de néo-conservatismequi seréfère à des racines théologiques légendaires pour prôner des nouvelles formes de violences. C’est pourquoi l’ancrage idéologique et historique des mouvements de l’islam politique se situe dans la longue durée pour expliquer que le monde vit la phase finale d’une guerre millénaire et qu’une « renaissance » est en cours, qu’une perspective messianique s’annonce. Suivant cette optique, l’intégrisme professe une conception du monde issue d’un moralisme transcendantal qui dépasse l’explication politico-historique.

Ainsi, l’ordre religieux est affirmé comme supérieur à l’ordre politique et n’accorde pas le droit à la discussion. La violence est légitimée d’abord par nécessité de sauver la « vrai foi » ; cette nécessité impose de défendre des valeurs morales que seule la théologie a su préserver, et que l’État n’a pas su sauvegarder, voire qu’il a « violé » ! Selon les mécanismes de la pensée de ce type de groupuscules, les valeurs religieuses traditionnelles sont considérées comme étant attaquées par la modernité, légitimant par là même l’usage de la violence.

Le discours qui prétend « défendre la communauté des croyants » pour justifier de frapper « les autres » est présent aussi bien en Tunisie comme en Égypte. La victoire éclair de la Révolution tunisienne et égyptienne a été interprétée chez les islamistes comme un signe divin, qui a donné naissance à une sorte d’islamisme messianique légitimant l’occupation des espaces publiques.

D’autre part, l’instrumentalisation de la religion comme facteur de résistance a permis à un islam dissident de fleurir hors des structures officielles de l’État. L’échec de la démocratisation des régimes arabes traditionnels a déçu des milliers de jeunes qui se sont tournés vers l’action religieuse. Mais le monde arabe n’est pas le seul à être concerné par ce phénomène. Dans les anciens pays du bloc de Varsovie, après des décennies de militantisme laïc, les mouvements religieux ont soutenu le discours de la dissidence pour devenir l’une des caractéristiques des identités résistantes, comme ce fut le cas de Solidarnosc en Pologne.

Ailleurs, dans les pays libéraux, c’est la multiplication des sectes qui illustre le renouveau religieux, à travers le discrédit de l’Église catholique en Europe, ou des Églises presbytérienne, méthodiste aux États-Unis. Même l’Inde avec BharatiyaJanata Party et le “Rashtriya Swayamsevak Sangh”, le Japon avec la secte “Aum Shinrikyo” et la Chine avec la secte “Falun Gong”, sont concernés par ce bouillonnement religieux.

Néanmoins, l’expérience arabe, soudainement révélée, attire de plus en plus les attentions surtout que pour certaines sectes, la violence est ainsi vécue comme acte purificateur, comme on le constate dans les meurtres quasi rituels en Libye. Sachant que l’adversaire ne peut être détruit, la stratégie de des intégristes n’est pas de l’ordre de la conquête guerrière mais purement symbolique. L’objectif visé a rarement une importance militaire forte.

L’acte terroriste a pour enjeu le terrain moral (monter la supériorité spirituelle de ses combattants), psychologique (démontrer la faiblesse de l’adversaire) et religieux (promesse eschatologique). Il vise à nier l’existence de l’autre et à mettre un terme à une humiliation supposée en faisant du terroriste un héros voire un martyr. Le combattant devint ainsi un « soldat de Dieu » encadré par des personnes ayant parfois une formation militaires traditionnelle et un leader charismatique, jouant le rôle de médiateur et de Cheïkh.

En Tunisie, les attentats du mont Chaâmbi ont marqué, dans la conscience collective du moins, l’entrée en scène d’une nouvelle forme de terrorisme, le terrorisme religieux. Même si les exemples les plus frappants de ce « nouveau terrorisme » sont nombreux dans les années 90. Il suffit de penser au premier attentat de BabSauika en 1991 ou encore aux événements de Slimane en 2007. À la lumière de ces constats, ne faut-il pas procéder à une relecture historique de certaines crises passées, pendant longtemps lues à travers la grille du « Clash of Civilizations » ?

Face à l’urgence, il conviendrait tout d’abord de constituer une commission d’enquête sur les origines profondes de ce type de comportement. Ensuite, et afin de renouer le dialogue national et surmonter, en partie, le clivage entre islamistes et démocrates, il faudrait créer, dans les plus brefs délais, un Conseil national de dialogue qui réunirait les principales organisations politiques, syndicales et associatives et leur permettrait d’ouvrir un débat sur la question de la violence politique.