Le 14 mars 2011, un décret-loi a été promulgué afin de confisquer les biens de Ben Ali et de ses proches. Parmi les concernés, on trouve Slim Chiboub, le gendre de Ben Ali. Mais cela n’a pas empêché ses parts dans la compagnie pétrolière « Voyageur Oil & Gas » d’échapper à la confiscation… Dans cette affaire, nous avons relevé de nombreux faits particulièrement troublants. Il appartiendra à la justice de déméler ce qui relève de l’infraction à la loi, de l’évasion fiscale et de l’abus de pouvoir et de ce qui relève d’un vide juridique particulièrement préjudiciable à l’économie, à la bonne gouvernance et aux institutions !

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Le 11 juillet 2007, le ministère de l’Industrie accorde à « Voyageur » une part du permis d’exploration des hydrocarbures, connu sous le nom de permis « Borj El Khadhra Sud » (BEKS).

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Le 4 avril 2009, Slim Chiboub acquiert 500 000 actions de la compagnie « Voyageur ». Slim Chiboub en restera le propriétaire même après la révolution. Il devint ainsi l’actionnaire majoritaire de la compagnie, ce qui lui a valu le poste de président du conseil d’administration.

Le 14 mars 2011, parmi les noms des personnes désignées dans la liste annexée au décret-loi n° 2011-13 portant confiscation des avoirs et de biens meubles et immeubles, on trouve le nom de Slim Chiboub.

Le 24 août 2011, soit 5 mois après la parution du décret-loi précédemment cité, Slim Chiboub présente à la Direction Générale de l’Energie du ministère de l’Industrie, une demande d’accord pour le transfert de sa part d’obligations et des droits du permis « BEKS » au profit de la compagnie « Andarko BEKS Tunisia Company », et ce, conformément aux dispositions de l’article 34 du Code des hydrocarbures exigeant cette autorisation :

Il est interdit, sauf autorisation préalable donnée par l’Autorité Concédante, l’aliénation totale ou partielle sous quelque forme que ce soit, des droits et obligations détenus par chaque co-titulaire d’un permis de prospection ou d’un permis de recherche (art. 34).

Après trois réunions qui ont eu lieu les 6, 8 et 13 octobre 2011, le Comité Consultatif des Hydrocarbures au sein duquel siègent :

  • le directeur général de l’énergie : président ;
  • un représentant du Premier ministère : membre ;
  • un représentant du ministère de l’Intérieur : membre ;
  • un représentant du ministère de la Défense nationale : membre ;
  • un représentant du ministère des Finances : membre ;
  • un représentant du ministère des Domaines de l’Etat et des Affaires foncières : membre ;
  • un représentant du ministère de l’Industrie : membre (Direction Générale des Mines) ;
  • un représentant de la Banque Centrale de Tunisie : membre ;

donne son accord à la demande de Slim Chiboub de transferer sa part. En se basant sur cet avis, le ministre de l’Industrie, Abdelaziz Rasaâ, publie un décret le 5 décembre 2011, soit après les élections du 23 octobre 2011, dans lequel il autorise le transfert d’une partie des droits et obligations du permis de recherche à « Anadarko BEKS Tunisia Company ». Abdelaziz Rasaâ avait connaissance du fait que Slim Chiboub était le propriétaire de cette part, étant donné que M. Rasaâ a fait la quasi-totalité de sa carrière entre l’Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières et le ministère de l’Industrie. Ce décret a été publié au sein du n° 94 du Journal Officiel de la République Tunisienne (JORT) en date du 09 décembre 2011 avec la mention « Vu par le Premier ministre Beji Caid Essebsi ».

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Ce qui est troublant, c’est le fait qu’à la date du 9 décembre 2011, aucune société portant ce nom n’était déclarée en Tunisie. Ce n’est que quatre jours après la parution au JORT -dans lequel le transfert de la part fut officialisé- qu’une société de ce nom fut déclarée à la REAS commerciale de Tunis (enregistrement des sociétés), soit le 13 décembre 2011.

Une annonce sera publiée au JORT n° 7 du 17 janvier 2012, officialisant la constitution d’une succursale de la société Anadarko Tunisia Beks Company en Tunisie. Dans cette même annonce, il est noté que le représentant légal de la société en Tunisie est Salaheddine Caid Essebsi, frère de Beji Caid Essebsi, lequel occupait les fonctions de Premier ministre au moment de la publication du décret en question. La succursale d’Andarko a été domiciliée à l’adresse même du cabinet « CAID ESSEBSI & PARTNERS » jusqu’au mois de juillet 2012. Le consultant de ce cabinet n’est autre que Béji Caïd Essebsi, Premier ministre d’alors, et actuellement leader du mouvement « Nidaa Tounes ».

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Les informations déclarées dans le JORT sont confirmées dans le document suivant.

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Ce qui est encore plus troublant, c’est qu’au sein de l’annonce légale publiée au sein du JORT, il est mentionné « Andarko Tunisia Beks Company, société des îles Cayman ». Elément confirmé par le document suivant :

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Dans la déclaration de domiciliation de la société Andarko Tunisia BEKS Company, il y est dit que le siège principal de « Anadarko Tunisia BEKS Company » ne se situerait pas à Oslo tel que déclaré au sein du JORT de janvier 2012, mais plutôt à l’adresse suivante :

Il s’agit de l’adresse de l’« Anadarko Tower », le siège mondial de la multinationale « Andarko Petroleum Corporation ».

Le 21 mai 2013, une plainte a été déposée par l’avocate Faouzia Bacha, experte en contrats pétroliers internationaux, contre certains acteurs liés à cette affaire ; il s’agit de :

1. Slim Chiboub (en fuite) ;
2. Abdelaziz Rasaâ (ancien ministre de l’Industrie du gouvernement Beji Caid Essebsi) ;
3. Rchid Ben Dali (Actuel Directeur Général de l’Energie) ;
4. Mohamed Akrout (Actuel PDG de l’ETAP) ;
5. Khaled Gaddour (Vice-Directeur Général de l’ETAP) ;
6. La compagnie Anadarko en son représentant légal (c’est-à-dire Slaheddine Caid Essebsi) ;
7. Les membres du Conseil Consultatif des Hydrocarbures ;
8. Tous ceux dont l’implication sera révélée par l’enquête.

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Combien de biens appartenant au clan Ben Ali échappent-ils encore à la confiscation ? Quel est le degré d’implication des gouvernements d’après la révolution dans cette affaire ? Est-ce en toute impartialité que le frère de Beji Caid Essebsi fut désigné en tant que représentant de la société à laquelle Slim Chiboub a choisi de vendre une partie de ses biens supposés confisqués ? La notion de conflit d’inrérêts ne devait-elle pas retrouver du sens après le 14 janvier ? Les autorités luttaient-elles vraiment d’une façon impartiale contre les malversations ? Ne sont-elles pas devenues parfois complices selon les circonstances ? La justice le précisera sûrement.

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Pour notre part, le moins que l’on puisse dire, c’est que cette vente révèle manifestement de graves dysfonctionnements. Et pour cause… des valeurs mobilières biens mobiliers qui auraient dû être confisqué(e)s sont resté(e)s aux mains de son ancien propriétaire, Slim Chiboub, qui a pu les vendre après la révolution. Cette vente a pu se faire avec l’aval du gouvernement dont Béji Caid Essebsi était le chef. Or, Béji Caid Essebsi est également consultant au sein du cabinet « CAID ESSEBSI & PARTNERS » (dernière visite du site 12 juin 2013), dont le siège social héberge la société bénéficiaire de la vente, Anadarko Tunisia Beks Company. Et c’est le frère de Béji Caid Essebsi qui est le représentant légal de cette société.