©Wassim Ghozlani, Art Revolutionnaire

Aboutissement de l’instantanéité sur une réalité exacerbée

La prise de vue photographique, en soi, occupe tout son sens et sa puissance dans la relation que le photographe essaie d’entretenir avec le temps et son temps. Amateur ou professionnel, amateur puis professionnel, de ses débuts dans la photographie jusqu’à ses premières « cibles » et ses premières révélations, ses « fixations » s’implantent peu à peu dans son quotidien et deviennent cet unique et véritable ciment qui nous colle littéralement à une « chose » pour la vie.

Nous passons alors par des « couloirs » plus ou moins longs, plus ou moins sinueux, et la photographie comme tout autre pratique ou métier, obéit à des préceptes. De formation autodidacte à formation didactique, de fréquentations de clubs à accumulation et étiquetage de stages et workshops, nationaux et/ou internationaux, de nombreux photographes ont marqué la mère génitrice « Tunisie » comme autant de figures progressistes dans et pour le secteur. Certains d’entre eux ont accompli une rupture esthétique dans la photographie nationale, perpétrant par là-même un décalage épistémologique, voir une sorte d’« Ecole » de la photographie.

Porter un regard historico-analytique ne sera pas notre propos ici, il s‘agirait plutôt d’approcher une réflexion pragmatique pour un outil et un art qui l’est tout autant : une réfraction avec un regard rétrospectif mais toujours rétroactif, qui privilégierait la continuité, aujourd’hui, comme un aboutissement de générations passées de photographes sur une réalité exacerbée par une révolution humaine, technologique et numérique.

Pour saisir la matérialité du milieu photographique actuel, ses tenants et ses aboutissants, ses enjeux, ses perspectives comme ses limites, il ne s’agit pas de faire l’énumération des photographes actifs de la place, avec leurs différentes tendances. Il y en a tellement et de plus en plus que l’intérêt de l’approche réflexive semble d’emblée se placer ailleurs.

Depuis la « révolution », la Tunisie connait littéralement un ras de marée photographique. Si chacun à sa manière de faire, beaucoup tournent en rond autour de prouesses visuelles et/ou techniques et restent bien des fois dans le fait-divers, au mieux l’insolite. Pensant traiter de sujets qui sont au centre du débat social comme la crise d’identité et la liberté d’expression, leur traitement imagé ne correspond pas toujours à leur intention première.

Pour cela, le choix de nos interlocuteurs s’est fait en fonction de leur représentativité et du flambeau qu’ils tiennent en permanence au dessus de leur altérité. Des protagonistes qui pourraient certes témoigner et réfléchir sur le sujet en tant que représentants ayant une expérience et une approche spécifique du secteur, mais surtout parce qu’en parallèle à leur pratique personnelle et professionnelle de la photo, ils actionnent différents systèmes pour participer à l’essor et au développement de la photographie contemporaine en Tunisie, et concourir par là-même à faire évoluer le regard toujours rétrograde et archaïque de la société tunisienne sur elle-même. Car, se dire photographe ce n’est pas seulement maitriser le dispositif, accumuler autant les prises que les styles, ou multiplier les sujets avec des croisements à l’infini. Être photographe, de manière intrinsèque, c’est prendre en considération l’actualité qui nous entoure sans calculs, comme un environnement immédiat et naturel. Dans une assimilation et une application directe de cette réalité, ou a contrario, plutôt dans une recherche d’un quotidien, d’une mémoire et d’une narration alternative pour cette dernière, un photographe se doit, pour dépasser les simples couches épidermiques de sa vision, de creuser et de creuser encore, dans les nivellements pluriels que lui donne ce réel.

Ce, dans la mesure où chaque génération produit quelque chose, de la fin du 19ème siècle où le premier « Club Photo » « Club Photo de Carthage » fut crée en 1895, jusqu’à nos jours deux ans et demi après une révolution populaire qui a transmuté tellement de phénomènes, à la fois manifestes et latents. Après quelques dictatures, l’Image dénuée de mensonge surgit, cette ennemie jurée des dictateurs peut désormais s’oxygéner, d’autant plus que la vulgarisation de la discipline photographique prend son plein sens avec l’expansion des réseaux sociaux, après l’augmentation du numérique qui a mis un appareil photo dans les mains de (presque) tout le monde.

Ces changements ont permis de mettre en avant de nouveaux artistes photographes qui pratiquaient peut-être avant 2011, mais dont la singularité et la vision d’auteur n’a pu relativement se développer que par l’apogée d’un affranchissement de soi et des autres. Dès lors, au pluriel, les types de photographies peuplent les pupilles écarquillées des citoyens tunisiens. De la photographie journalistique qui place d’abord son intérêt et sa perception dans la photographie à objectif informatif, dénonciateur et sensibilisateur pour une cause précise, en s’affirmant et s’autoproclamant comme militante et engagée, à la photographie de mode qui se fait principalement en studio, évoluant dans les milieux « fashion » et commerciaux, sur la scène hypra exposée à grande enseigne médiatique, les lieux et territoires du 8ème Art implosent et explosent .

Jusqu’à mettre en danger de mort ses propres photographes, essentiellement dans la catégorie du « reportage photo », qui devient un réel péril pour ses professionnels, sans assurance aucune. Les événements actuels en Tunisie dépassent leur législation appropriée. Rappelons-nous du dernier cas de figure saisissant, où le reporter photographe Amine Farhat, du quotidien « Echourouk », grièvement blessé à la Cité Ettadhamen pendant l’exercice de ses fonctions alors qu’il couvrait le rassemblement d’ « Ansar Echaria », s’est vu contraint par la suite à un repos forcé suite à ses blessures, et par là-même soumis à un manque à gagner, sans dédommagement aucun (Amine Farhat s’est vu obligé à un « repos » de 45 jours).

Photographes dans l’air du Temps…

Est-ce ce genre de déboires et de déception que la révolution du « 14 Janvier », en fournissant au métier de photographe plus de liberté d’initiatives et d’action, a également mis à l’ordre du jour ? Quand nous posons la question à Hamiddedine Bouali, photographe, critique, fondateur et animateur du Blog photographique, lui qui est dans la photographie depuis environ trois décennies, et qui a été témoin et observateur de trois régimes politiques, dont deux régimes dictatoriaux et un actuellement en « transition », il affirme sans hésitation aucune :

« Ce serait commettre une faute historique grave si nous pensons que c’est grâce ou par la révolution que le photographe tunisien est devenu libre pour photographier. J’ai toujours fait de la photo de rue, la police peut ou pas vous interpeller, et les citoyens peuvent ou non être gênés, voir agressifs. Mais cela fait partie de notre métier, dès le moment où l’on choisit la rue comme terrain ou support d’action. Si le photographe est dans la rue, il sait à quoi s’attendre et doit surmonter. C’est vrai que le reportage journalistique a fait un boum après le « 14 Janvier », il n’y a plus seulement six ou sept photographes reporters mais beaucoup plus, puisque tout le monde fait désormais des prises de vue d’actualité. Pour moi qui fais de la « Street-photo » depuis maintenant trente ans, je ne remarque pas vraiment de changements sociopolitiques quant à ces données. Les problèmes se sont justes déplacés ».

H.Bouali, fait régulièrement des « états de lieux » quant à la photographie en Tunisie et ce, par rapport aux constats internationaux. Dans son « Blog du photographique » fondé en 2006, il sait bien que les procès verbaux et compte-rendu des démarches photographiques ne suffisent pas. Il y décortique ses phénomènes, et se propose de faire des autopsies de l’expression de ces derniers. Pour lui, « aujourd’hui, il n’y a pas une seule photographie. Il y a de plus en plus d’amateurs qui sont en train de s’épanouir en montrant leurs photographies sur les réseaux sociaux, même à défaut d’exposer ailleurs. D’autres photographes amateurs, en offrant leurs « travaux » gratuitement ou moins chers empiètent sur les photographes professionnels qui ont des patentes pour prendre leurs photos et donc les vendre, légitimement, sur le marché.

Hamiddedine Bouali qui estime avoir « de la chance d’être le plus jeune de l’ancienne génération de photographes et le plus vieux de la nouvelle », intègre son premier club photo en 1981, et fonde le sien en Janvier 2010 : Le « Club Photo de Tunis », un « groupement de jeunes passionnés », tel qu’il le définit, « avec un roulement de coordinateurs généraux qui se doivent de changer chaque année afin d’instaurer pour le club un dynamisme toujours en devenir ». Devenu une association depuis peu, il permettra sans doute, comme l’ont fait ces clubs prédécesseurs, de rassembler des énergies plurielles et diverses pour la pérennité d’un secteur.

Après 20 ans au « Service Photo » du Ministère de la Culture, de 1981 à 2001, où il couvrait toutes les activités ayant un rapport avec les spectacles et festivals, ainsi que les audiences et les activités du Ministre, H. Bouali se consacre, principalement dès 2002, aux « Rencontres Photographiques de Ghar El Melh », dont il a la direction artistique. Ces rencontres s’arrêtent net en 2009. La version officielle se résume à « problèmes de financement et de sponsoring ». Reste que cette même année, Hamiddedine Bouali fut victime de censure suite à l’accrochage, pendant les rencontres, d’une œuvre d’un photographe français qui représentait d’une manière suggestive la figuration ou plutôt la symbolisation, sorte de métaphore visuelle, d’Adam et Eve.

Ridha Sarraj, alors responsable des rencontres avait sommé Hamiddedine Bouali de retirer la dite œuvre. Devant le refus de ce dernier et après avoir exposé l’œuvre indésirable, les « Rencontres de Ghar El Melh » se sont arrêtées, sonnant par là même leur dernière édition. Est-ce réellement dû à une problématique financière, ou à cause d’un fait de censure abusive ? La question se pose.

Pour le reste, H. Bouali qui s’engage presque dans une obstination au quotidien à documenter et archiver la Tunisie photographique, continue à rassembler et à réunir inlassablement autour de lui multiples réceptivités exaltées par l’art de la photographie. De ce fait, l’actuelle et frénétique émergence de « photographes » tunisiens l’interpelle particulièrement. Pour Bouali, le puriste, profondément attaché à la technique et à la formation du photographe, primordiales selon lui, comment faire le tri ?

« Un photographe se doit de faire des prises de vue honnêtes. C’est flagrant qu’aujourd’hui, il y a un déséquilibre entre les intentions et les possibilités. Certains, veulent intégrer le monde des arts, par snobisme ou par mimétisme, et pour eux, le chemin le plus court pour y arriver, c’est d’appuyer sur un bouton. L’appareil photo leur donne rapidement ce qu’ils veulent, un petit coup de Photoshop et c’est parti. »

L’avantage du numérique devient-il un inconvénient ? N’importe qui fait prématurément et précipitamment n’importe quelle photo, et cela devient de plus en plus difficile de se démarquer de cet ensemble chaotique. D’où le rôle indispensable des professionnels qui peuvent faire la part des choses. Mais, si les galeristes ne sont pas exigeants et que les critiques ne sont pas compétents, comment faire ?

Si certains se frayent un chemin dans les chances et les coïncidences qu’offrent les professions artistiques en général et celles photographiques en particulier, encouragés par leurs pairs, souvent dans une sélection brouillonne, d’autres tentent, avec ce petit coup du hasard, de se construire une destinée de photographe.

©Emir Ben Ayed

Emir Ben Ayed fait justement partie de cette très jeune génération qui a été révélée par le partage de ses prises de vue sur les réseaux sociaux. Ces débuts photographiques ne remontent qu’à un peu plus de 3 ans. Alors revenu d’une promenade pendant laquelle il avait pris quelques clichés, il les poste aussitôt sur internet et suscitent par là même l’intérêt du public. Surpris par cet engouement, il réédite l’expérience et fait des réseaux sociaux ses premiers territoires d’exposition. Conforté dans ses éventuelles possibilités de créateur, il se présente au concours « Art à venir » de l’ex-« Printemps des Arts de la Marsa », avec une bonne réception du jury. Trois petites années après, il compte 27 expositions entre Tunis et les galeries de Paris, Québec, Brighton, Barcelone, etc., ainsi que plusieurs prix.

Le « Wes, We Can » que permet le réseautage social, le rêve d’accès et de médiatisation rapide qu’il souscrit à ses utilisateurs, Emir Ben Ayed en est un pur exemple. Toutefois, là où il fait la différence, c’est qu’il ne s’est pas contenté seulement de cela, et conscient qu’il fallait greffer sur sa « chance » une formation professionnelle autant pédagogique que didactique, il décide de participer à des stages, entre autres avec des photographes de l’agence Magnum, Patrick Zachmann et Antoine d’Agata. Ont suivi quelques expériences, dont le projet mis en place par le Centre National d’Art Vivant en partenariat avec le Goethe Institut. “Façades”, où il s’agissait d’exposer des photographies en format monumental, sur les murs extérieurs du local du Goethe, environnant la Place Jeanne d’Arc à Tunis, donc en plein espace urbain, avec une circulation accrue de piétons et de riverains. E. Ben Ayed a découvert l’appel à projets sur le fil d’actualités sur Facebook, il relate :

« cet appel correspondait parfaitement à une idée que j’avais en tête depuis un moment : faire sortir la photographie sociale des expositions d’art et des livres et l’imposer aux yeux d’un public tunisien qui ne fréquente pas autant qu’il ne le devrait les galeries, pour que ces photographies puissent accomplir pleinement leur vocation de sensibilisation et d’éveil de consciences. Je me définis comme auteur d’images, et la photographie n’est qu’une matière à modeler pour raconter des histoires et des destinées, pour éveiller les sens et les consciences qui ont du mal à voir ce qui les entoure, invisible par habitude, et de faire la plaidoirie de ceux à qui la chance a tourné le dos . La photographie sociale repose sur le réalisme. Elle est une arme qui a le pouvoir de catalyser le changement. »

Depuis le début de la révolution tunisienne, ce réalisme auparavant tant convoité, mais perçu par la majorité comme inaccessible, la photographe Sophia Baraket, sélectionnée pour le « Reporting Change de la World Press Photo » en a fait un cheval de bataille. Elle dit qu’elle est née dans « un monde imagé, une génération en plein boom des magazines et où l’importance de l’image commençait à prendre le dessus ». Dès l’âge de 18 ans, elle entame des études artistiques spécialisées en photographie. Commencées à Tunis, elles les continuent à Paris, et passe inévitablement par l’Agence Magnum Photo pour un stage de 6 mois, « ses années les plus marquantes » où elle fréquente « les plus grands photographes et leur images, des photos qui retracent près d’un siècle d’histoire.» Pour S. Baraket,

« dans la réalité, il s’agit de chercher le détail qui révélera ce qui nous entoure. Faire des photos permet de se préparer à faire LA photo. Le reportage rapporte une histoire ou un fait. Il peut être sur la mode ou sur un atelier de coutellerie, il se doit de raconter l’histoire d’un monde et de vies. Faire en sorte de voir ce que tout le monde ne voit pas. Si tout le monde regarde vers un même point, en étant focalisé sur un seul événement, je ferais en sorte de donner du dos pour les voir eux ou essayer de dénicher les à cotés. »

©Zied Ben Romdhane

Quand l’esprit du reportage se conjugue à l’image scénographiée, théâtralisée et scénarisée, une combinaison hybride se produit. Zied Ben Romdhane, photographe professionnel, complètement autodidacte, a marqué depuis quelques années la scène photographique tunisienne avec, entre autres, cette signature. Une image croisée entre le récit qui pointe du doigt et l’extrême élaboration stylisée qui magnifie les sujets. Cela fait environ 10 ans qu’il fait de la photo. A l’époque donc, il intègre son premier club photo, le « Club Tahar Haddad », où il passe par une formation purement technique « touche à tout ».

Justement tout y passe, le Landscape, la photo de mode, le photojournalisme, etc… Il reste environ cinq années avec le club, rencontre de nombreux artistes photographes, tunisiens et internationaux. Le relationnel avec autrui prend forme progressivement, donnée fondamentale en photographie où le nomadisme et les contacts avec la société s’avèrent être des éléments de construction poétique et esthétique essentiels. Un photographe qui voyage élargit le champ de sa vision. De ce côté-là, Z. Ben Romdhane est déjà « gâté » par son histoire personnelle. Né à Djerba, familialement domicilié au Kef, vivant à Tunis, le nomadisme s’est donc naturellement inscrit sur sa peau de photographe, amplifié à partir d’initiatives et de démarches personnelles. Il s’est d’ailleurs dernièrement rendu en Inde, au Yémen et au Maroc. Sans suivre une actualité précise, motivé par une certaine recherche culturelle qui aurait un rapport avec les chocs civilisationnels où l’intellect est forcément titillé. A ce propos, il certifie très clairement :

« En tant que photographe, l’actualité directe ou crue, telle qu’elle est presque toujours racontée en superficie par les médias, ne m’intéresse pas. Les médias sont pour la plupart orientés. L’actualité que je recherche est plus souterraine, plus alternative, je veux creuser pour raconter l’actualité. »

© Zied Ben Romdhane

Deux grandes tendances se dégagent donc de son travail photographique, le « photoreportage » et la « mise en scène photographique », de laquelle un aspect provocant s’échappe pour inciter le regardeur à la réflexion, il exacerbe le réel pour le transfigurer, afin d’en faire des éclaboussures de vérité. Après une exposition personnelle en Inde, il médite actuellement sur une exposition urbaine et itinérante en Tunisie, qui jalonnerait le Nord et le Sud, en passant par son noyau Keffois. Porté par un souffle générateur qui le nourrit, Z. Ben Romdhane pense que la

« photographie c’est l’art de notre époque, et particulièrement présentement, en Tunisie.»

Il est loin d’être le seul à penser cela. Wassim Ghozlani doit en être certainement profondément convaincu pour s’investir autant dans le devenir et l’avenir de la photographie en Tunisie. Photographe depuis 2005, arrivé en tant qu’amateur autodidacte apprenant d’abord la photo en pratiquant et en se documentant sur internet, ses expositions s’alignent depuis, et se suivent méthodiquement. Tunisie, États-Unis, Brésil, Mali, Slovénie, Allemagne, France, Égypte, Maroc, Espagne, etc, il développe donc sa culture visuelle et ne rate pas une occasion pour aller voir ce qui ce fait ailleurs. A la recherche d’une image alternative de la Tunisie, il estime que:

« les Tunisiens ne regardent plus ce qu’ils ont sous les yeux mais qu’ils cherchent désespérément à faire en sorte que la réalité du paysage corresponde à leur attente. »

Wassim Ghozlani pense que « dans le métier de photographe, l’on peut facilement tomber dans l’égocentrisme. Pourtant, il faut passer du statut de simple photographe à un statut d’humaniste, c’est ce qui fait la différence. » Dans ce sens, il a cofondé avec Olfa Feki, le projet « Shutter Party », né en juin 2010. D’abord pour organiser des sorties photos et des concours avec l’intention d’apporter de l’animation à la scène culturelle, l’activité de « Shutter Party » s’est peu a peu installée avec le lancement du site web, regroupant plusieurs rubriques, actualités, interviews et reportages, principalement autour de la photographie. Avec le développement d’un réseau de contacts à l’échelle internationale, la plateforme collabore entre autres avec l’ « Agence photo Magnum » et l’association « Afrique in Visu », plateforme participative et contributive qui met en réseau les professionnels de l’image du continent africain. En février 2012, son activité évolue sous forme associative, et vers le projet de la « Maison de l’Image. »

Ce qui pouvait paraître irréalisable pour beaucoup de monde a semblé nécessaire pour Wassim Ghozlani, qui a pensé et conçu l’idée, puis s’est entouré d’associés pour la mettre sur pieds. Interrogé là-dessus, il garantit : « La photographie en Tunisie à un très grand rôle à jouer dans la construction de l’image du pays et de son futur. Mais cela dépend en premier lieu de la volonté des photographes pour changer cela. Conscient que l’espace virtuel « Shutter Party » n’était pas suffisant et qu’il fallait mettre en place un lieu « physique » dédié à l’image et dont la vocation serait de mettre en valeur et de soutenir la création photographique à travers une démarche de communication et d’échanges artistiques et professionnels, le projet de la « Maison de l’Image » a vu le jour. Elle sera à la fois un centre de documentation, un espace de formation et d’exposition, une plateforme pour des échanges culturels et une résidence pour les artistes.

Elle se donne pour mission de sensibiliser le plus vaste public aux métiers de la photographie et de l’image, de donner des outils aux jeunes artistes, de former des professionnels, tout en créant une dynamique culturelle de niveau international qui va bénéficier à la ville et à la région. Je pense que c’est notre rôle aussi en tant qu’acteur du domaine d’essayer d’améliorer les choses et de hausser le niveau à travers des initiatives privées. Aujourd’hui nous devons abandonner les anciennes habitudes qui consistent à attendre que le Ministère de la Culture ou l’Etat mette en place un projet pour nous greffer tous dessus au point de le faire couler. »

Une « Maison de l’Image », qui selon Hamiddedine Bouali est « fondée pour que les photographes de Tunisie ne soient plus des S.d.f. Pour qu’ils aient enfin un toit sur la tête. »

Un devenir en devenir

Avec le peu de musées et d’espaces de travail et de rencontres réservés à la photographie, avec la disparition de plusieurs initiatives qui dynamisaient même ponctuellement le secteur, comme le « Mois de la Photo » ou « les Rencontres photographiques de Ghar el Melh », ce malgré le nombre important et toujours grandissant de photographe en Tunisie, il paraît évident que la « Maison de l’Image » en Tunisie, s’impose non pas comme une distraction, mais comme un besoin et une priorité.

Le photographe tunisien, au même titre que ses compatriotes les artistes, les journalistes, les auteurs, les penseurs, les Citoyens avec un « C » majuscule, ont arraché leur droit postrévolutionnaire de faire voir, dire et raconter les choses sans masque, sans voile, en bannissant à jamais les effaces, les gommes et les recouvres.

Alors, le photographe contemporain, aux quatre coins de la République, montre bien souvent ce que la majorité des médias télévisuels ou autres ne montrent pas, au profit de sujets redondants dont ils se font l’écho car ils sont sûrs de l’audience qu’ils vont avoir. Certains canaux privés ne recherchent que le gain matériel pour amortir leurs coûts, et les chaines nationales se retrouvent dans cette arène impitoyable de concurrence, et calquent de manière déformée le « modèle » que ces dites chaines privatisées ont instauré sur le marché. En marge de ce réseau de médiatisation vulgaire et outrancière des sujets socio-politico-culturels que nous vivons, se sont donc installés ces photographes du réel, dans son appareil le plus simple : la Vérité.

Ce, même si nous remarquons sur la scène photographique une sorte d’anarchie de monstrations, tout le monde montrant et consommant des photos avec une boulimie du n’importe quoi et du n’importe comment. Le flagrant manque d’encadrement de cette énergie à potentiel originellement positif mais bafouillé, devient quelque fois handicapant pour le secteur photographique, et aujourd’hui les besoins des photographes en Tunisie sont essentiellement la reconnaissance et la mise en place d’un statut et donc de droits.

Dans un autre registre, affiner le cadre du dépôt des archives photographiques, avec la création d’une photothèque, ne parait pas être un luxe pour une précieuse documentation nationale qui a rassemblé les images du pays, depuis la création de la photographie jusqu’à nos jours. En Tunisie, l’univers de la photo est en pleine ébullition, et nous nous retrouvons bien des fois dans un chaos productif. Quand il y en a trop, il n’y en a plus du tout, et l’excès finit toujours par annuler.

Cependant, ce qui semble urgent à faire pour le devenir de la photographie sous nos cieux, c’est d’abord d’organiser le secteur, en fondant et en créant les institutions appropriées pour canaliser cette grande énergie naissante. Sans occulter d’autres affligeantes réalités telles que l’absence de formation typique et distinctive consacrée à la Photographie. En Tunisie, cette dernière souffre de lacunes incompréhensibles, puisque son enseignement est toujours accolé à d’autres spécialités dans les instituts de Beaux-arts ou d’arts et métiers.

Finalement, le domaine photographique en Tunisie est à l’image de tous les autres dans le pays, et du pays même: en transition…