Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

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Cette étude se réfère à l’ouvrage de Takieddine Annabhani, « Annidham al iqtisadi fil Islam »

Annabhani définit le bien comme étant tout objet apte à satisfaire un besoin humain.

La quête de ce bien dépend de deux éléments : le niveau de désir que l’homme éprouve pour un objet déterminé et ses qualités intrinsèques. Pour lui, la question économique se réduit à l’acquisition de biens. Il rejette le fait de situer son origine dans la production de moyens mettant ces biens à la disposition de l’homme. De là, il conclut que la base qui fonde le système économique se réduit à trois règles : la propriété, la gestion de la propriété et la répartition des richesses entre les hommes.

« L’Islam est intervenu dans le domaine de la jouissance de la richesse, interdisant certains types, promulguant de nombreuses lois relatives à l’acquisition des richesses. Quant à la richesse elle-même, il a encouragé la production sans intervenir, ni dans la manière de l’augmenter, ni dans la quantité à produire, laissant aux hommes le soin de les déterminer. Ainsi, l’Islam n’aborde pas la science économique mais le système économique. »

« La politique économique en Islam est la garante de la satisfaction effective et entière de tous les besoins fondamentaux de chaque individu, tout en lui permettant de satisfaire, dans la mesure de ses moyens, les besoins complémentaires, en tenant compte du fait qu’il vit dans une société donnée ayant un mode de vie donné. L’Islam vise ce que la société devrait être et fait de cet objectif le fondement de sa vision de la subsistance et de la prospérité. »

Pour réaliser la satisfaction des besoins, l’Islam a emprunté deux voies :

1. Encourager les hommes à acquérir et à rechercher les sources de subsistance. Cette quête est au rang d’une obligation religieuse ;

« En légiférant sur les conditions d’acquisition de la richesse et pour faciliter au musulman l’accès à l’argent, l’Islam a évité de les compliquer, faisant en sorte qu’elles soient d’une extrême simplicité. Concernant les moyens d’acquisition et les contrats, il a tracé les grandes lignes contenant les règles légales et les jugements légaux, qui englobent les cas multiples et peuvent être étendus par analogie à de nombreux autres cas. »

2. Le Trésor est ouvert à tous les sujets : « L’Islam a rendu obligatoire la prise en charge par l’Etat des personnes incapables de subvenir à leurs propres besoins et il a érigé en devoir de l’Etat de procurer le nécessaire à toute la nation. » « L’Etat a le pouvoir de prélever certains impôts, tels que la capitation, l’impôt foncier, l’aumône légale, ainsi que celui de prélever ce qui est nécessaire et ce qui incombe à tous les musulmans d’assurer, tels que l’entretien des routes, la construction d’hôpitaux, la nourriture des affamés et tout ce qui entre dans ce cadre. L’Islam a placé la propriété publique sous le contrôle de l’Etat qui en est le gestionnaire. Celle-ci concerne le pétrole, le fer, le cuivre et tous les produits similaires. Ces biens doivent être exploités et accrus, afin de réaliser le progrès économique de la nation. »

La propriété

La propriété a deux fondements : la nature et le vicariat.

1. Le vicariat :

« La propriété, en tant que telle, revient à Dieu, étant donné qu’Il est le Maître de la Royauté et qu’Il a énoncé que tout Lui appartient. Il a choisi les hommes comme vicaires. Ce droit est général et concerne toute l’humanité. Les hommes, dans leur ensemble, ont le droit de propriété, mais ils n’ont pas la propriété effective. Celle-ci revient à l’individu et elle est conditionnée par l’autorisation de Dieu-le Législateur »

2. La nature :

« Il est dans la nature de l’homme de se mobiliser, pour satisfaire ses besoins. Alors, il est de sa nature d’acquérir le capital nécessaire et de chercher à le posséder. »

Comme nous l’avons vu précédemment, Annabhani rejette toute tentative de limiter quantitativement la propriété ou de l’abolir, parce que cela est contraire à la nature.

Parallèlement, il rejette la liberté absolue d’appropriation, parce qu’elle génère le désordre dans les relations humaines et qu’elle est la cause du mal et de la corruption.

Il définit la propriété comme étant:

« une prescription légale, évaluée en nature ou en capital, qui implique d’autoriser la personne à qui elle est associée de faire usage de l’objet (concerné) et de recevoir compensation en échange. Par conséquent, la propriété n’est prouvée que par l’approbation du Législateur, qui énonce ses modalités. C’est ainsi que le Législateur a autorisé l’appropriation de certains biens et il en a interdit d’autres, comme il a autorisé certains types de contrats et il en a interdit d’autres. Il a interdit l’usure et les gains générés par les jeux du hasard. Il a autorisé les sociétés de personnes et il a interdit les sociétés mutuelles, les sociétés par actions, les sociétés d’assurances, … »

Il y a cinq limitations qualitatives à la propriété : limitation des sources d’appropriation et d’accroissement de possessions, limitation des manières de gérer la propriété, le caractère étatique du sol des terres soumises à l’impôt foncier et dans certains cas bien déterminés, la transformation, décidée par l’autorité, de la propriété individuelle en propriété publique, enfin fournir le nécessaire, à celui dont les moyens ne suffisent pas à satisfaire les besoins.

« Le sens de la propriété individuelle est de donner pouvoir à l’individu sur ce qu’il possède d’une manière déterminée, qui fait que la propriété soit un droit légitime. »

Annabhani réduit les moyens d’appropriation à cinq types : le travail, l’héritage, le besoin d’argent pour vivre, les revenus octroyés par l’Etat à ses sujets et ceux obtenus sans contrepartie (physique ou financière), tels que le don, le cadeau et la dot.

Le droit de propriété implique le droit d’usage, qui englobe l’accroissement de ce qu’on possède et la dépense en consommation et en bienfaisance.

« Le système économique n’intervient pas dans la croissance du capital, parce que celle-ci est liée aux moyens mis en œuvre. Mais, il intervient dans l’accroissement de ce qu’on possède, parce que cela est lié à la manière dont l’individu réalise cet accroissement. »

« Les capitaux se limitent à l’agriculture, au commerce et à l’industrie. L’Islam a autorisé la propriété foncière, qu’elle concerne le sol ou l’usufruit. La terre peut être soumise à l’impôt foncier (dans ce cas son sol appartient à l’Etat), ou soumise à la dîme (si le sol appartient aux particuliers). Il est absolument illicite de louer une terre. Tout propriétaire est obligé d’exploiter sa terre. S’il la laisse en friche trois années consécutives, elle lui est confisquée et donnée à un autre. »

« Le commerce est de deux sortes : licite, désigné par la Loi par le terme de vente, et illicite, appelé usure. Le commerce se divise également en deux : interne et externe. A l’exception des limites énoncées par les prescriptions légales relatives à la vente, le commerce intérieur est libre. Le commerce extérieur est totalement libre. L’Etat n’a que le droit de le superviser. »

« Les prescriptions légales relatives à l’industrie comprennent les prescriptions ayant trait aux sociétés commerciales, les prescriptions ayant trait au salariat et celles relatives à la vente et au commerce extérieur. Au niveau de sa constitution, l’entreprise industrielle est soumise aux prescriptions légales des sociétés. Au niveau du travail, elle l’est à celles qui concernent la rémunération du salarié. Au niveau de l’écoulement de la production, elle est soumise aux prescriptions de la vente, qui interdisent la fraude, l’abus, le monopole et la fixation des prix. Dieu a interdit à l’Etat d’administrer les prix. »

« Les moyens d’accroître ce qu’on possède de façon illicite sont les jeux du hasard, l’usure, la fraude, l’abus et le monopole. Dans la vente, l’usure ne concerne que six types de produits : les dattes, le blé, l’orge, le sel, l’or et l’argent. En dehors de ces produits, il n’y a aucune preuve légale qui rend les autres illicites et par conséquent, il n’y a pas d’usure. Toutefois, l’interdiction peut englober d’autres produits, qui appartiennent à la même espèce et possèdent les mêmes qualités. »

« Dans le domaine de la dépense, l’Islam a interdit de dilapider, c’est-à-dire de dépenser l’argent dans ce qui est interdit et non pas d’être excessif ou immodéré, parce que toute dépense licite, qu’elle serait minime ou excessive, n’est ni dilapidation ni gaspillage. L’Islam a également interdit l’avarice comme il a interdit l’opulence, qui est synonyme d’orgueil, mais il n’a pas interdit l’aisance, ni la jouissance. »

Les sociétés commerciales et le salariat

Annabhani définit la société comme étant « un contrat légal, liant deux personnes ou plus, en vue de mener une activité financière dans un but lucratif. Elle peut être une société de biens ou une société de contrats. »

« Les sociétés capitalistes modernes sont illicites, parce qu’elles ne respectent pas les conditions légales, telles que définies ou extraites des Textes. Les sociétés solidaires sont illicites, parce qu’aucun des associés ne peut céder ses droits à un autre, sans le consentement des autres associés, que ce type de société est dissous, suite à la faillite ou au décès de l’un des associés et qu’elle n’autorise pas l’extension des activités. »

« Les sociétés par action sont illicites, parce qu’elles ne respectent pas les conditions légales des contrats (le consentement des contractants et le but lucratif), que l’association concerne uniquement le capital, sans implication physique de l’individu, que leurs ressources financières croissent automatiquement, sans l’apport d’associés et qu’elles sont pérennes et ne se dissolvent pas par le décès d’un des actionnaires. »

Quant au salariat, Annabhani le définit comme étant « un contrat par lequel le salarié permet, par son effort, à son employeur de posséder un bien en contrepartie d’une somme d’argent. Il est impératif de fixer la nature du travail, sa durée, le salaire et l’effort exigé. Le salaire peut être en monnaie ou en nature. Il est évalué par les gens de la profession. La base de l’évaluation est l’utilité du travail ou du travailleur. Le salaire ne peut être évalué ni en fonction de la production, ni en fonction du niveau de vie minimum des salariés. Il n’appartient pas à l’Etat, ni à la coutume de le fixer. Il ne doit pas être lié à la productivité, ni aux prix. Le prix d’une marchandise étant différent du salaire, lier les deux conduit à ce que les prix commandent le salaire. Ce qui amène l’employeur à le faire monter ou baisser en invoquant la hausse ou la baisse des prix. Il conduit également à ce que les produits de base commandent le salaire, alors qu’ils ne concernent que ce qui assure l’autosuffisance du salarié et garantir celle-ci n’est pas le devoir de l’employeur mais celui de l’Etat. »

Propriété publique et propriété étatique

« La propriété publique est une autorisation donnée par le Législateur à la collectivité, de faire un usage commun d’un objet naturel. Elle englobe tout ce qui est collectivement utilisé, tels que l’eau, l’herbe, le feu, les minerais inépuisables et tous les objets dont la qualité interdit leur appropriation individuelle, tels que les routes, les fleuves, les montagnes, les mosquées, les écoles, les hôpitaux…Elle diffère de la propriété étatique, qui est du ressort du Calife et ne dépend que de son effort personnel. Celle-ci comprend le butin, l’impôt foncier, la capitation et tout ce qui lui est similaire. La propriété étatique diffère également de la propriété publique, puisque le Calife peut accorder le droit à un individu de s’approprier une part. »

« La nationalisation n’est ni une propriété publique, ni une propriété étatique, ni un statut légal (figurant dans la Loi religieuse). Dans l’Islam, l’Etat ne peut s’approprier de force, pour raison d’utilité publique, ce qui appartient aux particuliers, même s’il en paye le prix, parce que les biens revenant aux individus sont respectés et protégés et personne ne peut, y compris l’Etat, leur porter atteinte. »

« Les usines ont le statut de la matière qu’elles fabriquent. Si cette matière ne rentre pas dans la propriété publique, elles sont alors propriétés individuelles. Dans le cas contraire, elles sont propriétés publiques. Par exemple, les usines métallurgiques sont publiques, alors que les usines automobiles sont individuelles. »

La justice sociale ou l’équilibre économique selon Annabhani

« L’Islam a fait de la circulation de la richesse entre tous les sujets, un devoir et il a interdit sa monopolisation par un groupe d’hommes. Si les inégalités dans la société sont excessives, l’Etat doit assurer l’équilibre, en octroyant une partie de ses ressources à ceux qui sont dans l’incapacité d’assurer leur autosuffisance. Il ne s’agit pas d’une mesure temporaire, mais d’offrir les moyens d’assurer cette autosuffisance de façon durable, en permettant l’accès à la propriété. Il n’est pas permis à l’Etat de décréter des impôts supplémentaires, pour atteindre cet équilibre, parce que celui-ci ne fait pas partie des devoirs qui incombent à tous les musulman. »

« L’impôt fait partie de ce que Dieu a imposé aux musulmans, pour réaliser ce qui leur est utile. Il a fait de l’Imam le tuteur qui collecte l’impôt et l’utilise, selon ce qu’il estime utile. Les impôts ne doivent pas être décrétés, pour empêcher l’enrichissement, ni la multiplication de la fortune, parce que l’Islam n’interdit pas l’enrichissement. Ils ne peuvent pas également être collectés pour des raisons économiques. L’impôt n’est collecté que sur base de l’assurance, que les ressources mises à la disposition du Trésor, ne suffisent pas à satisfaire tous les besoins. Ils sont collectés, en fonction des besoins de l’Etat en dépenses et seulement en fonction des besoins des sujets et de la capacité des musulmans à les payer. Ils ne peuvent être graduels, ni dans le sens de la hausse, ni dans le sens de la baisse, mais selon une proportion identique pour tous les musulmans, abstraction faite de la fortune individuelle. »

« L’Islam n’a pas érigé en obligation la réduction des écarts de propriété entre les hommes mais que chaque individu soit autosuffisant, par rapport à ses besoins particuliers. Les grandes fortunes offrent à leurs détenteurs des possibilités d’épargne et concourent à l’acquisition de revenus élevés. Ainsi, la grande fortune se trouve là où se trouve le grand capital, parce que l’argent attire l’argent. Il n’y a en cela aucun risque pour l’économie.
Bien au contraire, elle accroît la richesse économique de l’individu comme elle accroît celle de la collectivité. Le seul danger vient de la monnaie thésaurisée. »

Le budget de l’Etat

« L’Etat islamique n’a pas de budget annuel à établir, ni à présenter devant le Parlement, ni à prendre son avis à ce sujet, parce que les ressources du Trésor sont fournies par les statuts légaux énoncés dans les Textes et qu’elles sont dépensées selon des statuts légaux, mentionnés dans les Textes. Tous ces statuts sont immuables et il n’y a absolument pas de place pour un avis quelconque, ni au sujet des ressources, ni au sujet des dépenses. Quant aux titres du budget et des sommes relatives à chaque poste, ils sont tous du ressort du Calife, qui agit selon ce qu’il estime nécessaire et son ordre doit impérativement être exécuté. »