Aux lendemains de la « révolution » tunisienne, une véritable explosion d’associations s’est opérée en Tunisie, et la majorité des Tunisiens s’accordent à dire que c’est ici un des éléments les plus positifs des acquis de l’après « 14 -Janvier ». Cependant, il faut avouer que la réalité tangible et palpable du côté de la société civile, de celle qui travaille en profondeur et se place définitivement « du côté » des associations qui opèrent dans les régions intérieures de la Tunisie.
En effet, les habitants de ces parties du territoire et du sol tunisiens sont oubliés des autorités, sont oubliés du pouvoir en place, et sont même oubliés par beaucoup de leurs concitoyens. Ils l’ont été avant la révolution, ils le sont toujours après, malgré promesses et espoir. Certes un peu moins oubliés, mais juste en apparence ou sur les lignes de cahiers des charges et d’agendas politico-politiciens qui n’ont aucune valeur sur l’action de terrain, puisque cette action est quasiment inexistante. De ce fait, nous pouvons affirmer qu’aujourd’hui, si les régions négligées et omises par l’ « establishment » tunisien ont regagné de leur intérêt, celui qui leur est complètement légitime, c’est uniquement grâce à certaines associations qui leur apportent soutien, renfort et assistance, en créant et en mettant en place pour eux et chez eux, différentes activités autour de la revalorisation de leurs ressources humaines, de leur accès à l’information, à la communication, à l’employabilité, à la culture, etc…
@ccun, l’Association citoyenneté et culture numérique, fait partie de ces quelques organisations de la société civile qui dédient et consacrent leurs travaux à un terroir défavorisé et désavantagé du pays, la délégation de Menzel Bouzaiene, dans le gouvernorat de Sidi Bouzid, à environ 60 km de ce dernier. « Accun », de l’arabe اكون, comme « être », « je suis », un nom qui inspire au devenir. « Je suis » et « je serai »…
Avant de s’approfondir dans l’activisme d’@ccun, arrêtons-nous un instant sur la réalité de cette ville du centre de la Tunisie. Une délégation qui compte environ 30 000 habitants dont approximativement 8 000 vivent au village. Le taux de chômage y atteint un taux douloureux de 40 %, dont la moitié sont diplômés chômeurs. Mis à part leur injuste et affligeante condition de rester sans emploi alors qu’ils ont consacré des années en temps et en argent (souvent arraché à la caisse familiale destinée aux besoins quotidiens) pour terminer leurs études supérieures, ils subissent au cours de leurs recherches d’un « gagne-pain » légitime un manque d’accès aux offres d’emploi on ne peut plus criant. Une visibilité correcte ne leur est permise qu’après avoir effectué des dizaines de kilomètres, et ce pour consultation d’offres d’emploi, pointage et/ou possibilité de recrutement.Quotidiennement, seulement pour cela.
Par ailleurs, le taux d’illettrisme est majoritaire puisqu’il environne les 65 %, et seulement 1,5 % des familles de Menzel Bouzaiene disposent d’un ordinateur, pas forcement avec une connexion internet. Un peu d’écoles, peu de lycées…
Quand @ccun décide de se pencher sur le sort de cette ville et de sa population, nous sommes en avril 2011. Et il n’y a aucune association sur le terrain. Khaled Ben Ahmed Amami, le président d’@ccun, « souhaite mettre en place une technologie citoyenne dans le but d’informer, former et impliquer », à Menzel Bouzaiene, jusqu’ici abandonnée et livrée à elle-même.
Quand son association recense ses objectifs principaux, elle énumère d’abord « la diffusion de la culture numérique, la défense du droit des catégories vulnérables et marginalisées à l’accès à la culture numérique et le renforcement de la participation des citoyens à la gouvernance locale ». Pour ce faire, @ccun affirme
« travailler principalement avec les femmes en raison de leurs rôles majeurs dans la dynamisation de la société locale, les jeunes diplômés chômeurs et les catégories les plus socialement délaissées. »
Pour toutes ces raisons, l’association a entre autres projets celui de mettre en place le Centre citoyen numérique (CCN,) un lieu où le travail se fait en équipe et en collectivité, autour du noyau mère de l’animation numérique, un outil de formation plurielle. Par la création de leur site internet sidibouzidnews.tn, véritable plateforme d’information interactive, où des articles citoyens se voulant neutres et objectifs tentent d’étayer une actualité en cours, @ccun ambitionne la diffusion de l’information locale et régionale, ainsi que de la culture numérique. Elle œuvre également, et de manière régulière, avec les jeunes diplômés chômeurs dans leur vie sociale et pour l’amélioration de leur vie économique. Et ce en organisant des cycles de formation sur des sujets tels que la communication sociale, l’environnement numérique et informatique, le milieu associatif, les droits de l’Homme, le journalisme citoyen, etc. Le but ultime étant de participer à l’émergence et la mise en valeur du citoyen numérique, un potentiel existant, très affirmé, et démontré à Menzel Bouzaiene.
Car même si les habitants de Menzel Bouzaiene avouent compter beaucoup d’illettrés, ils revendiquent également leur statut de « citoyens numériques ». Ils affirment formellement que leur village est connecté. Il suffit juste de se remémorer que la véritable mécanique de soulèvement, l’instrument, l’unique et principale flamme qui a allumé le brasier qui a pris dans la région de Sidi Bouzid, pour se propager dans toute la Tunisie, a bien eu pour foyer cette partie de la Tunisie. Ce n’est donc pas un hasard, et cela ne date pas d’hier. Pour ses habitants, le numérique est un outil, prolongement à la limite du naturel, instinctif échappatoire du monde réel vers un monde parallèle, encore plus réel.
Si avoir internet leur permet de rester connecté au reste du monde, il leur garantit également une connexion au reste de la Tunisie, principalement le Grand Tunis qu’ils ont bien du mal à rejoindre et à atteindre, faute de moyens (environ 20 dinars pour faire le trajet de Menzel Bouzaiene à Tunis, somme considérable pour une population majoritairement constituée de chômeurs). N’oublions pas en outre que si la connexion internet est vitale pour la majorité d’entre eux, c’est parce qu’elle leur sert à chercher du travail, envoyant jour après jour mail sur mail aux entreprises, et des dizaines et des dizaines de CV par semaine.
De plus, la connexion relativement répandue à Menzel Bouzaiene s’explique également par l’épiphénomène d’un nombre toujours croissant de « publinet » qui ont considérablement augmenté dans la période « post 14-Janvier ». Lorsque « Zaba » était aux commandes du pays, son régime et ses systèmes répressifs contrôlaient jusqu’aux demandes d’ouverture de chaque « publinet ». Ces derniers, comme toute démonstration de désir de propriété, étaient réservés aux RCDistes confirmés, ainsi qu’à leurs humbles serviteurs. Le territoire des « publinet » s’est donc naturellement aéré après la destitution du dictateur fuyard, puisque chaque citoyen pouvait prétendre à en ouvrir un.
@ccun, contrairement à beaucoup d’associations, ne cherche pas à augmenter le nombre de ses adhérents pour renflouer ses caisses, mais plutôt à accroître le nombre de ses volontaires pour rassembler davantage de militantisme et d’engagement humain autour de sa cause. Valeurs autant que besoins essentiels pour mettre sur pied des projets ambitieux, comme ceux actuellement en cours, telle que l’action « Shaping the MENA Coalition on Freedom of Expression », ou l’action « Périphérie Active ».
La première, prévue pour une durée de deux ans, regroupe cinq pays, l’Irak, l’Italie, la Tunisie, l’Egypte et le Maroc, et a pour fondamentaux le renforcement du rôle de la société civile dans la vocation des droits de l’Homme dans le processus démocratique pour les pays cités. Et ce en travaillant à l’amélioration du support régional et international en « networking » pour les droits de l’Homme dans les pays en question. Cela ne pourra s’opérer qu’en améliorant la capacité de la société civile dans les pays cibles pour défendre le cadre juridique qui garantit l’accès à l’information et à la liberté d’expression.
L’action « Périphérie Active », quant à elle, prévue pour une durée de trois ans, a débuté le 1er octobre 2012, et vise à introduire un support fiable et permanent à la société civile du gouvernorat de Sidi Bouzid, dans sa capacité de participation au travail en réseau, tout en se dotant d’une expression libre, et surtout en incluant les instances des groupes dit vulnérables. Cela contribuera certainement à la consolidation de l’action citoyenne dans le cadre de la transition démocratique en Tunisie, ainsi qu’à la promotion des droits de l’Homme, en particulier dans la région défavorisée de Sidi Bouzid. La citoyenneté active, ainsi que l’inclusion sociale, économique, culturelle et politique des personnes issues de groupes sensibles tels que femmes et jeune population, sont de l’ordre de l’exigence pour l’avenir.
(Pour retrouver des vidéos retraçant les différentes actions, voir le compte « YouTube » de l’association. )
Par l’activisme d’@ccun et sa mise en exergue de la « citoyenneté numérique », nous savons désormais que le village de Menzel Bouzaiene a certes une vie numérique, mais que celle-ci s’affirme et se consolide de jour en jour, tout en participant à lutter contre l’isolement de sa population, et surtout à contribuer à l’amélioration des conditions de vie de ses habitants.
[…] Source : Nawaat.org […]
[…] @ccun, « Accun », de l’arabe اكون, comme « être », « je suis », un nom qui inspire au devenir. « Je suis » et « je serai ». L’activisme d’@ccun n’a pas été découragé par le taux d’illettrisme majoritaire de Menzel Bouzaiene, environnant les 65 %, avec seulement 1,5 % des familles de la région qui disposent d’un ordinateur, et pas forcement avec une connexion internet. Un peu d’écoles, peu de lycées… Et malgré ses paramètres difficiles, @ccun décide de se pencher sur le sort de cette ville et de sa population. Nous sommes alors en avril 2011. Et il n’y a aucune association sur le terrain de Bouzaiene. Khaled Ben Ahmed Amami, le président d’@ccun, « souhaite alors mettre en place une technologie citoyenne dans le but d’informer, former et impliquer », à Menzel Bouzaiene, jusqu’ici abandonnée et livrée à elle-même. […]
[…] @ccun, « Accun », de l’arabe اكون, comme « être », « je suis », un nom qui inspire au devenir. « Je suis » et « je serai ». L’activisme d’@ccun n’a pas été découragé par le taux d’illettrisme majoritaire de Menzel Bouzaiene, environnant les 65 %, avec seulement 1,5 % des familles de la région qui disposent d’un ordinateur, et pas forcement avec une connexion internet. Un peu d’écoles, peu de lycées… Et malgré ses paramètres difficiles, @ccun décide de se pencher sur le sort de cette ville et de sa population. Nous sommes alors en avril 2011. Et il n’y a aucune association sur le terrain de Bouzaiene. Khaled Ben Ahmed Amami, le président d’@ccun, « souhaite alors mettre en place une technologie citoyenne dans le but d’informer, former et impliquer », à Menzel Bouzaiene, jusqu’ici abandonnée et livrée à elle-même. […]