Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Quasiment passée au second plan, la discussion du projet de Constitution se poursuit dans un climat géopolitique et national tendu, annonciateur pour certains d’une reconfiguration globale. Alors que l’impasse politique se poursuit en Égypte, quelques centaines de partisans d’Ennahdha ont bravé jeûne et chaleur pour manifester samedi en soutien à la cause des Frères. Une cause « légitime », à défaut d’être une cause juste aux yeux de tous. Prévisible, la teneur revancharde à la tribune fait déjà polémique.

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« Égypte, pas comme ça… »

Durant les mois qui ont suivi la révolution du 14 janvier, toutes sortes de spéculations sans fondements avaient été formulées à propos d’un supposé rôle de puissances étrangères. Deux semaines après les évènements du 30 juin au Caire, insinuer, comme le font nombre d’éditorialistes, que le général al Sissi n’a pas pu agir sans le feu vert des États-Unis, c’est disculper partiellement l’armée égyptienne de ses velléités putschistes chroniques.

Le relatif silence des chancelleries occidentales n’aide pas, certes, à y voir plus clair. Mais si l’on s’en tient au vérifiable, tout porte à croire qu’outre-Atlantique on ait été une fois de plus pris de court. Ce n’est que samedi qu’à la question « êtes-vous pour la libération immédiate du président Morsi ? » une représentante du State Department répond par l’affirmative lors d’une conférence de presse.

La généreuse aide financière de quatre pays du Golfe est en revanche moins équivoque. Le renversement de la vapeur en Égypte est une aubaine pour l’Arabie saoudite et ses émirats alliés dans leur lutte d’influence contre le Qatar. L’islam politique est-il voué à une disparition programmée avec la chute de sa Mecque cairote et une Tunisie qui vacille ? Rien n’est moins sûr.

La solution sécuritaire du tout répressif choisie par l’armée (sait-elle faire autre chose ?) conduit immanquablement à l’affrontement, avec à la clé exclusion, exactions et bavures.

Après les arrestations par centaines, la tuerie du lundi 8 juillet (plus de 50 morts par tirs à balles réelles), malgré les théories du complot et le déni habituels, sonne comme une confirmation de la nature despotique du « nouveau pouvoir », s’il venait à se maintenir.

Certains démocrates en Tunisie ne s’y sont pas trompés : Ahmed Néjib Chebbi est sorti de son mutisme le même jour à l’Assemblée pour fustiger « ce qui présente toutes les caractéristiques d’un coup d’État fasciste », aussitôt qualifié de « traître » à son tour par des réseaux nationalistes se réclamant de la modernité.

Le magistrat nouveau président provisoire décrète dans une mini constitution que l’islam est la « religion d’État ». Le mouvement Tamarrod ne boudera que timidement ce marasme anti laïque.

Le souverainisme fait son come-back

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Diplomatiquement, la nouvelle Égypte a ordonné le rapatriement de son ambassadeur en Turquie. En espérant isoler la sphère d’influence des Frères, l’armée prend le risque de s’isoler elle-même avant d’y parvenir.

Lorsque les autorités militaires s’indignent de « l’ingérence tunisienne », la présidence de la République tunisienne dira « s’étonner de l’étonnement égyptien », non sans une pointe d’ironie. Là aussi cela provoque le courroux des souverainistes, qui invitent chaque pays à se « mêler de ce qui le regarde ».

Peut-on en l’occurrence reprocher à Marzouki de s’en tenir à sa ligne pro révolutions arabes ?

Le 9 juillet, le président provisoire tient à endosser le costume de maître de cérémonie de remplacement du général Rachid Ammar par un relatif inconnu au bataillon, comme à la parade. Si la démission du chef d’état-major était un hasard du calendrier, le ton de la cérémonie de passation ne doit plus rien au hasard : tous les regards sont évidemment tournés vers l’Égypte lorsque Marzouki réaffirme l’autorité d’une institution sur une autre.

Le message est clair : la Tunisie a exporté un modèle de révolution en Égypte, mais elle n’en importera pas de coup d’État.

Invité à s’exprimer sur une TV libanaise, c’est le chroniqueur Bassem Youssef qui met fin à l’argument du « qui sommes-nous en tant qu’étrangers pour rejeter la volonté du peuple égyptien ». Malgré son opposition féroce aux islamistes, il dénonce fermement l’actuelle censure et prédit qu’elle bénéficiera au final aux Frères.

Plusieurs institutions en Egypte semblent s’être liguées sur le mode du « choix du moins pire », unanimes pour revenir à la case sécuritaire d’antan : l’armée, al Azhar, l’Église copte et la magistrature.

S’agissant de la transition tunisienne, une stratégie s’est avérée payante : Moncef Marzouki a cette semaine relancé le « dialogue continu » avec l’ensemble des grands partis politiques. Une façon de faire en sorte qu’ils reconnaissent de facto l’autorité de l’Assemblée constituante et de tout ce qui en a émané, présidence et gouvernement inclus.

Il est indéniable que la popularité des Frères s’érode à vitesse grand V. Même au Maroc, cette dynamique régionale s’est confirmée cette semaine quand Benkirane a perdu sa majorité parlementaire. Dans les pays du Printemps arabe, le conservatisme sociétal se heurte à l’esprit anar’ inhérent aux révolutions.

Pour autant, cette crise a permis de faire la lumière sur une partie des forces d’opposition qui n’a jamais été sincère dans son souhait de réformer l’islam politique. Misant sur son exclusion pure et simple, cette ligne est conforme aux thèses des extrêmes droites occidentales. Celles-ci plaident pour une non compatibilité entre islam et démocratie, alors même que le christianisme a très bien pu générer des chrétiens démocrates.

Libération d’ex-symboles du RCD : c’est Noël pour les fouloul

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Le premier jour du ramadan 2013 rimait cette année avec libérations tous azimuts.

Deux ans et demi après la révolution, quatre lieutenants de Ben Ali, et pas des moindres, sont relaxés dans l’affaire du financement de l’ex-RCD : Abdelwahab Abdallah dit « Goebbels », Abdallah Kallel, poursuivi jusqu’en Suisse pour torture, Abdelaziz Ben Dhia, véritable bras droit de l’ex-dictateur, et Mohamed Ghariani, ancien secrétaire général du RCD.

Si seul ce dernier pourra rentrer chez lui, n’étant pas poursuivi dans d’autres affaires, le verdict reste lourd de sens. Deux jours plus tard, c’était au tour de cinq ex-PDG de la TV nationale de bénéficier de la même clémence. Volonté de détente ? Décision politique ? Certains observateurs dénoncent ce qui est à leurs yeux une justice aux ordres, alternant au besoin la carotte et le bâton.

Cet apparent arbitraire peut cependant s’expliquer par au moins trois hypothèses, là encore en lien indirect avec le contexte égyptien.

La première, la plus « logique », tend vers les prémices d’une réconciliation entre conservateurs, afin d’anticiper toute source de contagion par la vague « Tamarrod », qui se nourrit en partie du traitement sans ménagement réservé aux « azlem ». Une façon de couper l’herbe sous le pieds des pro justice transitionnelle, sachant que les relaxés ne sont pas a priori d’un grand danger pour le pouvoir.

La deuxième pourrait être introduite par une question : un pouvoir machiavélique qui ne dit pas son nom peut-il être tenté de se faire hara-kiri pour mieux rebondir ? L’un des arguments récurrents des anti troïka consiste en effet à avancer que CPR et Ennahdha ont une guerre de retard, et que la menace RCD ne sert plus qu’une ligne révolutionnaire désuète. Dans ces conditions, libérer ces symboles peut être une façon de prendre à témoin l’opinion en ressuscitant le souvenir d’un spectre.

La troisième hypothèse, plausible elle aussi, est la persistance d’une ligne nostalgique parmi des juges laxistes envers l’ancien régime.

Le timing est quoi qu’il en soit opportun pour les plus culottés des destouriens, qui reprennent du poil de la bête. L’Égypte et les jurisprudences RCD favorables coïncident avec des déclarations toujours plus décomplexées de Hamed Karoui, architecte en chef de la réhabilitation du « destourisme », allant même jusqu’à vanter aujourd’hui les mérites de la gouvernance économique des dernières décennies.

A 86 ans, Karoui rejoint une classe politique dont il tire la moyenne d’âge vers des sommets à faire tiquer le plus ringard des soixante-huitards.