Capture d’écran.

La Tunisie est classée 28e pays le plus socialement avancé dans le monde dans le classement de l’Indice de progrès social (the Social Progress Index). Elle devance ainsi le Maroc ou l’Égypte mais également des mastodontes tels que la Chine, l’Inde ou la Russie, habituellement au sommet des listes par PIB. Une bonne nouvelle qu’il faudrait cependant nuancer si l’on écoute les détracteurs de l’Indice de progrès social. Ce nouvel indicateur socio-économique, qui vise à supplanter le sacro-saint PIB, est critiqué, plus pour sa méthodologie que pour son initiative, et certains de ses résultats semblent parfois étonnants, voire incongrus.

L’Indice de progrès social, ou IPS (Social Progress Index, SPI, en anglais), est né de l’initiative du professeur Michael Porter, de la Harvard Business School, en collaboration avec les économistes de l’Institut de technologie du Massachusetts (MIT) aux États-Unis, et a été lancé en avril 2013.

Son but ? Détrôner les indicateurs économiques traditionnels, tels que le sacro-saint PIB, qui se penchent sur la santé économique d’un pays d’un point de vue macro et négligent les dimensions humaine, sociale et environnementale des populations et des nations. En un mot ou plusieurs, mieux prendre en compte le bien-être des habitants.
Dans une tribune de lancement sur le site du magazine Forbes, Michael Green, directeur exécutif du Social Progress Imperative, explique ainsi que :

« Le PIB est tout simplement trop unidimensionnel pour assurer une mesure complète du progrès d’une nation. Le Printemps arabe en 2011 et la décennie dernière au Mexique montrent qu’une croissance économique robuste ne se traduit pas automatiquement en bien-être au sein de la population. Les pays ont besoin d’une nouvelle mesure – comme complément et non comme remplacement à la croissance économique – qui évalue et quantifie des facteurs d’un véritable intérêt pour les personnes réelles. »

Pour ce faire, pas moins de 52 indicateurs ont été utilisés, prenant en compte aussi bien l’habitat, la santé et l’accès à l’éducation que la durabilité de l’écosystème, la sécurité personnelle, la stabilité politique ou la liberté individuelle.

Sans surprise, c’est un pays scandinave, la Suède, qui arrive en tête des pays les plus socialement avancés dans le monde, suivi du Royaume-Uni. Les Émirats arabes unis arrivent à la 19e position, tandis que la Tunisie, le Maroc et l’Égypte sont respectivement classés aux 28e, 37e et 40e places.

L’IPS, arbitraire et biaisé ?

S’il utilise une technique statistique rigoureuse et que certaines données proviennent de sources reconnues au niveau international, telles que la Banque mondiale et l’Organisation mondiale de la Santé, l’Indice est loin d’être exempt de défauts majeurs, selon ses détracteurs.

Arbitraire, biaisé, voire absurde, certains ne lésinent pas sur les qualificatifs. Accusé en outre de refléter une vision occidentale et libérale de gauche subjective, le nouvel indice serait dans l’incapacité de livrer une liste objective des critères de progrès d’une nation ou du bien-être d’une population. Des critères prenant en compte la protection des individus face au chômage, à la vieillesse ou au handicap sont également absents. Une méthodologie où, par exemple, les abonnements de téléphonie mobile se retrouvent à avoir plus de poids proportionnellement que l’espérance de vie, a également été critiquée.

Le bien-être étant une qualité — propice donc aux interprétations subjectives — et non une quantité, il ne pourrait être mesuré, selon certains. Une opinion parfois confortée par l’utilisation de sondages d’opinion utilisés pour collecter certaines des données de l’IPS, telles que les indicateurs de « Liberté de choix », « Tolérance envers les homosexuels », ou « Respect envers les femmes ».

La Tunisie est classée 28e sur les 50 pays sélectionnés. Elle est en revanche 3e dans la région Moyen-Orient Afrique du Nord. Capture d’écran

Dans le cas de la Tunisie, si la Turquie la surpasse dans le classement général, il est étonnant de noter que les résultats de notre pays en termes d’opportunités, de libertés individuelles et de droits paritaires dépassent ceux de nos lointains cousins ottomans de quelque deux points.

Les faits semblent pourtant contredire ces résultats. L’homosexualité est encore illégale en Tunisie, ce qui n’est pas le cas de la Turquie. Les femmes turques jouissent de droits d’héritage égaux à ceux des hommes depuis 1926, alors que la question reste encore sujette à controverse en Tunisie. Pareillement, la Turquie, pays laïque, autorise notamment le prosélytisme pour d’autres religions que l’Islam. Il reste jusqu’à aujourd’hui interdit en Tunisie.

Le choix de seulement 50 nations présentes dans ce classement est également mis en cause. Bien que choisies pour leur représentativité de la population mondiale, la question de la pertinence d’un classement mondial où plus de trois quarts des nations n’apparaissent pas se pose déjà en avant-propos.

John Elkington, autorité mondiale dans le domaine du développement durable et de la responsabilité des entreprises, exprime ses doutes dans L’Économiste :

« On peut prouver toutes sortes de choses en sélectionnant son échantillon. Si le Danemark avait été inclus, il aurait certainement surpassé le Royaume-Uni. Cela est très vraisemblablement un projet en construction et je suspecte que certains des auteurs seront quelque peu embarrassés lorsqu’ils réexamineront ces premières séries de résultats. »

Serait-ce, en somme, une version bêta d’un indicateur économique qui aurait été présentée trop précipitamment comme la nouvelle référence et comme véritable challenger au classement par PIB, et dont les résultats seraient à prendre avec des pincettes ? Pour beaucoup, le “parfait” indicateur économique qui pourra supplanter le si controversé PIB, en y injectant une dimension plus sociale, reste encore à trouver. Par contre, il n’est malheureusement pas certain que la Tunisie garde sa 28e position dans une version “finie” de l’IPS…

Vous pouvez explorer les différentes composantes de l’indice sur ce schéma animé :