revue-de-presse
Dès l’annonce de l’assassinat du député de l’opposition tunisienne Mohamed Brahmi, jeudi 25 juillet, la communauté et la presse internationales se sont fait l’écho de la colère et de l’émotion immenses qui ont saisi la nation tunisienne. Entre inquiétudes et interrogations, c’est le sort de la Tunisie post-révolutionnaire qui est également ausculté.

Une communauté internationale unanime

La communauté internationale a promptement réagi à ce que le ministre d’Etat britannique chargé du Proche-Orient et de l’Afrique du Nord, Alistair Burt, a décrit comme de « si lâches actes de violence ». Ce dernier a réitéré les liens d’amitié et de partenariat qui lient le Royaume-Uni à la Tunisie, tout en encourageant les Tunisiens à s’engager sur la voie du dialogue.

Aux Etats-Unis, la porte-parole du département d’Etat, Marie Harf, déclare que « la violence n’a pas sa place dans la transition démocratique tunisienne », exhortant « tous les Tunisiens à renoncer à la violence et à s’exprimer pacifiquement ».

« Choquée et profondément attristée », la haut-commissaire de l’Onu aux droits de l’Homme Navi Pillay a appelé la classe politique du pays à « former un front uni » contre les tentatives visant à faire échouer la transition démocratique en cours, tout en réclamant « une enquête rapide et transparente ». La chef de la diplomatie européenne, Catherine Ashton, a condamné « avec la plus grande fermeté » l’assassinat et appelé la Tunisie à une « réponse citoyenne et pacifique ».

Ban Ki-moon, secrétaire général des Nations Unies, qui le 26 juillet avait également appelé à la libération de l’ex-président égyptien Mohamed Morsi, a encouragé la Tunisie à ne pas laisser cet « acte odieux » faire dérailler la transition démocratique tunisienne.

Le département général des Affaires étrangères suisses, le président du Parlement européen, Martin Schulz, et le président de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE), Jean-Claude Mignon, se sont également joints aux condamnations internationales.

François Hollande condamne « avec la plus grande fermeté l’assassinat », tout en réaffirmant que la France dans ces circonstances « doit être aux côtés du peuple tunisien ». En déplacement avec le président français, le ministre des Affaires étrangères, Laurent Fabius, a également assuré que la « France condamn[ait] cet assassinat de la façon la plus absolue ».

Bertrand Delanoë va jusqu’à se déplacer en Tunisie pour visiter la famille de Mohamed Brahmi aux côtés de l’ambassadeur de France en Tunisie, François Gouyette :

« Je veux simplement exprimer au nom de Paris sa solidarité à la veuve de Mohamed Brahmi, qui se trouve en charge de cinq enfants ».

Du côté de l’Hexagone, si la gauche française s’est manifestée dès les premiers instants, la droite française semble avoir gardé ce que Christophe Barbier, rédacteur en chef de L’Express, a qualifié de « silence total ».

« La France au chevet d’une Tunisie » à « l’épreuve » ?

La presse française a fait de l’assassinat de l’opposant tunisien un de ses thèmes d’actualité majeurs, aux côtés de la tragédie ferroviaire espagnole à Saint-Jacques-de-Compostelle. De la grève aux funérailles, en passant par les manifestations et les déclarations de figures politiques (Marzouki avec Le Monde) ou d’acteurs de la société civile tunisienne (l’universitaire Hamadi Redissi avec Libération), la couverture médiatique française suit l’actualité tunisienne de près.

Le ton est clairement alarmiste. Pour le journal Libération, c’est « La Tunisie [qui] est assassinée une deuxième fois ». C’est une Tunisie « à l’épreuve », qui « doit protéger le pluralisme », car « écartelée entre deux camps » où la menace islamiste et la liberté d’expression font débat, que l’on essaye de décortiquer.

Si Le Monde présente des partisans d’Ennahdha choqués et craignant un scénario à l’égyptienne, Libération, pour sa part, montre la colère d’un peuple où certains scandent qu’ « il faut éliminer Ennahdha ! ».

Pour Christophe Barbier, dans l’édito en vidéo de l’Express, ce sont probablement les islamistes qui ont perpétré l’assassinat. Il ajoute, plutôt catégorique :

« Nous n’avons pas fait de progrès vers la démocratie dans ce pays ». Et d’ajouter sur un ton sombre : « Que faire ? Laisser le pays s’armer ? […] Laisser ce pays aller vers la guerre civile ? » La question de l’aide ou de l’ingérence occidentale revient ainsi sur le devant de la scène : « […] tenter, nous occidentaux, de faire pression pour que l’on oublie jamais que le Printemps arabe n’aura de lendemains que si l’on veille sur lui jour après jour. ».

Et Christophe Barbier de conclure :« Oui, nous devons, nous Français, être au chevet de la Tunisie. »

C’est dans le journal Le Monde que le président tunisien Moncef Marzourki livre un entretien où il taxe l’assassinat « d’opération de déstabilisation », dans une Tunisie où « le consensus national est extrêmement fort et [où] règne la paix civile. » Pour les Echos, c’est la Tunisie sous tensions, avec le trio “manifestants, police et lacrymogène”, et des jeunes de la gauche qui appellent à la chute d’Ennahdha.

Le Nouvel observateur revient sur le choix de la date de l’assassinat, soigneusement choisie pour signifier « aux Tunisiens que leur pays ne serait pas une République ». L’éditorialiste Jean-Marcel Bouguereau ne mâche pas ses mots : « […] un régime qui n’arrive pas assurer la sécurité de ses opposants a évidemment failli », ajoutant : « Cet assassinat signe l’arrêt de vie du gouvernement ».

Dans le même journal, c’est Vincent Geisser, chercheur à l’Institut de recherches et d’études sur le monde arabe et musulman, qui affirme : « Je pense que ce crime ne sera pas le dernier. »

Pour Le Parisien, se sont surtout les images émouvantes qui parlent. Celles de Tunisiens et Tunisiennes, celle de la famille du défunt, exprimant leur colère et leur douleur dans les rues de Tunis.

La Tunisie vers un scénario égyptien ?

Du côté des médias anglo-saxons, c’est l’interrogation face à un possible nouveau scénario à l’égyptienne qui règne.
Le Washington Post met en exergue que ce second assassinat pourrait sonner le glas pour le gouvernement islamiste tunisien, mais également mettre à mal les espoirs de démocratie.

Dans le New York Times, on souligne que l’assassin aurait des liens avec Al Quaeda, et que le « le défi le plus sérieux pour Ennahdha est de contrôler les extrémistes au sein de ses partisans ».

Le Los Angeles Times met l’accent sur les manifestations populaires réclamant la chute du gouvernement au pouvoir. Selon les mots de Hassiba Hadj Sahraoui, directrice adjointe du programme Afrique du Nord et Moyen-Orient à Amnesty International :

« Peu a été fait par les autorités pour assurer que les attaques reportées contre les membres de l’opposition font l’objet d’enquêtes adéquates et que les responsables sont amenés devant la justice, alimentant un climat d’impunité et de croissante polarisation politique. »

Pour le quotidien britannique The Guardian, la Tunisie passe par une crise qui peut être fatale à la nation, mais également au futur du monde arabe :

« Avec une Syrie en flammes, une Egypte dans l’impasse et une Libye affaiblie, un échec tunisien compléterait le pessimisme en jetant une ombre sur une révolution qui fut si populaire dans la région et au-delà. »

« Le triple affront » à la Tunisie vu par le monde arabe

Pour l’Economiste Maghrébin, c’est un « triple affront » qui a été fait au peuple tunisien :

« Ce peuple a vu l’un de ses représentants à la Constituante criblé de 11 balles devant ses enfants ; il a vu son jour de fête se transformer en un jour de deuil ; et, enfin, on a osé porter atteinte à l’une des valeurs sacrées profondément ancrées dans le conscient collectif tunisien : le jeûne du mois de Ramadan. »

Le monde arabe s’est aussi fait l’écho du drame d’une manière quasi-unanime. Le secrétaire général de la Ligue des Etats Arabes, Nabil Elaraby, a condamné fermement l’assassinat, en appelant les Tunisiens à la prudence et à l’union face au terrorisme.

A l’unanimité, les partis nationalistes arabes dans chaque nation ont exprimé leurs plus vives condamnations, rendant hommage à la fidélité de Brahmi au courant nationaliste. Le ministre de la communication du parti de Bachar al-Assad ainsi que les plus hautes instances du parti baathiste ont fermement condamné un assassinat qualifié de vil. La fille de Saddam Hussein, Raghad Hussein, s’est exprimée sur son compte Facebook — suivi par plus de 193 000 followers — pour condamner l’assassinat, qualifiant le nationaliste et nassériste Mohamed Brahmi de martyr du monde arabe.

En Egypte, le parti Ettayar Echaabi (Courant populaire) de Hamdine Sabehi a dénoncé l’assassinat dans un communiqué officiel, publié jeudi 25 juillet, en soulignant l’importance du combat contre l’obscurantisme. Une manifestation égyptienne populaire, initialement organisée le 25 juillet sur la place Tahrir pour soutenir le combat contre le terrorisme, a également exprimé la condamnation de l’assassinat, et des messages de soutien au peuple tunisien.

C’est la menace d’un scénario pareil à celui de la sombre décennie 90 en Algérie qui est le plus redouté chez nos voisins algériens. Si la diplomatie algérienne a fermement dénoncé l’assassinat du député de l’Assemblée nationale constituante, le quotidien algérien El Watan souligne quant à lui que :

« L’assassinat de Mohamed Brahmi pourrait en être l’étincelle [de la déstabilisation], à moins que la classe politique ne parvienne à maîtriser la situation par une manœuvre politique audacieuse comme celle de Hamadi Jebali [… lorsqu’il] avait annoncé un projet de gouvernement d’union nationale. »

Le Temps d’Algérie titre quant à lui « La Tunisie au bord de l’implosion », estimant que les membres du parti Ennahdha ont « malgré eux, laissé paraître leur panique de quitter le pouvoir, en multipliant les déclarations selon lesquelles le scénario égyptien ne pourra pas se produire en Tunisie. »

Le ministère des Affaires étrangères marocain a « condamn[é] énergiquement cet acte criminel abject, et réitér[é] son rejet de la violence et de l’assassinat politique […] ainsi que tout ce qui peut menacer la stabilité et l’unité de la Tunisie soeur ».

Au Liban, The Daily Star Lebanon constate une Tunisie en pleine tourmente après l’assassinat d’un politicien laïque, mais note également les manifestants pro-Ennahdha du vendredi 25 juillet, scandant leur rejet d’un nouveau gouvernement d’unité nationale.

Le Qatar a également rejoint le cortège des condamnations, dans un communiqué rendu public le vendredi 26 juillet :

« Cet acte ignoble est destiné à déstabiliser la Tunisie, nuire à l’unité de son peuple et entraver son projet national d’une transition démocratique, écrit le gouvernement qatari dans un communiqué, se disant confiant dans la capacité du peuple tunisien (…) et de son gouvernement à en surmonter les conséquences. »