La transition unanimement souhaitée est dans l’impasse. Une constituante à l’arrêt. Un gouvernement en panne. Une nouvelle crise politique où de toute évidence les forces en présence se sondent, se testent. L’une pour se maintenir au pouvoir “provisoire”. L’autre pour l’en déloger et s’ériger en recours. Dans l’arrière-cour de cette avant-scène politique, tout un petit monde grouille et s’affaire : qui, croit pouvoir organiser un trafic d’armes récupérées à vil prix sur le marché libyen surabondant ; qui, espère tirer avantage de la perturbation des circuits de distribution ; qui, cherche à monnayer ses petits services, à marchander toutes sortes de choses. La situation sociale ne cesse de se dégrader. Le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie court les places de marché financier pour boucler les fins de mois. Les organismes de soutien à l’économie (Cepex, Apie) s’activent et se démènent pour éviter la crise de « liquidité » extérieure ou intérieure qui guette un système monétaire et financier proche du krach.
Comme si cela ne suffisait pas, l’effroi et le désarroi se sont emparés de toute une société, aggravant son anxiété diffuse, suite à la répétition rapprochée de meurtres politiques, d’attaques sanglantes contre les forces armées par des terroristes surgis de nulle part. La goutte d’eau qui fait déborder le vase… dira un élu.
Bien entendu toutes sortes de théories fantaisistes — mais pas toutes —, conspirationnistes ou complotistes, ont fleuri de nouveau, spéculant sur les commanditaires de cette déstabilisation, voire sur ceux qui à plusieurs milliers de kilomètres tireraient les ficelles à des fins obscures d’intérêts géostratégiques. On ne saura jamais !
Toutes ces péripéties tragiques, suivies du blocage des instances politiques provisoires, celles précisément qui avaient fait consensus, ont entamé le reste de crédit que l’opinion pouvait encore accorder à ce moment dit de la transition, substantifiée emphatiquement par certains de démocratique puisque légitimée par les urnes. Que d’illusions perdues !
Avec le recul les historiens le qualifieront plus précisément. Une nouvelle page d’histoire s’écrit bien, mais celle-ci ruse avec ses acteurs et ne se déroule pas selon les plans préétablis. L’histoire, avouons-le, se dérobe pour l’instant à tout entendement.
Ennahdha croyait pouvoir faire main basse sur les appareils de l’Etat et ainsi mettre au pas tout un corps social, qui lui n’avait et n’a toujours pour objectif que celui d’un véritable et profond changement social et politique. Une contradiction qui se dénoue dans l’échec donc. La population, du moins une large fraction, se rebelle. Probablement plus du demi-million sur l’ensemble du territoire. De quoi s’interroger ! Déroute d’une coalition laïco-islamique qui persiste et signe, et s’exténue dans le déni de réalité mais qui se disloque lentement. De craquements en fissures… qui vont bien finir par avoir raison d’elle.
Tout le jeu politique du moment consiste pour les uns à retarder l’échéance quand les autres s’efforcent d’en rapprocher la fin.
Alors quelle issue ? Quelle nouvelle configuration institutionnelle ? Quel nouveau contenu à la prochaine étape ? Chaque camp, à l’évidence, compte ses troupes, ses alliés en vue d’une nouvelle confrontation, une nouvelle épreuve de force.
Bascule dans une guerre civile larvée…. Peu probable ! Leurs auteurs présumés car pré-identifiés seraient vite confondus et neutralisés car sans véritable assise populaire : LPR, groupes d’activistes salafistes, milices para-policières, professionnels du djihad.
Des risques de nouvelles flambées de nouvelles violences ne sont bien évidemment pas à exclure… loin s’en faut.
Quelles pourraient être alors les portes de sortie ? Une chose est sûre car c’est la règle en la circonstance : Ne pas perdre la face ! Faire en sorte que les apparences soient sauves et qu’il n’y ait aucun vainqueur ou perdant. Une vraie gageure ! Un gouvernement de salut national ? Introuvable selon toute vraisemblance.
Qui osera aller au feu et être la cible de presque tout le monde, sans en espérer un gain quelconque, sachant qu’en outre il ne pourra se présenter aux futures élections ? Pure abnégation, pur altruisme… tout le monde sait bien que cela est impossible.
Un gouvernement d’union nationale ? Une option jouable, mais un équilibre des forces qui pourrait être très long à trouver. Palabres, crocs-en-jambe, manœuvres pourraient durer plusieurs semaines. Le tout pourrait déboucher sur des arrangements et des accommodements, dont le pays a le secret de longue date, une seconde nature en réalité. Probablement alors, un enrobage avec des termes nouveaux : politique et sémantique ont toujours fait bon ménage.
Si les derniers événements n’avaient pas été si tragiques et cruels, la dernière période prêterait à cynisme et à dérision, tant la classe politique n’a de cesse de se discréditer. Du patriotisme d’un coté, à la défense de l’islam de l’autre, tout cela est un peu court mais tient lieu d’argument central, ad nauseam, un sophisme bien tunisien qui consiste à répéter à satiété pour espérer avoir raison par forfait de la partie adverse.
Seule une petite fraction d’entre-elle, il faut bien lui rendre grâce, une poignée pour ainsi dire, ose prendre le peuple à témoin. Une minorité d’élus déterminée à refuser les compromissions mais qui comme un fait exprès est absente des multiples sondages.
En dépit de toutes ces vicissitudes, de tous ces atermoiements, ne pas prendre part au combat politique serait à proprement parler une “erreur fatale”. Libre à chacun de choisir les siens. Trop nombreuses sont en effet les forces qui poussent à cette désaffection du “politique”, au désenchantement attentiste, au renoncement dangereux, à une capitulation qui n’en serait que plus fatale.
Un décodage donc particulièrement difficile pour peu que l’on veuille bien s’éviter de lire dans le marc de café ou de se lancer dans des conjectures qui seraient d’emblée suspectes. Mais alors une vigilance de tous les instants, et se remémorer que ce que le peuple donne, le peuple peut le reprendre… et au diable toute légitimité formelle.
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