« Le quartet rejette l’approbation de son initiative par Ennahdha ». Par sa seule ambiguïté, cette affirmation datée de samedi rend compte de l’inextricable bourbier dans lequel s’enlisent les différents acteurs du « futur ex » dialogue national. Seul mérite à la semaine politique écoulée, la parole se libère çà et là crevant l’abcès. Bas les masques : entre les protagonistes, le déficit de confiance est total.

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L’arlésienne de la sortie de crise

Ceux qui ont eu affaire à Ennahdha autour d’une table de négociations s’accordent à lui reconnaitre un talent : fort de son aptitude à manœuvrer et à redéfinir en permanence le seuil de ses exigences, le parti de Rached Ghannouchi fait figure de dur à cuire de la politique politicienne.

La semaine du 16 au 21 septembre n’a pas dérogé à la règle : Ennahdha a attendu les toutes dernières heures du délai qui lui était imparti pour au final rendre une copie absconse, consistant vendredi en un communiqué manquant toujours autant de clarté, qui reprend d’une main ce qu’il donne de l’autre. Ainsi le parti au pouvoir « est disposé à entamer le dialogue, sans conditions », phrase suivie de sa propre feuille de route, déclinée en 3 points.

Pour l’opposition, et comme nous le savons désormais aussi pour le quartet arbitral, c’est là où le bât blesse. Selon le Front du salut national, Ennahdha n’est plus en mesure de dicter un cahier des charges qui ne passerait pas par une démission préalable du gouvernement Larayedh.

Pour Ennahdha, ce point précis devient l’enjeu d’une lutte quasi existentielle. Car cette semaine sont apparues de nouvelles exigences en marge de la propre adhésion de l’opposition au plan du quartet : via un amendement de la loi portant organisation provisoire des pouvoirs publics, le prochain gouvernement de compétences ne pourrait plus subir un retrait de la confiance que par un vote aux deux tiers des élus, et non plus à la majorité absolue (50+1) comme cela est en vigueur actuellement.

« Avec un tel gouvernement indéboulonnable, qui pourrait encore garantir la poursuite de la transition démocratique, la tenue d’élections, voire la non suspension de la Constitution elle-même ? », arguent la plupart des leaders d’Ennahdha, et non plus seulement son aile dure.

C’est donc dans ce contexte d’impasse rhétorique que se tenait samedi la tant attendue conférence de presse du quartet UGTT – Utica – LTDH – Ordre des avocats, annoncée comme « heure de vérité » destinée à prendre à témoin l’opinion publique sur les raisons de l’échec.

A cet égard, la performance du quartet n’a satisfait ni les pro opposition pour qui elle n’a pas formulé de débouchés concrets en terme d’actions de rétorsion, ni Ennahdha « choqué par des prises de position clairement partisanes » qui l’acculent de façon exclusive.

Escalades verbales tous azimuts

Ce n’est que quelques heures plus tard que le comité administratif national de l’UGTT, réuni en urgence, dévoilera son intention de sortir l’artillerie lourde : reprendre le maquis de la rue, avec à terme une grande marche nationale destinée à « imposer » son initiative telle quelle, et non plus à moitié, tout en agitant le spectre de la grève générale.

Prenant acte de ce qu’elle n’est pas la seule à considérer comme un grand bond en arrière, Ennahdha convoque sa propre conférence de presse pour le lundi 23 septembre dans un grand hôtel de la capitale. Au programme sans doute une réaction à la grande messe médiatique des membres du quatuor, qui selon les pages islamistes des réseaux sociaux « se sont ligués contre la troïka, Houcine Abassi en tête ».

Loin d’apaiser ce climat social et politique au bord de l’implosion, la présidence de la République choisit ce moment précis, en concomitance avec la montée de la colère du quartet samedi, pour donner la primeur à 3 médias connus pour une certaine proximité idéologique avec l’actuel pouvoir.

Sur l’antenne d’al Moutawasset, al Ikhbariya et TNN, Moncef Marzouki proposera sa propre vision de la sortie de crise, avant de juger que l’actuel gouvernement « n’a pas échoué ». « Inacceptable » pour une partie de l’opposition pour qui le but de l’opération est de « parasiter l’intervention du quartet ».

Sur les plateaux d’autres médias, la consigne reçue par les représentants de l’opposition était visiblement de focaliser au maximum sur le document d’avertissement de la CIA annonçant l’assassinat de Mohamed Brahmi plusieurs jours à l’avance.

Après avoir été éclipsée mardi par la 2ème grève des médias en un an, la reprise des travaux de l’ANC a été absorbée jeudi par le dossier Brahmi, la séance de questions aux gouvernement s’étant transformée en plaidoirie des ministres, notamment de Lotfi Ben Jeddou qui a botté en touche quant à la responsabilité indirecte de ses services.

« Indécent » pour les membres de l’IRVA qui s’attendaient au minimum à des excuses à la famille du martyr.

L’étau se resserre contre les dissidents anarchistes

La semaine fut enfin marquée par la multiplication exponentielle des arrestations de créateurs et de jeunes dissidents. Pour les proches de Néjib Labidi qui excluent une coïncidence, « le harcèlement policier est évident ». Interpelé à son domicile avec 7 autres amis et collaborateurs dans la nuit de vendredi à samedi, Labidi supervisait un projet de documentaire produit par l’artiste Nasreddine Shili lui-même toujours incarcéré pour la désormais tristement célèbre affaire de l’œuf.

Peu d’informations ont filtré jusqu’ici, mais l’avocat Ghazi Mrabet se dit « révolté et dégoûté » par l’instrumentalisation de l’appareil pénal anti cannabis, l’une des principales causes de surpopulation carcérale.

L’affaire s’ajoute à d’autres du même type, dont l’ouverture cette semaine d’une information judiciaire à l’encontre de syndicalistes des forces de l’ordre, envoyant le signal d’un acharnement répressif contre tout empêcheur de tourner en rond.

Leurs soutiens promettent de ne pas laisser une actualité politique surchargée faire passer les luttes libertaires au second plan.