Quel rapport y a-t-il entre Wim Wenders, Abel Ferrara, Ettore Scola ou Quentin Tarantino avec le cinéaste Tunisien Néjib Belkadhi ? Probablement cette capacité à sonder, chacun à sa manière, la nature humaine pour la retranscrire formidablement dans une œuvre, à l’univers si particulier, qui ne laisse guère indifférent. En cela, celui qui fut l’une des révélations de Canal+ Horizons, il y a de cela une quinzaine d’années, côtoie désormais les grands noms du cinéma mondial.
Bastardo, dernier film de Néjib Belkadhi, nous offre une lecture originale de cette nature humaine en abordant ce que deviennent les individus lorsque l’État, ce régulateur des rapports sociaux, devient défaillant. Qu’advient-il des groupes humains lorsqu’ils sont livrés à eux-mêmes et, par delà, aux bas instincts des uns et des autres ? En somme, face à la cupidité, la convoitise, l’ambition et l’arrivisme, que deviennent l’amour, la générosité, la compassion et le dévouement ?
Bastardo, bande-annonce sur YouTube
Le film de Belkadhi dépeint l’histoire d’un quartier d’une banlieue tunisienne à l’abandon où Mohsen, malgré les coups tordus de “Larnouba“, “s’empare du pouvoir” grâce à une antenne relais GSM. Il cherche ainsi à prendre sa revanche sur la vie et sur toutes les humiliations dont, lui, le bâtard, fut l’objet sa vie durant. C’est la trame de Bastardo au sein de laquelle les personnages de “Larnouba“, khadhra, Am Salah, Khlifa, l’élusive Morjana et Bent-Essengra, une sorte d’ange à la Wenders, nous révèlent la laideur de la nature humaine, surtout lorsque la loi du plus fort triomphe…en apparence.
Bien que le thème de la nature humaine soit récurrent au cinéma, car traité sous l’angle d’un large éventail qui va de la trame post-apocalyptique à celle du Néoréalisme de l’école italienne, il n’est toujours pas évident d’éviter les pièges de la narration, de la débauche des effets spéciaux ou, inversement, des platitudes, voire des niaiseries des films aux budgets modestes.
Néjib Belkadhi s’est faufilé à travers ces pièges pour nous offrir un film des plus originaux tant sur le plan d’un style audacieux que sur celui du choix de la trame et des personnages. Ces mêmes personnages, non sans malice et surtout habilité du réalisateur, vont incarner cette part de vérité humaine distillée par des dialogues, des attitudes, des costumes et des timbres des voix qui figent le spectateur dans cet univers sordide par son indigence morale et intellectuelle et dont la nature humaine a le secret.
En forçant les traits de certains de ses personnages, Belkadhi le fait avec une intelligence, laquelle, à la fois, flatte les stéréotypes populaires du voyou et du cupide chez le spectateur, tout en lui renvoyant à la figure cette part de laideur enfuie en chaque être humain.
Du coup, les “affreux, sales et méchants” du film Bastardo, c’est un peu le miroir de ce que nous sommes susceptibles de devenir, pour peu que les conditions s’y prêtent. Et, au fond, ce que sous-tend le film en terme de voracité et de cupidité, c’est aussi les mêmes “affreux, sales et méchants” en col blanc. C’est ce que furent les proches de Ben Ali et c’est ce que produit tout capitalisme sauvage à l’aune des monopoles de fait et de droit. Telles ces multinationales, parmi lesquelles certaines, et pour ne citer que cet exemple, font du contrôle des graines et des semences ce que Bastardo fit de son relais GSM.
À la question “qu’est-ce qui a motivé ce film ?” Néjib Belkadhi, avec sa passion coutumière, indique à Nawaat :
C’était, à l’époque de l’écriture en 2007, une espèce d’urgence pour parler de notre société et de la notion du pouvoir dans un quartier imaginaire où la cupidité -assène le cinéaste- se le dispute à la servilité. Une façon détournée -précise-t-il- de parler des méandres du pouvoir et de sa relation étroite à la mort.
Nejib Belkadhi
Et nul doute que beaucoup de Tunisiens verront ce parallèle flagrant qui lie Bastardo au régime de la dictature de Ben Ali, tant elle s’est caractérisée par sa cupidité sans limites et par cet infâme arrivisme des Trabelsi qui les a menés à leur perte.
Le Film de Belkadhi, de par sa qualité appréciée par les pairs du réalisateur, a entamé sa carrière sur les chapeaux de roues en ayant été sélectionné au Toronto International Film Festival, lequel s’est tenu au Canada du 5 au 15 septembre 2013. L’avant-première mondiale de “Bastardo” a donc eu lieu durant ce festival, comptant parmi les plus prestigieux.
En mentionnant cela, c’est l’occasion, par ailleurs, de reformuler le même coup de gueule, souvent exprimé de ma part, à l’égard de la Télévision nationale. Il est particulièrement regrettable que ce “mammouth”, financé sur la facture d’électricité des citoyens, néglige toujours avec autant de désinvolture les productions culturelles tunisiennes au sein de ses JT de 20h. Un “sujet” de 90 secondes couvrant un concert d’Anouar Brahem dans une capitale européenne (et ce, afin d’informer également les Tunisiens sur place qui aimeraient s’y rendre) ne risque pas d’incendier la “forteresse”. De même, faire un “sujet” sur le dernier film de Belkadhi et sa participation au festival de Torento n’allait pas faire vider les salles des partis politiques de leurs sympathisants et, encore moins, vider les salles de Nancy Aajraam !
Le désert culturel tunisien devrait également être traité dans les JT de 20h. Quant au film Bastardo, c’est avec amertume que je relève que ledit film, hormis quelques salles à Tunis, ne sera jamais projeté sur le reste du territoire Tunisien. Non point parce que la censure va sévir, mais, tout bêtement, parce qu’il n’y a plus de salles de Cinéma. Les mosquées et les cafés ont pris le relais des lieux de messes culturelles et les micros du JT de 20h ont fini par être tendus à des énergumènes de l’acabit d’un “Adel Almi” !
Quand l’actualité d’une pointure internationale comme A. Brahem ou N. Belkadhi finit par être éclipsée au profit de celles de quelques tocards “illuminés” sortis de nulle part, c’est dire à quel point l’avenir culturel de ce pays est tout tracé ! C’est dire à quel point ce genre de contraste entre la promotion du spectacle de l’obscurantisme et la négligence de la culture vous fait prendre des coups de sang !
Un casting de “gueules”…
Astrubal, le dimanche 29 septembre 2013.
Merci pour ce billet qui me donne vraiment envie de voir le film (proche de Wenders, vous avez dit Wenders ???)
Toutefois, je ne suis pas d’accord avec votre analyse lorsque vous écrivez “C’est ce que furent les proches de Ben Ali et c’est ce que produit tout capitalisme sauvage ”
Il ne s’agit pas de n’imputer la “laideur humaine” qu’au capitalisme sauvage et à Ben Ali, car il serait vain de croire que les dictatures religieuses n’impliqueraient ni la même laideur, ni la même sauvagerie …
Wim Wenders ne se compare pas avec d’autres réalisateurs, pour son style unique qui est typiquement le sien . Il fallait voir Paris-Texas, et découvrir le vrai génie artistique de Wenders et la façon particulière dont il traite ses thèmes, qu’il serait difficile d’en faire des comparaisons .
Créer son propre style, est une règle fundamentale chez les grands cinéastes . Ce style personnel s’obtient par 2 élements : L’expérience pratique abondante et l’age . Rien d’autre . Le propre style permet au cinéaste de tourner d’autres films, en cas de succès . C’est sa carte-visite .
Quant à la comparaison faite avec Ettore Scola, (peut-être pour son chef-d’oeuvre “Brutti, sporchi e cattivi” qui choquait énormément à l’époque), il vaut mieux s’en passer des comparaisons qui mènent à croire que c’est du copiage, alors que ce n’est pas tout à fait le cas . Un cinéaste est contraint à dépendre de sa capacité artistique et de son esprit innovatif . Pour tout cela, on a besoin de développer une méthode personnelle fixe, selon ses préférences, et qu’on y reste fidèle pour que le style personnel “murisse” progressivement après chaque film qu’on tourne . Mais le choix de la méthode, en combinaison avec un certain sens d’esthétique, devrait conduire au “bon chemin”, sachant bien que le succès d’un film est lié inséparablement avec le nombre de spectateurs, et donc avec le nombre de tickets vendus aux guichets des cinémas . Rien d’autre !
Le résultat est donc purement financier, pour tout projet de film d’où la seule question qu’on pose, c’est si les dépenses du projet ont été récupérées, et s’il y a un bénéfice, et combien ?
Billehi tfarjou fil film et on arrête les références et votre ego culture occidental c’est un film tunisien fait par un tunisien à partir de notre vecu et c’est à lui l’honneur d’être analyser et pas vos références et la subjectivité qui est en vous et dans votre vecu.
SOYONS OBJECTIVE ET PRODUISEZ UNE CHOSE POUR EN PARLEZ APRES…..
[…] Pour lire la critique du film « Bastardo » publiée sur le blog de Nawaat le 29 septembre 2013, c’est sur ce lien. […]