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Les problèmes du secteur de la santé ont défrayé la chronique ces derniers temps, avec le récent bras de fer ministère de la santé-syndicats hospitaliers et les déclarations des hauts fonctionnaires du ministère des affaires sociales annonçant la « faillite » prochaine de la CNAM.

En fait, c’est devenu une tradition, chaque année à pareille période (clôture des comptes oblige) les responsables successifs du dossier assurance-maladie clament la même annonce de faillite dans les médias, occultant ses vraies causes, et laissant entendre qu’elle était la conséquence des abus des tunisiens, consommateurs « invétérés » de services médicaux, et, de la rapacité des prestataires de services.

Pourtant la vérité est ailleurs.

Le faible taux de cotisation, péché originel de la CNAM.

Rappelant de prime abord que la CNAM n’a aucune vocation à faire des bénéfices en tant que caisse d’assurance maladie, elle est même condamnée, comme toute caisse d’assurance maladie qui se respecte à jongler pour équilibrer ses comptes et limiter son déficit.

De plus, notre CNAM souffre d’un péché originel, car dés sa création, elle a été « plombée » financièrement par son faible taux de cotisation contre l’avis de tous les experts, dont ceux de l’union européenne qui préconisait un taux de cotisation minimal de 9%. Pourtant, décision fut prise sous la pression de l’UTICA et de l’UGTT de n’y consacrer que les 7.25 % actuels, ce qui explique le plafond de dépense familial anémique, et la prise en charge très sélective des actes et les différentes limitations à l’accès aux soins, surtout dans la filière privé du tiers payant.

En France par exemple ce taux est prés du double du notre (plus de 13% et on demande de l’augmenter !).

Une CNAM saignée à blanc.

Comme notre population vieillit et se sédentarise relativement vite comme le montre notre évolution démographique, il va de soi que les besoins en services de santé ne peuvent qu’augmenter alors que le nombre de cotisants à l’assurance maladie diminue inéluctablement du fait de l’augmentation du nombre de retraité par rapport à la population active.

Et pour aggraver encore plus la situation, l’état au lieu de voler à son secours, impose à la CNAM la prise en charge de prés de 350 000 étudiants et plus de 100 000 familles nécessiteuses, tous non cotisants et qui devraient en principe être pris en charge intégralement par le budget de l’état et non par la CNAM.

Autre anomalie grave, contrairement aux autres caisses d’assurances maladies de par le monde développé, notre « pauvre » CNAM, ne bénéficie d’aucun autre apport financier à part les cotisations de ses affiliés. A titre d’exemple, en France, l’apport des Ressources fiscales dans le financement de l’assurance maladie est de prés de 21% de son budget, représentés par des taxes sur les produits nocifs pour la santé. De plus, la contribution du budget de l’état Français est, bon an mal an, de plus de 10%.

Avec de telle ressources ou plutôt absence de ressources, on se demanderait même comment la CNAM a pu tenir le coup si longtemps!

La faillite, une fatalité.

La conjugaison d’autant d’handicaps :

  • Taux de cotisation faible (moitié de la norme des pays développés);
  • Augmentation légitime de la demande de soins des tunisiens due à l’amélioration du niveau de vie, au vieillissement de la population avec accroissement notable de l’espérance de vie, et son corollaire d’explosion des pathologies dégénératives et métaboliques;
  • Diminution du rapport entre population active et nombre de retraités;
  • Et surtout « irresponsabilité » de l’état qui non seulement détourne les ressources fiscales qui devraient aller à la CNAM (taxes sur les produits nocifs : tabac, alcool…) mais lui affecte d’office la prise en charge de prés de 450 000 assurés sociaux et leurs ayant-droits non cotisants, pour embellir son bilan social.

Tous ces facteurs réunis ne peuvent que mener vers la faillite inéluctable de la CNAM, si rien n’est fait urgemment !

Des mesures répressives, dangereuses mais surtout…inutiles.

Jusqu’à maintenant la seule voie suivie par la CNAM pour retarder l’échéance avait été la compression des dépenses et leur limitation tout azimut, souvent au détriment de la santé des citoyens, on peut citer parmi ces mesures « lumineuses » :

  • les récentes restrictions à l’accès aux soins qui furent prises dés avril 2013 avec l’imposition d’un espacement minimal aux consultations médicales dans le secteur privé (ainsi un diabétique ou un hypertendu, ne peut bénéficier dans le cadre de l’APCI que de 4 consultations par an sous peine de rejet des prestations et son corollaire de contrôles et de rapports circonstanciés…);
  • soumission à un accord préalable (pour décourager les prescripteurs!) d’actes médicaux préventifs de dépistage recommandés partout dans le monde : mammographies, coloscopie…

Bref, les exemples de telles décisions « répressives » foisonnent, avec les conséquences néfastes prévisibles en termes de santé publique et de leur impact négatif sur la lutte contre des fléaux comme les cancers ou les complications du diabète.

C’est d’autant plus navrant que de telles mesures imposées à la va-vite sont aussi stressantes pour les prescripteurs et les services de contrôles de la CNAM… qu’inutiles, car leur impact réel en terme économique est négligeable quand on sait qu’une mammographie à 80 dinars faite à temps peut éviter la prise en charge d’un cancer qui couterait à la CNAM des dizaines de milliers de dinars, et que in fine, la part des honoraires médicaux dans le total des dépenses de la CNAM ne dépasse guère les 5%, ce qui démontre que nos prescripteurs ne sont nullement « gâtés » (la norme en France et en Europe serait supérieure à… 8% !).

Des solutions qui tardent.

Il est malheureux de constater que cet acquis qu’est la CNAM imposé par les luttes sociales et syndicales durant l’ère de la dictature risque l’effondrement.

Pourtant les solutions existent et sont connues de tous ceux qui ont eu à charge ce dossier, mais nécessitent des décideurs politiques un minimum d’honnêteté intellectuelle et de franchise envers les tunisiens car ses mesures sont aussi nécessaires qu’ impopulaires et non souhaitées par les partenaires sociaux :

  • relever le taux de cotisation de l’assurance maladie de 7.25% à au moins 8.75 % soit un accroissement de 1.50% à partager entre employeurs et employés, cela permettra une augmentation de 20 % du budget de la CNAM;
  • réserver exclusivement les taxes prélevées sur les produits nocifs pour la santé (alcool, tabac, et aussi …sel et sucre !) au financement de la CNAM, et rendre ainsi à César ce qui lui a été spolié;
  • consacrer du budget de l’état une contribution annuelle pour assurer la couverture des 450 000 assurés non cotisants, étudiants et familles nécessiteuses;

C’est le seul moyen d’assurer la pérennité du système et de doter les tunisiens du système d’assurance maladie dont ils sont dignes après la révolution de la dignité.