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Par Abou Yasmine, Médecin libéral,

Des milliers d’assurés sociaux viennent de recevoir de la CNAM ces derniers mois des notifications de dépassements de plafond remontant aux 05 dernières années. Les citoyens consternés par cette mesure imprévue en ces temps de disette, voient leur confiance dans la CNAM, ses 2000 fonctionnaires et son système informatique, ébranlée. Ils sont ainsi nombreux à se rendre à leurs différents centres de référence pour demander le relevé détaillé des prestations contestées ou du moins recevoir le minimum d’explications exigées dans de pareilles circonstances.

Malheureusement, ils sont le plus souvent mal accueillis par un personnel dépassé, mal préparé à un tel afflux, qui leur répète le plus souvent les rengaines habituelles de toute administration tunisienne qui se respecte, du genre “…paie d’abord, on verra après…” ou par des menaces “…tu paie ou on va te retirer ton carnet de soins…” ou plus souvent “…va chez ton médecin de famille, il va t’expliquer…”.

Ne sachant à quel saint se vouer, nombre de ces assurés sociaux, souvent retraités ou affaiblis par la maladie et apeurés par la menace de retrait de leur couverture maladie, ont signé sous l’intimidation, des engagements à régler leurs “dettes”, quitte à amputer pendant plusieurs mois leur maigres revenus, avec le secret sentiment d’avoir été trahis par ceux là même à qui ils ont confié la gestion de leur bien le plus précieux : leur santé.

Du recouvrement des dépassements de plafond.

La gestion du plafond et sa surveillance, selon les textes en vigueur sont du seul ressort de la CNAM, pourquoi la CNAM n’a-t-elle pas prévenu à temps ses affiliés ou leur médecins de famille ? aucune explication à part celle d’un haut responsable à la TV, qui a sorti, l’ habituelle excuse “..du laisser aller post révolutionnaire (?)…” pourtant la défaillance remonterait à 2009 soit 02 années avant la révolution.

Il va de soi que ce manquement à sa mission, pendant plusieurs années constitue une défaillance grave de la CNAM. Pourtant, les services du ministère de tutelle, n’ont ouvert aucune enquête pour délimiter les responsabilités, ou du moins combler les éventuelles failles d’un systême lâché à lui même, car du coté du ministère des affaires sociales, c’est le silence radio.

Par ailleurs, maintenant que le mal est fait, la réponse de la CNAM à sa “défaillance” est-elle conforme à la législation? et surtout a-t-elle tenu compte de l’intérêt de ses affiliés ? on est tenté de répondre par la positive puisqu’il s’agit d’un organisme d’utilité publique et en principe respectueux des lois, malheureusement la réalité est tout autre.

En effet, la Loi N°2004-71 du 2 août 2004, portant institution d’un régime d’assurance-maladie prévoyait dans son article 24, qu’en de telles circonstances :

… Les actions de la caisse contre les personnes à qui des avantages au titre de ce régime ont été octroyés indûment sont prescrites après deux ans. Le délai de prescription court à partir de la date du payement indu…
Article 24 de la loi N°2004-71, du 2 août 2004.

Ainsi, au vu de la loi, la CNAM ne pouvait plus réclamer la restitution des sommes engagées dans le cadre du dépassement de plafond se rapportant aux années 2009, 2010 et 2011. Pourquoi cette loi n’a pas été respectée ? car la CNAM dans ses réclamations à ses assurés sociaux est remontée jusqu’en 2009 ! Et maintenant, qu’elle est dans l’illégalité, que va t-elle faire avec les sommes prescrites qu’elle a indument recouvertes ?

Normalement les restituer aux assurés, en tant que trop perçu. Wait and see.

Du montant du plafond lui même :

Les montants alloués au plafond des dépenses de la CNAM pour les assurés de la filière privée sont figés depuis 2007, avec 200 D pour l’assuré social et 50 D par ayant-droit à sa charge, avec un plafonnement par assuré social (ou carnet) limité à 400 D; Ainsi un nourrisson de moins de 01 an, se voit allouer par an le montant de 50 D pour faire ses 04 vaccins recommandés et la multitudes de consultations nécessaires la première année de naissance…à croire que nos décideurs n’ont pas d’enfants !

Par ailleurs, ce plafond étant alimenté par les cotisations et celles ci étant proportionnelles aux salaires, pourquoi l’augmentation des salaires depuis 2007 (au moins 30% selon les secteurs) n’a-t-elle pas été répercutée, de la même manière sur celle du plafond ?

Des mesures à prendre :

A travers ce dernier exemple, de la gestion du plafond, on a une démonstration flagrante de la gestion archaïque et approximative pratiquée par les services de la CNAM, dont les victimes se font de plus en plus nombreuses, après les pharmaciens et les médecins conventionnés à bout de patience par les continuels dépassements, cette fois-ci c’est au tour du maillon faible de la chaine de soins à savoir, les assurés sociaux.

Cette situation ne peut perdurer, des mesures urgentes doivent être prises pour corriger ces défaillances criardes, en attendant une restructuration totale de la CNAM et sa mise en conformité avec les meilleurs standards internationaux (pourquoi pas la certification de ses services par la norme ISO ?), avec en premier :

1- Assurer une meilleure représentativité des assurés sociaux: car ni l’UGTT, dont le seul leitmotiv est la protection des intérêts des travailleurs du secteur public de la santé, ni l’UTICA occupée par son nouveau rôle politique et qui ne pense qu’à la limitation des charges patronales, encore moins la CNAM minée par ses intérêts corporatistes et un sentiment d’auto-satisfaction béate, ne sont aptes à représenter les plus de 2 millions d’assurés sociaux.

La solution idéale serait peut être, de revoir la composition de l’actuel “conseil d’administration de la CNAM” dans le sens d’instituer un nouveau “conseil d’administration des assurés sociaux” où tous les secteurs d’activité des assurés sociaux seront représentés proportionnellement à leurs “poids” en tant que cotisants, avec des observateurs représentants les principales associations de malades…c’est le seul moyen d’assurer une meilleure défense des intérêts des véritables “propriétaires” de la CNAM : ses assurés sociaux.

2- Revoir le systême informatique de gestion de la CNAM, avec ouverture aux compétences nationales (éditeurs de logiciels du secteur médical) et introduction le plus vite possible de la fameuse carte à puce, seul outil permettant la gestion en temps réel du plafond.

3-Réviser urgemment le montant du plafond, en accordant au moins 100 D/An pour chaque ayant droit à charge avec un maximum de 600 D (au lieu des 50D/an et le maximum de 400 D actuels) surtout que cette mesure demandée depuis 2009, aura peu d’impact sur l’équilibre de la caisse (de 2% à 3% d’accroissement des dépenses selon certaines projections).

A bon entendeur..