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Notre problème en Tunisie n’est pas tant le terrorisme en lui-même, mais la porte laissée ouverte pour qu’il s’y engouffre; c’est simple, dans nos têtes, il n’y a même pas de porte à fermer; aussi est-on largement ouvert mentalement au terrorisme.

C’est le cas lorsqu’on se présente comme étant le modèle de la vertu et qu’on taxe de tous les maux ses adversaires. C’est surtout le cas quand on croit détenir une vérité qui ne peut qu’être provisoire, toute vérité fut-elle la plus scientifique étant toujours relative, susceptible d’être contredite par un fait polémique se révélant porteur de vérité de substitution, relativisant le canon d’aujourd’hui susceptible de verser demain dans l’anomique.

Le vrai terrorisme

C’est l’esprit dogmatique et sa banalisation qui fait le terrorisme; et il est dans toutes les têtes, celle de nos religieux, certes, mais aussi de nos laïcs, sans en exclure leurs amis et soutiens, les Occidentaux.

Les premiers, bien évidemment, croient détenir la vérité infuse sur sinon toutes les questions, du moins certaines labellisées vérités divines quand elles ne sont que des affirmations humaines divinisées.

En islam, en effet, il n’est qu’une seule vérité absolue et donc divine, celle de l’unicité de Dieu. Toutes les autres ne sont que des vérités contingentes, le produit de la cogitation humaine, et donc susceptibles de contestation, devant demeurer relatives. Rappelons-le ici, il n’est qu’un seul vrai péché en islam, celui d’associer à Dieu une autre divinité; à part cela, il n’y a pas de péché au sens classique, judéo-chrétien, à savoir la transgression fautive de la loi emportant automatiquement sanction. La religion arabe, similaire en cela à la tradition grecque distinguant le péché de la pollution qui est consubstantielle à l’humaine nature, consacre la relativité de toutes les autres fautes, aménageant nombre de voies et de moyens pour en ôter tout caractère fautif. C’est la plus grande spécificité de l’islam en tant que dualité de foi et de code de vie, religion et politique, célébrant la tolérance, pierre angulaire de tout vivre-ensemble paisible.

Or, les dogmatiques religieux ont tôt fait de déformer cette notion originale du péché en islam et sa dualité de religion pour la vie privée et de politique de la cité. Ils ont versé dans une confusion qui ne satisfait que les ambitions des commerçants de la foi, ces marchands du temple qui ne manquent jamais en religion. Aussi ont-ils fait une fausse lecture de l’islam au prisme de la tradition judéo-chrétienne stricte dans la séparation du bien et du mal, loin de l’esprit original et originel d’une foi magnifiant au plus haut degré la liberté de l’être humain comme meilleure création de Dieu, qui n’est soumise qu’à Lui.

Un dogmatisme pareil se retrouve chez les seconds, prétendus esprits profanes, qui communient dans une religion civile ne manquant ni de tabous ni de vérités figées, héritées de la Modernité occidentale par trop matérialiste, vidée de spiritualité. Aussi, ils ne sont pas moins intégristes dans leur divinisation du marché ou de l’autorité de l’État érigé en déité, dont le prestige doit l’emporter sur son assise même, le peuple qui est sa raison d’être. Pourtant, il n’est point de prestige de l’État sans un prestige préalable du peuple qui est matérialisé par la consécration de ses droits et libertés contre tout autoritarisme étatique.

C’est un tel dogmatisme qui a fait que les gouvernements issus de la révolution, le Coup du peuple tunisien, n’ont pas rompu avec le terrorisme, l’entretenant même et l’alimentant avec des thèses manichéennes qui diabolisent l’autre du fait de sa seule différence.

En cela, ils ont été aidés par un dogmatisme similaire venant des partenaires occidentaux de la Tunisie, les Américains en premier, plus soucieux de leurs intérêts économiques que de leurs valeurs réduites aux dimensions d’un marché et aux principes d’un ultralibéralisme incarné par les politiques qu’ils ont aidé à installer au pouvoir et qu’ils soutiennent quitte à heurter les intérêts du le peuple.

La conséquence en a été de permettre au même terrorisme dogmatique connu du temps du gouvernement de la a troïka de revenir en force à la faveur de la situation catastrophique laissée à l’actuelle équipe dirigeante qui s’autorise ainsi tout ou presque au nom de la lutte antiterroriste, y compris d’user de terrorisme à son tour.

Combattre le terrorisme

On se rappelle la phrase célèbre d’un politicien français se targuant de vouloir terroriser les terroristes. Et on sait à quel point et de quelle manière il a échoué. Car lutter contre le terrorisme ne saurait nous amener à perdre notre âme; il y va de l’honneur de la démocratie.

De plus, il est avéré qu’on ne peut réussir contre la terreur par un recours similaire à la terreur; seule une autorité juste et de justesse est de nature à venir à bout du terrorisme, en agissant sur les excroissances et les excès qui constituent son terreau.

Aussi nous faut-il d’abord sortir de ce terrorisme mental qui nous fait régir en terroristes. Sur le plan national, cela consiste à accepter enfin que tout dans l’ancien régime ne fût pas mauvais et reconnaître que tout dans l’actuel régime n’est pas bon. Sur le plan international, il urge aussi d’oser contester la loi de l’Occident, car tout n’est pas bon dans sa politique avec le Sud, tout en confirmant haut et fort que son alliance est incontournable pour notre pays.

Avec un tel Occident, l’Europe en particulier, il importe en effet de cesser d’aller dans le sens de sa politique suicidaire de fermeture de frontières qui est la négation même de son credo libéral. La Tunisie doit savoir oser dire oui au libéralisme, mais le vrai, honorant pour le moins tout autant les hommes que les marchandises.

En Tunisie, sous la dictature, il y avait des consciences libres qui tout en cohabitant avec le diable s’opposaient à lui dans son antre même et limitaient ses excès. Sous l’actuel régime, on a des consciences aussi diaboliques que celles des maffias de l’ancien régime qui n’ont de visée suprême que le pouvoir pour profiter de ses délices. C’est leur seule ambition politique présentée sous toutes les formes pour mieux contrôler les esprits, dont cette caricature de la religion qu’incarne le parti islamiste. Au vrai, ils ne diffèrent en rien des maffias de l’ancien régime où de celles qui y sont nostalgiques; la preuve est qu’elles n’ont pas aboli ses lois scélérates durant leurs années de gouvernement; et elles n’ont même pas l’intention de le faire si leur légitimité est renouvelée à la faveur d’élections qui relèvent de l’opéra-bouffe..

Aujourd’hui, la seule chance de notre pays est représentée par la victoire obtenue à l’arraché par la société civile qui a réussi à imposer le principe de l’État civil à une classe politique déconsidérée et déconnectée des réalités. Or, il importe de le concrétiser, ce qui ne se fera nullement par le biais du mécanisme mis actuellement en branle, une comédie d’élections dont le résultat est connu d’avance.

Tous les indicateurs le démontrent : ces élections ont pour but de légitimer l’attelage hétéroclite informel des plus grands partis politiques en une formule de gouvernement où les excès des uns font contrepoids à ceux des autres, le tout dans le cadre d’une loi s’imposant à tous, la loi d’airain du marché. C’est le scénario occidental, américain surtout, qui fait toujours fi des intérêts fondamentaux du pays désireux de profiter des acquis du coup de son peuple.

Ce dernier a réellement changé en Tunisie, prenant la mesure de sa soif des libertés et du poids de sa puissance sociétale, sa mentalité ayant évolué fabuleusement d’un coup. Cependant, la classe le dirigeant est restée la même, figée dans ses réflexes conditionnés et sa façon d’exercer le pouvoir, identiques à ce que l’on connaissant de la dictature.

Le fait nouveau est que le terrorisme d’État qu’exerçait la dictature est descendu dans la rue et y a pris possession, l’État n’étant plus au service d’une seule maffia, mais de plusieurs, disséminées partout. C’est ce terrorisme qui menace la pérennité de la Tunisie. Il appelle à un sursaut patriotique qui ne peut qu’imposer un remède de cheval : l’arrêt de la comédie politique actuelle.

Cela est inévitable non pas pour limiter les libertés et les droits acquis, mais pour les protéger. Non point pour substituer un terrorisme à un autre, mais afin de lutter contre les terroristes de la seule façon qui soit efficace, celle de l’État de droit qui commence par l’État civil en Tunisie rejeté par nombre de forces politiques agissantes. Et cela ne peut se faire qu’en dehors des partis, par le biais du gouvernement de compétences issu du consensus national. Pour peu que les compétences aient toute latitude pour agir, cela pourrait inaugurer une forme originale de pratique du pouvoir que je qualifie de « compétensuelle » se substituant à la démocratie des démons de la politique qu’on veut nous imposer, une « daimoncratie ».

C’est la seule façon de dire tout autant non à l’ancienne dictature qu’à celle des dictateurs en herbe qui croient légitime d’imposer leurs intérêts privatifs à tout un peuple en se prévalant du vote de leurs seuls sympathisants.

Car le peuple ne croit plus personne de ses élites. Il ne croit qu’à ses droits et à ses libertés, tout le reste relevant à ses yeux de la politicaillerie politicienne. Et il le démontre en boycottant les élections projetées, cette pure opération commerciale pour les grands partis agissant comme de grandes marques. D’ailleurs, le scandale de l’encre électorale symbolise à merveille cette foire commerciale aux fausses couleurs politiques.