Faire de la ville un immense jardin partagé, auquel tout le monde peut contribuer, c’est possible. Rencontre avec ces jardiniers-citoyens qui plantent, cultivent et récoltent dans des lieux improbables.
Avenue Hédi Nouira, Ennasr et son concentré de cafés, restaurants, immeubles et boutiques de marques. Du bâti, il n’y a quasiment que ça. Quasiment. Car au rez-de-chaussée d’une résidence, sur un parterre, on peut trouver des tomates, des pastèques, du piment, du persil et une pancarte : « Koul menni bech’fa » [Consommez-moi, santé !]. Tout cela planté par Zied Kacem, un habitant du quartier et Chaabène, le gardien de l’immeuble.
Le concept est simple : on sème ou plante des fruits et légumes dans des bacs, des pots ou sur un parterre accessible à tous, et une fois qu’ils sont arrivés à maturité, chacun peut se servir gratuitement. Une sorte d’insurrection pacifique contre l’ordre alimentaire établi.
L’idée est née en 2008 à Todderdam (Angleterre) alors que cette ancienne cité industrielle est touchée de plein fouet par la crise économique. Deux citoyennes décident alors d’installer devant chez elles des bacs de plantes potagères et de mettre leur production à la disposition de tous. L’objectif est triple : favoriser le lien social, promouvoir l’alimentation locale et rendre accessible les fruits et légumes frais. L’engouement est immédiat et le mouvement se donne un nom : « Les Incroyables Comestibles », traduction de l’appellation anglaise « Incredible Edible ». D’autres villes s’y mettent et le concept fait des émules en dehors des frontières britanniques. Aujourd’hui, on énumère près de 250 communautés à travers le monde.
Solidarité et autonomie alimentaire
En Tunisie, les Incroyables Comestibles essaiment doucement mais surement. Zied, qui a découvert le concept sur les réseaux sociaux, est un fervent défenseur de l’environnement. Il a voulu agir à son échelle :
C’est un excellent moyen de favoriser les valeurs de partage et de solidarité. Ce sont des petites initiatives comme celles-ci qui font changer les mentalités.Zied Kacem
Et ça marche : les gens se servent et demandent conseil pour reproduire la même chose dans leurs quartiers. Comment rester insensible, quand, en sortant de chez soi, on découvre, à ses pieds, des tomates ou des aromates ? Pourtant, lorsque Zied et Chaabène ont commencé à planter les premières graines, il y a 6 mois, tout le monde n’était pas aussi enthousiaste : « Certains ont même été jusqu’à me dire que je n’avais pas le droit, car ce parterre est une propriété privée ! ».
Mais les réticences se sont progressivement levées. Aujourd’hui, Zied est confiant et croit plus que jamais à cette initiative qui, avec un investissement dérisoire, peut reconnecter les citoyens entre eux et à leurs ressources locales. Une façon aussi de tendre vers l’autonomie alimentaire : « Lorsque j’explique ma démarche aux habitants, j’aime insister sur le fait que les produits maraîchers frais et de qualités sont en réalité à la portée de tous : il suffit d’un bout de terre et d’un petit peu de temps ».
Chaabène, qui arrose chaque jour les plantes, a les yeux qui brillent quand il cueille les tomates et le céleri : « Regardez, ni traitement chimique, ni même insecticide, tout pousse naturellement et tout le monde peut se servir ! ».
Les enfants sont le monde de demain
Sana Frigui, professeur de français au collège, s’est elle aussi lancée dans la création d’une communauté d’Incroyables Comestibles dans la ville de Maatmeur (gouvernorat de Monastir). Elle a voulu mettre les enfants au cœur de ce projet.
En face de chez moi, il y a une école. Il était inconcevable pour moi d’installer des bacs avec des fruits et légumes sur le trottoir sans y faire participer les élèves. Ils sont devenus mes alliés et les plus grands défenseurs du projet ! Sana Frigui
Une occasion de les sensibiliser à la nature et aux valeurs de solidarité et de partage. Ils sont aujourd’hui 17 à rendre visite à Sana lors des récréations. Ils l’aident à arroser les plantes, à en prendre soin. Et plusieurs d’entre eux ont déjà installé sur le bateau de leurs maisons des bacs. Une façon aussi de rappeler que la nourriture sort du sol.
La nouvelle génération a perdu le lien à la terre ! Or, lorsqu’un enfant plante des graines et prend le temps de s’en occuper, il développe une relation affective avec la nature qui l’entoure, se réjouit Sana.
Impliquer la municipalité
Zied pense déjà à la prochaine étape : « Comme c’est déjà le cas dans de nombreuses villes, il faudrait que les municipalités – des quartiers populaires notamment – mettent à disposition des espaces publics inexploités où chaque habitant peut planter fruits et légumes et se servir ! » Sana en a déjà fait part à un membre du conseil municipal qui lui a promis « d’en parler ». Elle a une idée précise du projet : « En face de la mosquée, il y a un petit jardin d’un peu moins de 100 m², avec des bancs publics. Mais il est laissé à l’abandon. On aimerait, avec les enfants, y planter des arbres fruitiers. L’imam, dont la maison est juste à côté, a un puits et il est d’accord pour qu’on puisse l’utiliser. On a hâte de commencer ! ».
Bref, une révolution écologique est en marche. Mais chut, elle est silencieuse.
A vous !
1 L’idéal serait de constituer un petit groupe. Mais l’initiative peut très bien se faire seul.
2 Choisissez l’endroit : en bordure des routes, sur un rond-point, à l’entrée de votre immeuble ou sur la façade de votre maison. Tout est possible, le seul critère étant que tout le monde puisse y avoir accès. S’il n’y a pas de carrés de terre disponible dans votre quartier, n’hésitez pas à planter vos graines dans des bacs.
3 Une fois le lieu choisi, et le terreau prêt, plantez-y vos semences ou plants.
4 Affichez la pancarte « Koul meni bech’fa » [Mangez, santé !]
5 Signalez la création de votre groupe sur la page Facebook « Les Incroyables Comestibles Tunisie » et publiez régulièrement des photos de votre bout de potager.
6 Faites connaître votre initiative auprès des habitants. C’est ce qu’on appelle la « pollinisation ». N’oubliez pas de sensibiliser les enfants et de les encourager à y participer !
Contacts
- Zied Kacem
- Ennasr
- kacemzied15@gmail.com
- Sana Frigui
- Maatmeur
- sfrigui@hotmail.fr
Groupe Facebook : https://www.facebook.com/groups/incroyablescomestiblestunisie/
Voici le lien de la page des Incroyables Comestibles de Todmorden, en Angleterre, premier noyau du mouvement..
https://www.facebook.com/pages/Incredible-Edible-Todmorden-Page/218682564881219?fref=nf
Excellente initiative !
Chère Teycir,
Un petit bonjour d’abord. L’initiative que tu mets en avant est sans doute à saluer, et l’effort fait par ces citoyens pour greffer un peu de verdure au coeur de la laideur est aussi louable et mérite l’encouragement. Il reste néanmoins que le problème est ailleurs. Il réside dans cette obstination à vouloir bétonner le moindre mètre carré tout autour de nos villes. Une cité comme celle d’Ennasr en est un exemple. Et il suffit ainsi de regarder pour constater que l’on ne crée pratiquement plus l’ombre d’un jardin nouveau, un square ou autre…depuis bien de décennies déjà ! Les seuls jardins de Tunis, à titre d’exemple, comme celui de la place de Barcelone ou de Habib Thameur (si on peut appeler ça jardins !) datent de l’époque coloniale. Des promoteurs immobiliers sont passés par là, et se sont chargés de tout bétonner, ne laissant plus la moindre parcelle de terrain à nos gamins pour aller gambader ou taper dans un ballon ! Pas plus que d’espace pour bâtir une bibliothèque ou tout autre édifice culturel… Des promoteurs véreux qui se sont enrichis (il faut voir le prix auquel les appartements sont vendus à Ennasr et ailleurs !), en engraissant sans doute au passage des responsables locaux tout aussi corrompus qu’eux. Et cela ne semble visiblement pas prêt à changer depuis la révolution. Témoignant, une fois encore, de l’absence totale de toute vision constructive et d’une incapacité flagrante à proposer ”autre chose” pour revoir la planification de nos cités et pour aider le pauvre citoyen à mieux y respirer !.
Bonjour Kaltoum,
Merci pour votre commentaire/réflexion. Ce qui est construit actuellement n’a aucune âme, nous sommes dans le paradigme de la modernité. De nouvelles cités voient le jour, et chacune ressemble à l’autre. Au mieux, des dortoirs de luxe. Au pire, des constructions anarchiques. Mais après avoir critiqué ce qui est fait, il faut pouvoir se poser une question : qu’est-ce que je peux faire à mon échelle ? Et là est le mérite des Incroyables Comestibles.
Teycir
Teycir, c`est de tout coeur que nous t`approuvons. ca fait du bien de voir que les jeunes maghrebins s`orientent vers cette demarche, qui devient mondiale
je vous en félicite pour 2 articles que j’ai déja lu (pour vous ) et ce qui est beau et magnéfique c’est votre choix d’ecrire sur des expériences “positives ” non conventionnelles qui défondent un autre choix de vie plus sobre et plus beau pour l’etre humain
je vous en courage de continuer dans cette voie tout en n’oubliant pas de vous souhaiter “AIDE MOUBAREK ”
nabil ben brahem
le maghreb
Si vraiment tout le monde s”engage on pourrais améliorer la qualité de vie ainsi que la mentalité.
espérant avoir des réactions positives.
Superbe article, c’est super que ce genre d’initiative commence à prendre en Tunisie, espérons que cette initiative se développe sur tout le territoire et permette aux tunisiens de reprendre, d’une certaine façon, le pouvoir sur leur terre et leur moyen d’approvisionnement alimentaire. C’est aussi un très bon moyen pour apprendre aux nouvelles générations, très connectées aux nouvelles technologies et déconnectées avec la nature, à découvrir, aimer, travailler et prendre soin de la nature.
Soyons le changement que nous voulons voir dans le monde, comme l’a qui bien dit Gandhi. Face à cette laideur généralisée, chacun de nous doit se demander ce qu’il peut faire à son échelle et avec les moyens dont ildispose.