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Signe de leur caractère libre et démocratique, les élections du 26 octobre ne sont pas un scrutin au résultat connu d’avance. Au-delà de la guerre des images, chaque jour qui nous rapproche des législatives a pour effet de révéler un peu plus l’ADN, la nature profonde, de certains partis politiques. A Kairouan, ville conservatrice où Nidaa Tounes entend marcher sur les platebandes d’Ennahdha, le style « stambéli » – mausolées prôné par Nidaa a atteint des sommets ce weekend. Populisme ou cas d’école d’efficacité électoraliste ?

Oqba Ibn Nafi serait-il destourien ? C’est en tout cas dans un arabe littéraire très approximatif que Béji Caïd Essebsi a tenté de modifier samedi son numéro habituel, en lui donnant une dimension anachronique mi civilisationnelle mi superstitieuse. L’âme d’Oqba est parmi nous a-t-il conclu un speech d’une vingtaine de minutes où il semblait lui-même découvrir le principe des élections démocratiques.
« Ils ne sont que candidats », prévient-il l’audience à propos des candidats Nidaa à Kairouan « ce n’est qu’une fois que vous les aurez élus qu’ils vous représenteront dans l’Assemblée du peuple » dit-il, ajoutant de manière assez confuse : « la révolution vous a permis de changer le cours des choses, alors mettez le bulletin dans la bonne urne, pas dans l’autre »… Parole d’ex superviseur d’élections au ministère de l’Intérieur.

Dans le même discours, Essebsi, pourtant ex multi ministre de Bourguiba, déplorera l’état des infrastructures de la région, avant de s’adonner à une tirade louant la « brillante » économie tunisienne d’avant révolution « motif de fierté », désormais reléguée au dernier « peloton des nations ». Aucune mesure programmatique concrète ne sera cependant citée.

Selon un même état de déni et d’entêtement, le chef de Nidaa Tounes réitèrera une fois de plus son amertume quant à l’ordre des élections législatives précédant les présidentielles : « cela n’aurait pas dû être le cas », martèle-t-il, contre toute logique constitutionnelle dans un futur régime parlementaire mixte.

« L’Etat arrive ! », rassure-t-il enfin la foule qui scande « Ya Béji, Ya Béji ! », telle une incantation.
La veille, dans le cadre des préparatifs du même meeting, la numéro 2 de la liste, Ons Hattab, vêtue de l’habit traditionnel, rendait visite en compagnie de Hafedh Caïd Essebsi au mausolée Sayed Sahbi, au rythme des percussions du « bendir », instrument folklorique omniprésent dans la campagne du parti. « Est-ce une campagne électorale ou un rituel soufi ? » s’interroge-t-on ironiquement dans les réseaux sociaux, quoique le choix pas tout à fait moderniste d’opposer l’identité ancestrale tunisienne à l’islam politique ne date pas d’aujourd’hui.

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A Montréal, un débat qui s’était proposé de réunir autour d’une même table notamment Nidaa Tounes, Ennahdha, le Front Populaire, Afek Tounes et Attayyar (Courant Démocrate) a tourné au quasi pugilat lors d’une scène emblématique de la campagne dans son ensemble. Accusé par l’audience d’être un ex indicateur du RCD et de la police politique, Mansour Fekih, candidat Nidaa Tounes, a répondu « et vous, vous faisiez partie de la troïka », dans une inquiétante tentative de renvoyer dos à dos 50 ans de pouvoir avec la récente expérience de la gouvernance post révolution.

En déplacement à Tunis dans le cadre d’un colloque international sur le rôle des diasporas arabes dans les révolutions et les transitions, le politologue Vincent Geisser se demande par ailleurs « si l’on est dans la fiction ou la réalité, lorsque l’un des principaux candidats aux élections présidentielles se déguise en Bourguiba ».

Tout au long de la semaine, Nidaa Tounes a multiplié les signaux de ralliement en direction des régimes autoritaires de la région : Lazhar Akremi effectuait une visite de courtoisie à Damas, et Béji Caïd Essebsi était ensuite choyé par le pouvoir militaire égyptien, invité de marque à l’ambassade d’Egypte qui célébrait la commémoration du 41ème anniversaire des forces de l’armée de l’air égyptienne. Un pari risqué au moment où les universités égyptiennes s’embrasent, durement réprimées par le régime al Sissi.

Quels outsiders à ne pas sous-estimer ?

En dehors de la grande inconnue du score de la restauration aux législatives de dimanche prochain, deux autres données plutôt imprévisibles concernent respectivement la taille réelle de l’UPL ainsi que celle du Courant Démocrate.

Certains prédisent au parti de Slim Riahi de pouvoir jouer les trouble-fêtes, façon Aridha en 2011. Malgré les casseroles du milliardaire largement exposées cette semaine lors d’une campagne de dénigrement de Nessma TV, son parti peut phagocyter la même « clientèle » que celle de la Pétition Populaire il y a trois ans, une population électorale moins sensible à l’idéologie qu’aux promesses caricaturales de prospérité.

Aux antipodes de cette politique mégalomane Berlusconiste, reste la capacité du parti de Mohamed Abbou à réhabiliter l’esprit du CPR sous une nouvelle franchise politique qui peut se prévaloir d’une certaine virginité politique, n’ayant pas encore été exposée aux méandres de l’exposition liée à l’exercice du pouvoir. Si sa jeune formation réalise un score supérieur à celui de son ancien parti (ce qui n’est pas improbable selon nombre d’observateurs), Abbou pourrait présider un bloc parlementaire incluant le CPR et le Mouvement Wafa.

Un bloc qui serait en mesure de faire et de défaire les futures majorités parlementaires, et qui s’il recueille le vote d’une partie des déçus d’Ennahdha (assuré de son 1 million d’électeurs), pourrait soulager le parti islamiste du fardeau d’un grand score qui serait synonyme une nouvelle fois de grandes concessions.