Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Dans sa monumentale « Histoire de la révolution russe » Léon Trotsky expliquait qu’« aux tournants décisifs, quand un vieux régime devient intolérable pour les masses, celles-ci brisent les palissades qui les séparent de l’arène politique, renversent leurs représentants traditionnels » et de cette intervention spontanée, intempestive, les masses font « avant tout, une irruption violente (…) dans le domaine où se règlent leurs propres destinées ».

L’histoire d’une révolution, comme toute histoire, doit, avant tout, relater ce qui s’est passé et dire comment. Mais cela ne suffit pas. D’après le récit même, il faut qu’on voie nettement pourquoi les choses se sont passées ainsi et non autrement. Les événements ne sauraient être considérés comme un enchaînement d’aventures, ni insérés, les uns après les autres, sur le fil d’une morale préconçue, ils doivent se conformer à leur propre loi rationnelle. « Histoire de la révolution russe », Léon Trotsky.


Une société prise de révolution, habituellement peu portée pour la violence, « en un bref laps de temps, jette à bas des institutions séculaires, en crée de nouvelles et les renverse encore. La dynamique des événements révolutionnaires est directement déterminée par de rapides, intensives et passionnées conversions psychologiques des classes constituées avant la révolution. »

A l’opposé de l’assertion de certains « militant(e)s » de la vingt cinquième heure, qui, dès les premiers mois du formidable chambardement, qui a mis en branle l’inter-nation arabo-nord africaine dans sa presque totalité, ont crié au « complot impérialiste » et à la manipulation de forces extérieures montrant par là même de quel côté de la barricade ils se situent :

les rapides changements d’opinion et d’humeur des masses, en temps de révolution, proviennent,(…) non de la souplesse et de la mobilité du psychique humain, mais bien de son profond conservatisme. Les idées et les rapports sociaux restant chroniquement en retard sur les nouvelles circonstances objectives, jusqu’au moment où celles-ci s’abattent en cataclysme, il en résulte, en temps de révolution, des soubresauts d’idées et de passions que des cerveaux de policiers se représentent tout simplement comme l’œuvre de “démagogues”.

Les masses se mettent en révolution non point avec un plan tout fait de transformation sociale, mais dans l’âpre sentiment de ne pouvoir tolérer plus longtemps l’ancien régime. « Histoire de la révolution russe », Léon Trotsky.

D’autres militant(e)s révolutionnaires sincères ont, dès le départ affirmé que la « révolution était confisquée » voir qu’on a assisté à une  “révolution avortée” baissant les bras dès les premiers revers « électoraux ».

Mais qui décide du début ou de la fin d’une révolution ? Qui a la capacité de siffler la fin de la partie ?

Une Revolution Vivante

Les mêmes militant(e)s qui ont regimbé à reconnaître le caractère révolutionnaire de la période que l’on vit actuellement, s’empressèrent d’enfourcher l’antienne du « recul », de la « démobilisation » pour justifier de concourir aux joutes électorales dont l’agenda, le déroulement, voir les résultats sont fermement corsetés par les anciennes classes dominantes momentanément désarçonnées par l’énergie révolutionnaire et dont les « manœuvres électoralistes » visent à la vider de sa puissance déstabilisatrice.

La balkanisation de l’inter-nation arabo-nord africaine a été aussi le terrain d’expérimentation de nombreuses figures de la contre-révolution et la dialectique entre les différents scénarios contre-révolutionnaires a influencé les recompositions à l’œuvre à l ‘intérieur des frontières des États tels qu’issus de la période coloniale.

Elections Législatives : Les Gagnants, Les Perdants Et Le Boycott Massif.

La deuxième séquence électorale qui vient de se clôturer en Tunisie est riche d’enseignements qui, tous, vont à l’encontre de toutes ces déclarations de politiciens et de journalistes qui cherchent à se rassurer à bon compte de voir le spectre de la révolution s’éloigner.

Quant il s’agit d’analyses produites par des commentateurs occidentaux, outre la pointe ironique qui frise le racisme on baigne dans la condescendance à l’image du papier d’Olivier Ravanelo dans le Monde du lundi 27 octobre 2014.

Avec pour titre « La révolution est finie », Olivier Ravanelo se métamorphose en ecclésiaste apportant sa bénédiction et ses « je vous salue « tunisiens » ! d’avoir su  fermer la parenthèse révolutionnaire et de s’être pliés aux délices de la démocratie formelle. Celle là même qui veut qu’avec la réactivation à nouveau de tous les réseaux clientélistes des anciens barons du système de Ben Ali, « écartés » du premier scrutin constitutionnel de 2011, et qui par la grâce de l’argent à gogo, une quasi mainmise sur les médias audio-visuels, un appareil policier jamais épuré, l’on finisse par décrocher le pompon de la première place avec 38,24 % des voix exprimées. Mais ce que les lecteurs du Monde ne liront jamais, c’est l’ampleur de l’abstention voir du boycott de cette nouvelle mascarade par une majorité d’électeurs. Seul un gros tiers a pris la peine de se déplacer, c’est dire !

En France, le plus gros bastion de l’émigration tunisienne, moins d’un dixième de la population a daigné se rendre aux urnes. Autant dire les réseaux clientélistes de la Destourie* et celle du réseau « frériste » ont fait le plein. Environ 25 000 voix pour Nidaa Tounes et 18 000 pour Ennahdha. Sur une population estimée à 800 000 individus, majoritairement adultes.

« Le pluralisme est le sang de la démocratie et le corps électoral tunisien est aujourd’hui incroyablement irrigué : c’est signe de bonne santé ! » ; avec ce type de sentence, monsieur Ravanelo nous refait le coup de la réponse de l’épouse du roi Louis XVI, en pleine révolution française, à un peuple réclamant « du pain, du pain » : « Mais qu’il mange des brioches » leur rétorqua la reine. En guise de brioches monsieur Ravanello, à l’instar de beaucoup de commentateurs condescendants, voir racistes voudraient que le peuple des opprimés, affamé, spolié, exploité, avale des bulletins de vote

Des Résultats Conformes Aux Prévisions !

Comme cela était annoncé bien avant l’ouverture de la joute électorale, l’auberge espagnole, Nidaa Tounes arrive en tête du scrutin devançant la formation « frériste » Ennahdha.

Ce raz de marée des deux mastodontes a écrabouillé la presque totalité des anciennes formations de la Constituante.

Ettakatol (1 siège), le CPR (4 sièges) et ses divisions, al Massar (0 siège), al Joumhouri (1 siège), el Tahalof (1 siège) sont autant de partis auréolés de prestige appelés à une disparition programmée, commente le journaliste Seïf Soudani.

L’hécatombe reflète le peu d’ancrage de nombreuses formations politiques et confirme par là-même la prédiction de Trotsky qu’en périodes révolutionnaires des partis naissent et disparaissent sans laisser de traces. Il n’y a qu’a se rappeler de l’engouement pour des formations quasi inexistantes avant l’hiver 2010/2011 et leur percée électorale faisant d’elles la deuxième et la troisième force de la constituante.
La formation du président provisoire Marzouki n’obtient ,elle, que quatre sièges et cela par la grâce d’un scrutin au plus fort reste qui donne même avec des scores très bas (entre 5 % et 2%) la possibilité d’avoir un élu.

Celle du très « beldi » président de l’Assemblée Constituante, Mustapha Ben Jaafar, a été presque rayée de la carte législative, sauvé in extremis par l’annulation de l’élection du candidat Nidaa Tounes à Kasserine. (1 élu).

Continuons la description de la Bérézina électorale. La formation de l’éternel prétendant à la fonction présidentielle, Nejib Chebbi ; celui-là même qui a quasiment passer sa vie politique « caméléonesque » à tourner la veste au point de ne plus connaître l’envers de l’endroit (baasiste/sadammiste dans sa prime jeunesse, mao-stalinien sur les bancs de l’université, socialiste au début de sa maturité, social-démocrate avec la cinquantaine pour finir social-libéral après le grand chambardement révolutionnaire ; avec même un maroquin ministériel pour quelques semaines dans la dérisoire formation du premier ministre de Ben Ali finalement balayée par la formidable mobilisation populaire de la Kasbah. La formation de Nejib Chebbi n’aura elle-aussi qu’un unique représentatant.

Et voici nos staliniens, parangons d’une « modernité » désincarnée et la version « laïcarde » de la collaboration de classe ; nous avons cité les ex-communistes, dont la mue sociale-libérale sensée les arrimer aux wagonnets d’une éternelle représentation minoritaire a fini par lasser les plus opportunistes d’entre-eux qui ont préféré la franche et loyale intégration collaborationniste en rejoignant Nidaa et son presque nonagénaire.

Nos ex-communistes sont « à poil ». Les électeurs de droite ont préféré, au final, l’original à la médiocre copie. Résultat : Zero élu.

15 Elus Estampilles « Front Populaire »

Reste l’énigme  Front Populaire et la tonitruante campagne populiste et patriote de celui qui remonte toujours les vieilles horloges idéologiques en remettant au goût du jour le vieux centrisme stalinien : un coup à gauche, un autre à droite ou le contraire. Et une campagne toute centrée autour d’un appel à  sauver le « capital national » reprenant la thèse de son ancien mentor Mao qui défendait la thèse de l’existence d’un capitalisme sans exploitation !
Certes, ses principales figures de prou peuvent pavoiser ; ils ont arraché quinze places dans la nouvelle assemblée. Mais ce qu’il faut remarquer , c’est qu’ils sont souvent devancés par des formations ultra-libérales telles l’UPL d’un milliardaire dont la famille a fait fortune sous Kadhafi et Afek Tounes, fondée par une camarilla de franco-tunisiens rapatriés peu avant et après la chute de Ben Ali et dont l’une des plumes de l’ancien premier ministre français Rafarin et qui fut le dernier conseillé du général déchu constitue un bon exemplaire vivant.
Ensuite le gain entre les représentants des différentes formations à la Constituante ayant rejoint le Front Populaire et leur nouvelle représentation parlementaire n’est que de 3 nouveaux élus.

A regarder de près les résultats des élus du Front Populaire , on s’aperçoit qu’ils sont les rescapés du nouveau mode de scrutin : au plus fort reste.
Le score des 15 nouveaux élus varie entre 11,56 % pour le secrétaire générale du Parti des Travailleurs Jilani El Hammami à Siliana avec 6562 bulletins (le meilleur score du FP) et 2,68 % pour le représentant de la LGO au sein du Front Populaire, Nizar Ammami et 2981 bulletins. Le deuxième élus étiqueté « LGO », Fethi Chamkhi l’a été a Nabeul 2 avec 3,42% et 4007 bulletins.

Tout ce beau monde commence déjà à faire entendre une petite musique désaccordée quant à leur probable participation à un gouvernement national. Parions que les mêmes qui ont déjà trahi et nos martyrs et nos revendications révolutionnaires ne pourront plus se défausser de leur alliance avec la Destourie.

Une Future Assemblée Conservatrice Et Un President Quasimment Elu !

La future assemblée, sauf contestations et annulations1 donc réélection se décomposera comme suit :

● Nidaa Tounes, première formation avec 38,24 % des suffrages exprimés et 85 députés.

● Ennahdha, deuxième formation et 31,33 % des voix et 69 députés.

● L’UPL, la formation du milliardaire Slim Riahi, troisième avec 16 députés et 7,33 % des voix.

● Enfin le Front Populaire avec 15 députés et 5,52 %.

Si l’on cumule les députés de Nidaa, d’Ennahdha ainsi que de la myriade de petites formations libérales des restes de la Destourie* ayant obtenu quelques députés, nous nous trouvons en face d’une chambre majoritairement conservatrice, n’en déplaisent aux nombreux commentateurs, en particulier européens qui ne cessent de nous vanter « l’excellence démocratique tunisienne » et la clôture « heureuse » de la séquence révolutionnaire.

S’ensuivra au mois prochain la takhmira électorale pour élire au suffrage universelle le premier président de la “transition démocratique” . Sans lire dans le mare du café, nous pouvons prédire que le candidat de Nidaa l’emportera haut la main. La Tunisie aura le triste privilège d’élire un quasi nonagénaire en plein chambardement révolutionnaire. Cela donnera raison à ce graffiti tagué sur les murs de certaines cités populaires : « les jeunes font les révolutions et les grabataires en profitent …».


Notes

* Takhmira: entrée en transe.

* Destourie : néologisme désignant le ban et l’arrière ban des partisans de Bourguiba et Ben Ali comme on parle de la « Chiraquie », la nébuleuse rassemblée par le très gaulliste Chirac.

(1) “Il y a eu 9821 transgressions en Tunisie dans notre rapport préliminaires” a déclaré Moez Bouraoui, président de l’association ATIDE, lors d’une conférence de presse ce vendredi 31 octobre à Tunis, suite aux élections législatives du 26 octobre.
Selon Moez Bouraoui : ” les trois premiers vainqueurs des législatives ont été les premiers à transgresser les règles… “et nous sommes prêts à aller devant les tribunaux avec nos observateurs”.
”Dans 20% des bureaux de vote, des partis ont poursuivi leur campagne électorale le jour des élections”, a signalé Moez Bouraoui.
”Il y a eu une infiltration claire d’un parti à France 2″, a également signalé Moez Bouraoui. “Beaucoup de Tunisiens à l’étranger ont été privés de leur droit de vote”, a-t-il précisé.