Derrière le flot d’images et les stratégies de communication qui ont façonné la campagne présidentielle, le « background news » des médias a, certainement, pesé de son poids sur le climat d’opinion en jouant sur les registres de la menace et de l’insécurité. En effet, il est prouvé que l’influence des médias correspond moins aux différences de traitement de l’information qu’aux sources de l’information auxquelles les médias donnent un accès privilégié à la parole.

Dans « La Fabrication du consentement », Herman et Chomsky ont mis en évidence une orientation quasi-systématique de l’information diffusée par les médias dominants dans le sens des intérêts des pouvoirs politiques et financiers. La grille de lecture des auteurs se base sur cinq filtres, dont le filtre des sources d’information, pour démontrer comment les médias sont amenés « à jouer leur rôle d’organe de propagande ».

Nous avons appliqué, à trois médias, ce filtre des sources de l’information sécuritaire, qui révèle que les faits relatifs à la sécurité ne sont ni vérifiés ni questionnés.

Mosaïque FM

Le 19 décembre, sur Mosaique FM, l’émission “Chellet Amine” dérogeait à sa vocation ludique et musicale en recevant Ridha Sfar, le ministre délégué auprès du ministre de l’Intérieur.

Sujet du jour : « les mesures préventives de l’institution sécuritaire » face à « la menace terroriste ». Interpelé sur « la vidéo revendiquant l’assassinat de Chorki Belaid et Mohamed Brahmi », attribuée à L’État islamique , l’invité l’interprète comme « un appel à la mobilisation » et en appelle à la conscience et à la vigilance des citoyens pour faire réussir le scrutin. L’interview du ministre sera montée et rediffusée, le lendemain, dans le journal d’information.

Al-Chourouk

Dans son édition du 20 décembre, Al-Chourouk online rapporte qu’une tentative d’assassinat de Béji Caid Essebsi a été déjouée. Recueillie auprès d’ « une source sécuritaire » anonyme, l’information sera démentie, plus tard, par le porte-parole de l’Intérieur.

Al Wataniya 1

Le 22 décembre, sur le plateau de la Wataniya 1, Mohamed Ali Laroui, porte-parole officiel du ministère de l’Intérieur, évoque les affrontements déclenchés à El Hamma, suite aux résultats préliminaires du scrutin. Laroui relève que le poste de police a été saccagé, encore une fois, alors qu’il vient d’être meublé à neuf ! Il évoque, ensuite, la vocation syndicaliste d’El Hamma, ville natale de Mohamed Ali Hammi (ce lien entre contestation électorale et militantisme syndical en période coloniale est intéressant à déconstruire), et affirme que les habitants de la ville ne cautionnent pas ces violences. A aucun moment, le journaliste qui anime le débat n’interroge le porte-parole sur le sens de cette hostilité qui s’exprime, depuis le 14 janvier 2011, par la violence contre les postes de police, au-delà des motivations des contestataires.

Un journalisme de maintien de l’ordre

A partir de ces exemples, on relèvera que les journalistes font confiance à des informations livrées par des officiels, connus ou anonymes, ce qui s’apparente, déontologiquement, à un journalisme d’allégeance. Il semble, ainsi, qu’en se positionnant comme une source puissante, l’institution sécuritaire communique une information qui dispense de la vérifier. Ce qui signifie aussi que les officiels continuent à tirer avantage des routines médiatiques promptes à cautionner des informations invérifiables, sous prétexte d’urgence sécuritaire. Pour rappel, il y a quelques mois, le ministère de l’Intérieur concluait, avec les médias, un pacte « éthique » relatif au traitement du « terrorisme » . Ce sont les effets de ce pacte non-négociés qui se reflètent, aujourd’hui, sur les pratiques journalistiques.

De surcroit, dans un contexte transitionnel complexe, l’investissement émotionnel dont fait l’objet « la question terroriste et sécuritaire », court-circuite l’analyse ; les médias abordant ce phénomène, sur le registre de la menace et de l’inquiétude, sans questionner ses effets ni cerner ses tenants et ses aboutissants. Ainsi, c’est l’efficacité policière qui devient un enjeu politique en éclipsant les enjeux électoraux. En outre, dans le combat politique et symbolique entre l’Etat, détenteur du monopole de la violence légitime, et les contestataires de ce monopole; le « tout sécuritaire » est utilisé afin de disqualifier la contestation sociale ou démocratique.

En pratiquant ce journalisme de maintien de l’ordre, les médias perpétuent la tendance lourde à ne travailler que dans le cadre de limites définies, contribuant, ainsi, à la fabrication d’une forme de totalitarisme lisse qui fait de la propagande au nom de la stabilité démocratique.