Sur Mosaique FM, la désinformation était à son comble, ce mardi 20 janvier 2014. Interviewé sur sa propre radio par un collègue, Naoufel Ouertani, également animateur de l’émission « Labés », récemment épinglée par la Haica pour « apologie de la torture », déclarait que le régulateur méconnait le journalisme et que sa sanction outrepasse ses prérogatives (sic).
Midi Show du 20 janvier 2015.
Plus pernicieux encore, Abdelaziz Essid, avocat de la chaîne Al-Hiwar Ettounsi tv, rappliquait sur les ondes pour dire que le ministère public est revenu sur sa décision de suspendre l’émission en question. Affirmation qui sera démentie par Sofiéne Selliti, porte-parole du tribunal de première instance de Tunis. Mais la radio privée n’a pas daigné rectifier le titre de cette fausse information affichée sur son site.
Pour rappeler les faits, le 16 janvier dernier, Al-Hiwar Ettounsi diffusait sur son site et sur sa chaîne une bande-annonce de l’émission « Labés », prévue pour le lendemain. Dans cet épisode, l’animateur Naoufel Ouertani interviewe un ancien prisonnier et un policier-tortionnaire, Kamel Mraihi, alias « Chakif », qui se vante d’avoir fait preuve d’une discipline impeccable dans sa pratique de la torture, estimant que les tortionnaires n’étaient pas des « hommes de Ben Ali », mais des « militants de l’Etat ». Cette bande-annonce a eu pour effet immédiat de provoquer des réactions en cascade, sur les réseaux sociaux, et beaucoup d’internautes ont dénoncé cette « apologie de la torture » en appelant à remplir et à poster le formulaire des plaintes sur le site de la Haica.
Le lendemain, la Haica réagit en convoquant Naoufel Ouertani qui ne s’est pas présenté à l’audition et en décidant de suspendre illico presto la diffusion d’une « partie de l’émission relative à l’évocation de la torture des prisonniers politiques ».
La sanction de l’instance est motivée par l’infraction des articles 5 et 30 du décret-loi 116 :
En cas d’infraction grave constituant une violation des dispositions de l’article 5 du présent décret-loi pouvant occasionner un grave préjudice difficilement réparable, la HAICA peut décider la suspension immédiate du programme en question…
Article 30 du décret-loi 116.
De même qu’un manquement à l’article 2 de la loi sur la justice transitionnelle :
Le dévoilement de la vérité des violations est un droit garanti par la loi pour tous les citoyens, sans préjudice de leurs données personnelles et dans le respect de leurs intérêts et de leur dignité.Article 2 de la loi organique relative à la justice transitionnelle.
Le même jour, le ministère public décide, de son côté, d’interdire la diffusion du témoignage sur la torture en annonçant l’ouverture d’une procédure judiciaire contre le policier-tortionnaire. A son tour, l’Instance Vérité et Dignité se manifeste en demandant à visionner une copie de l’émission incriminée tout en convoquant le policier-tortionnaire pour l’auditionner. Le ministère de l’Intérieur décide, quant à lui, de suspendre le cadre sécuritaire Kamel Mraihi pour non respect de la hiérarchie.
Entretemps, Naoufel Ouertani a multiplié les interviews sur les radios privées pour atténuer la gravité de l’infraction, prétendant tantôt que « lui et sa chaîne étaient visés par la Haica » et comparant tantôt la « torture » à « la hausse des prix » qui pourrait, selon lui, être, demain, prétexte à la « censure » du régulateur. Nouri Lajmi, président de la Haica, a répliqué aux propos tendancieux de l’animateur en affirmant que le fait de « minimiser la gravité du contenu du spot prouve une méconnaissance des textes de loi et s’avère dangereux ».
Le comble, c’est que l’animateur de « Labés » utilise le principe de contrôle a postériori établi par la Haica pour se disculper. Ainsi, pour Ouertani, l’instance a censuré « Labés » avant sa diffusion, donc a priori, sans réclamer une copie de l’émission. Or, précisément, demander à visionner l’émission avant sa diffusion relève de la censure préalable. En revanche, la bande-annonce a bel et bien été diffusée et son impact sur les spectateurs a été désastreux. Mais l’animateur-vedette, qui ignore, sans doute, qu’un spot audiovisuel, aussi minimaliste soit-il, véhicule toujours un message, estime en toute mauvaise foi qu’ « il n’est pas responsable de l’incompréhension du spot publicitaire diffusé par la Haica et le ministère public ». Pourtant, en reconnaissant avoir manipulé le montage de la bande-annonce pour faire dans le sensationnel et provoquer le buzz, Ouertani avoue son méfait.
Dans un droit de réponse sur les ondes de Mosaique fm, Rachida Ennaifer, membre de la Haica, a précisé que la décision de non diffusion de l’instance a été prise pour prévenir des retombées négatives et irrémédiables.
Mais, aux dernières nouvelles, il semblerait que l’émission entière soit mise en cause. Khaled Krichi, membre de l’IVD, ayant affirmé, sur Mosaique FM, qu’en visionnant une copie de l’épisode de « Labés », l’instance a relevé des dépassements relatifs aux droits de l’Homme et à la torture.
[Il] est inconcevable de réunir un bourreau et une victime de la torture dans une interview télévisée, car la torture n’est pas une chose à prendre à la légère. La réconciliation étant la dernière étape d’un processus qui doit mener à la paix sociale en passant par la vérité, la justice, les réparations et les garanties de non‐répétition.Khaled Krichi, membre de l’Instance Vérité et Dignité (IVD).
De surcroit, « les révélations sur la torture doivent être recueillies selon des techniques qui protègent et le tortionnaire et la victime », affirme Krichi. En l’occurrence, le policier de « Labés » a disparu de la circulation, sans doute « par peur des représailles », selon le membre de l’IVD.
Sur sa page facebook, l’avocat d’Al-Hiwar Ettounsi continue à démystifier les faits et à confondre les rôles sans craindre de tomber dans le délit de « conflit d’intérêts ». L’homme de loi estime, ainsi, qu’on a « empêché un média d’ouvrir un dossier brûlant et que la censure est revenue », comme si une émission d’infotainment était capable de traiter un dossier aussi grave et sérieux, d’autant plus que le processus de la justice transitionnelle a été escamotée. Ce que ne manquera pas de lui faire remarquer une internaute :
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