Dans un rapport publié le 5 juin dernier, l’International Crisis Group (ICG) revient sur « l’exception tunisienne : succès et limites du consensus ». Revenant sur l’historique de ce consensus et le mettant en contexte, dans une perspective d’avenir électoral, ce rapport privilégie la continuité du consensus au détriment du jeu politique.
L’International Crisis Group :
L’ICG est une organisation non gouvernementale, indépendante et à but non lucratif qui œuvre dans le domaine de la prévention et la résolution des conflits armés. Crée en 1995, cette ONG couvre actuellement plus de 66 situations de conflits potentiels ou en cours. En dépêchant des analystes sur le terrain, l’International Crisis Group dresse ses recommandations aux hauts dirigeants des pays sur une situation de conflits ou une situation de conflits probable à venir. Grace à un conseil d’administration composé d’anciens présidents, d’anciens ministres, de diplomates …, cette Organisation exerce un rôle clé dans la prévention et la résolution de conflits, et cela à travers différentes actions :
- Mettre en garde contre le risque imminent de conflit à travers sa présence dans de nombreux pays, à travers la publication de rapports et d’alertes.
- Analyser la situation et aviser le Conseil de Sécurité de l’Organisation des Nations Unies, les organisations régionales, les bailleurs de fonds, et les pays concernés sur les mesures à prendre afin de prévenir, gérer ou résoudre les conflits.
- Livrer une étude sur tous les acteurs en présence, même ceux dont la composition et l’organisation sont opaques.
- Proposer de nouvelles réflexions stratégiques sur les conflits ou crises difficilement résolubles.
- Attirer l’attention internationale sur les conflits sous médiatisés.
Avec une représentation dans 34 pays et une présence dans plus de soixante zones de conflits ou de conflits potentiels, l’International Crisis Group dispose d’un financement divers : 49% provient de gouvernements d’Etats (une majorité de pays européens, les pays de la common law et les États-Unis d’Amérique), 31% d’entreprises et de donateurs privés (dont l’entreprise Shell , les hommes d’affaires américains Georges Soros, Frank J. Caufield membre du board du Council on Foreign Relations, ou encore Neil Woodyer fondateur Endeavour Mining Corporation) et enfin 20% des fondations (telles que The Elders Foundation ou encore Oak foundation).
Ainsi, en élaborant son rapport, l’International Crisis Group perçoit la Tunisie comme une zone de conflit potentiel, dont l’origine serait la polarisation issue du futur scrutin électoral, venant annihiler un dialogue national dont l’action a été probante.
Le rapport :
Dressant la synthèse de la sortie de crise tunisienne grâce au dialogue national entre le quartet représenté par l’UTICA, l’UGTT, la LTDH et le Conseil de l’ordre des avocats et les partis politiques, ce rapport démontre comment ce consensus est en équilibre précaire. En effet, la tenue de futures élections pourrait remettre au-devant de la scène les tensions issues de cette polarisation, entre d’un coté le parti qualifié d’ « islamiste » d’Ennahdha, et de l’autre le parti qualifié de « séculariste » de Nida Tounes. Selon ce rapport, les scénarios électoraux envisagés par l’un comme par l’autre manquent cruellement de réalisme, et de ce fait « le plan de partage » de pouvoir espéré par ces deux partis pourrait être fortement remis en cause, le jour des résultats.
Les responsables politiques des deux bords…semblent s’engager dans un plan de partage de pouvoir qui suppose que ni les uns ni les autres ne sortiront du futur rendez-vous législatif doté de la majorité nécessaire à la création d’un front excluant l’autre. Mais en même temps, cette stratégie attentiste est fondée sur des prévisions hasardeuses… Un candidat rassembleur, d’un camp comme de l’autre, pourrait émerger.
Michael Ayari, Senior Tunisia Analyst at International Crisis Group
Face au constat dressé par l’auteur, quant aux sources possibles de conflits entre Ennadha et Nida Tounes, mais aussi face aux soucis internes que rencontrent les deux partis et à l’imprévisible « émeute populaire » du fait de l’austérité budgétaire, le consensus issu du dialogue national doit être amené à perdurer. Afin d’éviter une crise profonde, la stabilité de la Tunisie passera inexorablement par la sauvegarde de ce consensus.
Dans l’éventualité où aucune coalition islamiste/séculariste équilibrée ne voit le jour à l’issue des futures législatives, les grandes forces politiques devraient d’ores et déjà se pencher sur un accord pré-électoral définissant les règles de conduite du futur vainqueur.
Michael Ayari, Senior Tunisia Analyst at International Crisis Group
Ce qui impliquerait la mise en place d’une politique d’État préétablie et consensuelle, au-dessus de la politique politicienne. La question est de savoir si la maturité politique de « machines politiques » aussi puissantes qu’Ennahdha et Nida Tounes est suffisante pour épancher leur soif de pouvoir. Contacté par mail, Michael Ayari, l’auteur de ce rapport nous répond :
L’essentiel est qu’ils se mettent d’accord par écrit. Ils ont l’expérience nécessaire. Le problème restera pour eux de le faire accepter à leur base militante comme toujours. L’essentiel c’est que les forces politiques se préparent à tous les scénarios, se mettent d’accord sur des règles du jeu extra-constitutionnelles et que la polarisation ne revienne pas.
Au-delà du scrutin immédiat se pose la question de l’incidence future d’un tel consensus. En effet, quel sera le rôle des partis politiques si une « feuille de route » de la politique de l’État est préétablie ? Allons-nous vers une « démocratie atone », où, quelle que soit l’idéologie partisane émanant des urnes, l’État s’auto-dirigerait ?
En effet, à terme une telle décision pourrait amener à l’apparition d’une dualité dans le paysage politique, à l’instar du modèle américain, avec seulement deux fronts politiques qui auront peu de marges de manœuvre dans la conduite de la politique générale de l’État. Cette pratique a d’ores et déjà démontré ces limites aux États-Unis, où finalement, la conduite de politique générale de l’État amène les élus, souvent contre leur gré, à se soumettre à des lobbyings, loin de leurs idéologies. Il s’agira en quelque sorte de dénaturaliser la politique dans son essence au profit du politique dans sa gestion.
Présentant cette analyse à l’auteur de ce rapport, celui-ci nous répond non sans crainte : « Quant au côté “atone” de la démocratie il signifie surtout que les décisions échappent aux élus. N’oubliez pas que Ben Ali parlait de “démocratie consensuelle” ». Voilà qui en dit bien long sur les possibles bouleversements à venir !
Dressant ce constat, l’International Crisis Group semble, pourtant, oublier cette forme de consensus si singulière aux forces politiques tunisiennes de la dernière décennie.
En effet, outre le consensus réel depuis quelque temps déjà sur le régime républicain, il convient de mentionner quelques dates. La réunion du 23-25 mai 2003 à La Baume-les-Aix, qui fut, néanmoins, controversée, mais ouvrit pourtant la voie à l’entente du groupe du 18 octobre 2005. Lequel groupe continua sur un cheminement, certes pas idyllique, mais qui permit d’éviter le pourrissement, suite à la chute du régime de Ben Ali, le 14 janvier 2011.
Et, c’est encore un singulier consensus, salutaire faut-il le relever, qui va profiter à Foued Mbazaa, pourtant un cacique du régime de Ben Ali, le propulsant –un 14 janvier 2011- à la tête de la République, en tant que président intérimaire. C’est également un consensus qui maintiendra la Constitution tunisienne de 1959 encore quelques mois afin d’éviter le désordre du vide institutionnel. Et c’est toujours d’une manière consensuelle que l’on a décidé, ensuite, de suspendre cette même Constitution au profit d’une Constituante dont le chemin fut pavé par la « Haute instance pour la réalisation des objectifs de la révolution, de la réforme politique et de la transition démocratique » ; elle-même le fruit d’un consensus des sit-ins déterminants d’Elkasba. Les mêmes sit-ins, entre autres, qui précipitèrent la démission du gouvernement de Mohamed Ghannouchi, auquel succéda celui consensuel d’Essebsi, qui parvint à assurer, d’une façon non moins consensuelle, l’étape des élections du 23 octobre 2011.
Et c’est toujours grâce aux consensus que le projet de la nouvelle Constitution a su évoluer dans ses trois versions, jusqu’à son adoption finale le 27 janvier 2014, avec plus de 90% des voix des élus de la Constituante.
Et, à l’évidence, sans cette démarche consensuelle, rien n’aurait pu être réalisé. Aussi, lorsque le rapport de l’International Crisis Group parle de la nécessité d’un consensus politique tunisien pour l’étape post-élections présidentielles et législatives, il ne fait que réinventer le fil à couper le beurre. De même, il est évident que la viabilité des institutions érigées par la nouvelle Constitution, trop fragiles, qu’elles sont, par leur courte existence, ne peuvent se pérenniser sans la continuité d’un consensus réel. Et nous ne pensons pas que le rapport de l’International Crisis Group apprend quelque chose de nouveau, à cet égard, aux principaux intervenants de la scène politique tunisienne, tant cela semble évident. Et c’est tellement vrai, qu’il a même été envisagé entre les différents courants politiques de proposer un candidat consensuel, y compris pour les élections présidentielles. Surprenant !
Si, en revanche, le rapport de ICG vise, à court terme et sans le dire clairement, la bipolarisation à l’anglaise ou à l’américaine de la scène politique tunisienne, cela nous semble une grave erreur d’appréciation du contexte politique tunisien, risquant d’encourager vers une pente dangereusement “atone”. Et de ce point de vue, nous avons plutôt tendance à faire davantage confiance dans la sagesse, parfois maladroite, il est vrai, des forces politiques tunisiennes qu’à celle ayant inspiré le rapport en question. Et, en définitive, l’ultime garde-fou, en l’occurrence l’opinion publique tunisienne, celle-ci semble avoir toujours réussi, à ce jour, à faire prévaloir cette forme de sagesse collective à chaque étape qui fut cruciale durant ce sinueux chemin de la transition démocratique tunisienne. Ça n’a pas toujours été facile, mais elle y parvient.
لقد سبق لي أن قرأت جزءً من هذا التقرير والواضح أنه يندرج في الجهد الغربي المحموم للإشادة ب”النموذج التونسي” و”الديمقراطية التونسية” و”الانتقال الديمقراطي التونسي الناجح” إلخ إلخ. وكله ليس سوى عملية تزيين (أو بالأحرى تزييف وتضليل) إعلامي هدفها مباركة حكومة التوافق التجمعونهضوية التي سيتمّ تنصيبها كوكيل شبه حصري للمصالح الغربية في تونس ولتنفيذ الأجندا الاقتصادية والأمنية لمؤسّسات بروتن وودز وحكومات بروكسل وواشنطن، عقب مسرحية انتخابية محددة النتائج سلفا وبحضور بعثات “مراقبة” من البرلمان الأوروبي ومؤسّسات المجتمع المدني الأمريكي وحتى الكونغرس نفسه (لما لا؟!)! (على فكرة، اعترف صرصار هيئة المحاصصة الانتخابية بالأمس بأن البرلمان الأوروبي دفع ما قدره تسعين مليون يورو لدعم “الانتخابات” القادمة. تصوّروا أنّ أوروبا تدفع كل هذه الأموال من أجل دعم “الديمقراطية” لدى العربان! عُبْط احنا يا عصام! عُبْط احنا آوي… على رأي باسم يوسف) وصحّة وبالشفاء للشعب المتخلّف اللّي عريان **** وهو يصفّق بكل حزم، بكل حزم لشيخيه الباجي كوع بوع وغنّوشو الجربوع
Merci pour cet article, l’étude de Crisis Group est en fait un peu plus nuancée. Et même entre les lignes, on n’y trouve aucune apologie de la démocratie atone. Se mettre d’accord par écrit sur des règles de conduite ne signifie pas avoir un programme politique commun.
Cela signifie seulement que les forces politiques doivent s’accepter en tant qu’adversaires et non se considérer comme ennemis, comme cela a été le cas durant les moments de tensions de la deuxième moitié de 2013.
Par définition, lorsque des leaders de partis élus, discutent entre eux pour régler des conflits, nous sortons de la logique strictement démocratique, ils prennent des décisions qui n’émanent pas directement de la volonté populaire. Dans les transitions démocratiques, notamment en Amérique Latine et en Europe de l’Est ceci était courant. Diminuer les tensions signifiait faire sortir de la logique de la compétition politique une série de points litigieux et générateurs de conflits violents.
Comme vous le rappelez fort justement, il y a une tradition de discussions entre forces politiques qui était très vivace parmi l’opposition durant les années 2000. (En 2003 c’était à Aix en Provence non à La Baume Les Aix). Le dialogue national, d’ailleurs, avait pour objectif d’arriver à un consensus et il y est parvenu. Ce qui est positif me semble-t-il.
L’enjeu maintenant est que les partis acceptent la compétition politique et ses résultats, ce qui est anti-consensuel par essence. Ils doivent, en même temps, prolonger, non tout le consensus, mais une partie de celui-ci…. Ils devraient, non un plan de partage de pouvoir stricto sensus, l’étude montre que celui-ci serait dangereux, mais se considérer comme de simples adversaires politiques qui n’entendent pas changement totalement la société tunisienne, s’ils sont élus.
Difficile de trouver un juste milieu entre une bipolarisation typique des vieilles démocraties où finalement personne ne se s’affronte sur de véritables projets de société et une polarisation où deux camps sont prêts à en découdre par la force…
Traditionnellement, il y a deux versions qui s’affrontent quant au choix des modalités pour surmonter des oppositions et des affrontements ayant pour objet le pouvoir et le façonnement de l’avenir d’un pays: ceux qui choisissent l’option de la “réconciliation”, adossée à “une justice transitionnelle”, version Afrique du sud; et ceux qui tournent la page du passé “douloureux” par la voie des urnes, liquidant l’ancien pouvoir pour le remplacer.
En Tunisie, on semble opter pour la première de ces versions, tout en soignant les anciens ennemis, ce qui donne une impression désagréable qui tendrait à accréditer un choix tout autre, celui du partage du pouvoir.
Ce partage du pouvoir, s’il devait s’accomplir sous cette modalité, il y a fort à parier qu’il ne se ferait que sur le dos des victimes et du peuple.
Car, cela ne traiterait vraiment ni les les crimes de la dictature passée, ni ceux encore actuels des islamistes auxquels on offrirait une virginité et légitimité attentatoires, au bout du compte, au principe mème du “rève” qui éclot un certain janvier 2011. Cela trahirait les attentes fondées sur un espoir, vite déçu. Et, les lendemains n’auront pas les couleurs d’un “consensus” taillé sur mesure par un aréopage hétérogène que seul le pouvoir et ses profits intéresse.
Peut-ètre, méritons-nous autre chose et d’autres desseins! Pour ouvrir une nouvelle page, il est toujours utile de corriger les erreurs et les fautes de la précédente pour s’éviter de les reconduire sous des formes nouvelles.