Les articles publiés dans cette rubrique ne reflètent pas nécessairement les opinions de Nawaat.

Danseurs-Citoyens

Les alternatives concrètes citoyennes (ACC) sont des initiatives émanant d’une ou plusieurs personnes ayant une attitude responsable et visant une autre réflexion/action au sujet du bien vivre et du vivre ensemble. Cette réflexion/action n’est donc pas celle du système dominant instauré par le couple marché/État. Tous les domaines de la vie sont concernés par des ACC car l’État et le marché ont presque tout envahi à travers la terreur et la marchandisation. Adopter une attitude ACC peut par exemple consister à se nourrir sans porter atteinte à sa santé, s’éduquer pour s’élever et partager les connaissances, produire sans polluer, échanger équitablement –même sans passer par l’argent, et… mille et une autres alternatives pour décider de sa propre vie, du bien vivre en harmonie avec soi même, avec ses semblables, dans sa cité et dans la nature.

Les acteurs des ACC, tels qu’ils sont considérés ici, ne sont pas des adeptes de la dissidence -au sens où ils ne désignent pas des adversaires, et ils ne sont pas des antisystèmes naïfs et/ou agitateurs, ils ne sont pas non plus des « révolutionnaires » enfermés dans la contestation éternelle comme des sortes des « béni non-non » -jamais satisfaits. Ils sont plus pour une insurrection de consciences et agissent concrètement afin que la logique du système se déconstruise dans les esprits des citoyens. Ils tentent plutôt la démonstration par la pratique[1].

Mais dans les faits, aussi bien les actions que les acteurs des ACC sont exposés aux risques de récupération, d’instrumentalisation et de banalisation. Les acteurs des ACC qui restent encore à la marge du système croient que l’esprit qui anime leurs actions est en forte expansion. Les ACC authentiques n’ont pas de place importante si on se réfère au volume des affaires ou aux décisions politiques, mais puisque le phénomène est incontournable, le système doit, tôt ou tard, doit réagir. C’est parce que les insatisfactions de citoyens se généralisent et menacent ceux qui ne trouvent intérêt qu’à garder le « statu quo », et c’est pour cela que certaines ACC sont tolérées –au niveau d’un certain seuil. Dès que la taille devienne critique (dans une logique marchande ou du point de vue de la politique politicienne) la machine du système commence à se mettre en garde et à profiter de l’évolution pour instrumentaliser, récupérer et banaliser ces ACC. Parfois la machine adopte ces ACC juste pour cacher ses défauts et ses impasses, espérant que la mouvance se calme –ce qui pourrait renforcer, in fine, le système. C’était peut-être le cas avec le communisme et l’expérience soviétique, avec aussi toutes les alternatives qui avaient un lancement authentique au départ, mais qui sont devenues des instruments au service du capital et de la politique ensuite. Une relecture de l’histoire de ces institutions qui ont gardé les noms alternatifs (coopérative, mutuelle, alliance, union, socialiste….), mais dont l’esprit a bien été transformé par la logique du système, pourra bien aider les ACC nouvelle génération à tirer des leçons. Une remarque s’impose ici: point d’antagonisme social ou politique et au fond il n’y a qu’un seul système, le nôtre. La théorie du complot n’existe pas, mais les pratiques que certains interprètent comme complotistes sont monnaie courante –ce sont souvent les plus faibles qui ont recours à ces justifications pour cacher leur incapacité et leur paresse. Les ACC authentiques ne regardent ni complot ni ennemis voulant les détruire, mais évaluent les risques auxquels elles sont exposées et agissent avec prudence à travers une solution pratique et réelle, aussi petite et aussi marginale de taille qu’elle soit, mais refuse de s’incliner devant la logique du système dominant.

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À ce titre, les acteurs et défenseurs des ACC actuelles, sont systématiquement attaqués sur les trois plans (avec présentation assez simplifiée) :

  1. L’Utopie : « ils ne sont que des rêveurs, utopistes, et idéalistes croyant vivre dans un monde imaginaire » ;
  2. L’ignorance : « ils ne sont que les ignorants de véritables lois sociales (dialectiques !) et de la vraie nature humaine. Ils ne proposent que des idées qui ne peuvent être opérationnelles ou des petites pratiques qui ne font pas avancer »
  3. L’égoïsme : « ils ne sont que des récupérateurs, des hypocrites qui parlent en bienfaiteurs et agissent en égoïstes pour leurs propres intérêts et sans aucun respect des principes et valeurs qu’ils prônent »

Il n’est pas ici question de déconstruire ces arguments et les remettre en cause, espérant seulement que la voile se dégage pour que ces détracteurs puissent se rendre compte de l’impasse du système et du fait que leurs propos sont au fond cyniques.

Dans un article récent et appréciable de Teycir ben Naser publié sur nawaat au sujet de Co working, le premier commentaire fait part d’une crainte : les jeunes font du copier/coller et manquent ainsi d’innovation ; ils ont une culture de la facilité et suivent un phénomène de mode ; ils s’intéressent plus à la forme qu’au fond…..Faut-il donc penser que les acteurs ACC ne sont que des « bobos » et que leurs actions manquent de fond ? Je pense que notre regard peut être juste et mesuré. Sans vouloir allonger cet article, toute critique constructive adressée aussi bien par les adversaires que par les supporteurs des ACC sera la bienvenue et sera sans doute utile. Une ACC authentique est celle émanant d’un acteur convaincu qu’il agit dans le bon sens ; conscient de la nécessité du partage de toutes les réflexions/actions y compris les critiques et autocritiques visant l’amélioration de l’expérience et, enfin, prudent quant aux risques de banalisation, de récupération et d’instrumentalisation. L’acteur ne mène pas ici un combat contre quiconque, mais s’en sert de sa croyance pour agir dans le bon sens.

[1] Ces acteurs des ACC appartiennent à la famille de Résistants, dont les ACP (alternatives concrètes politiques) et ACE (alternatives concrètes économiques). Exemples : les ACP comme des propositions sérieuses émanant des quelques hommes de la politique qui, de l’intérieur de la machine qui détruit, croient qu’il est possible d’agir et de corriger au sein de la politique. Par exemple, ils tentent de mettre en œuvre une démocratie directe et participative, une gouvernance locale, et un peu plus de respect pour le citoyen et à la nature. Les ACE sont essentiellement des entreprises à gestion capitaliste qui tentent de mettre des actions sincères pour intégrer les valeurs de solidarité, de coopération, d’écologie et autres principes éthiques pour plus de responsabilités sociales et humaines. Le problème avec les ACP et ACE est qu’elles sont exposées à la récupération et à l’instrumentalisation.