« Le problème est au niveau de l’accompagnement monsieur le Président ! », lance un responsable à l’adresse du Chef de l’Etat tunisien, lors de sa visite du Centre de rééducation pour mineurs délinquants d’El Mourouj. Cette réplique vient pointer du doigt une des principales faiblesses du système de justice pour enfants en conflit avec la loi : le suivi après la détention. Parmi les causes à l’origine de ce dysfonctionnement, une défaillance au niveau de la coordination entre ministères concernés.
M. Béji Caïd Essebsi s’y est rendu, vendredi 17 juillet 2015, le jour de l’aïd. Au-delà de l’aspect symbolique de cette visite et sa date, l’Etat tunisien a beaucoup d’efforts à fournir au niveau de la justice juvénile. Sur ce plan, l’un des enjeux de M. Mohamed Salah Ben Aissa, en charge du portefeuille de la Justice, est d’amener son ministère à rétablir la coordination avec ceux de l’Intérieur, des Affaires sociales, des Affaires de la femme et de la famille ainsi que l’Education et l’Emploi. A l’intersection de tous ces ministères, il existe une structure aujourd’hui peu fonctionnelle même si la volonté politique y est. Il s’agit de la « Commission technique chargée du suivi, de la protection, de la rééducation et de la réinsertion des enfants délinquants ».
Une coordination défaillante
« A ma connaissance, elle ne s’est pas réunie depuis 2011 », nous confie M. Nizar Sellem, sous-directeur des centres rééducatifs à la direction générale des prisons et de la rééducation. Un échec au niveau du suivi qui explique le taux élevé de récidive des mineurs délinquants estimé à 27%, selon une étude réalisée par le Centre des Etudes Juridiques et Judiciaires en 2005. « Il y a des blocages à cause du manque de coordination », indique M. Sellem. Et il poursuit :
Par exemple, nous (Ministère de la Justice, ndlr) attribuons à certains adolescents issus des centres rééducatifs des aides pour lancer des petits projets ou poursuivre leurs études. Ensuite, nous orientons les bénéficiaires vers les bureaux d’emploi (relevant du Ministère de l’Emploi), les établissements scolaires (relevant du Ministère de l’Education) ou les centres de formation professionnelle. Ils y rencontrent beaucoup de difficultés lors du traitement de leurs dossiers, alors qu’ils sont déjà en proie à la récidive. M. Nizar Sellem, sous-directeur des centres rééducatifs à la direction générale des prisons et de la rééducation
Parmi les différentes étapes de la procédure, divers obstacles, en rapport avec la coordination défaillante, sont observés. Et ce, essentiellement au niveau du partage des informations et du suivi. « Il n’existe pas encore de stratégie d’action multisectorielle claire ni de mécanisme de coordination opérationnel », déplore Mme Nidhal Hlayem, professeur de jeunesse et d’enfance à la Direction des droits de l’enfant et de la sauvegarde de l’enfance, relevant du Ministère de la Femme, de la Famille et de l’Enfance.
Persistant dysfonctionnement
L’insuffisance du mécanisme de suivi des enfants en conflit avec la loi n’est pas un constat récent. Elle persiste depuis des années, bien avant les bouleversements que l’administration tunisienne a connus depuis janvier 2011. Déjà en 2010, le Comité des Droits de l’enfant des Nations Unies relevait « avec préoccupation », dans son troisième rapport périodique de la Tunisie, que « l’Etat partie ne surveille pas la qualité et l’efficacité du système de justice pour mineurs et ne garantit pas la pleine application de toutes les dispositions à tous les stades du processus de justice pénale ». Pourtant, ce n’est pas le dispositif juridique qui fait défaut. L’Etat tunisien est bien outillé sur ce plan. Depuis février 1990, la Tunisie a ratifié la Convention relative aux Droits de l’enfant de 1989. Et elle s’est dotée, en novembre 1995, du Code la Protection de l’Enfant (CPE).
Toutefois, l’intérêt accordé aujourd’hui par les plus hauts responsables de l’exécutif atteste d’une prise de conscience des insuffisances notamment structurelles et administratives. Ils se montrent désormais engagés à y faire face. Mis en œuvre depuis mars 2013 sous l’égide du ministère de la justice, le projet de soutien à l’amélioration du système de la justice pour les enfants en Tunisie témoigne de cette volonté. Bénéficiant de l’appui de l’Unicef et de l’Union Européenne dans le cadre du Programme d’Appui à la Réforme de la Justice, les autres ministères concernés et la société civile sont impliqués. Le processus est en marche.
Lorsqu’on parle de “Centre de rééducation pour mineurs délinquants” et de “Commission technique chargée du suivi, de la protection, de la rééducation et de la réinsertion des enfants délinquants », par ces désignations les jeux sont faits et il n’y plus rien à faire puisque, le sort des mineurs est scellé et leur destin est frappé par leur qualification de Délinquants” .
Or, si délinquance, il y a, et qu’elle a été reconnue par un tribunal, elle ne peut que correspondre et concerner l’instant des faits qu’on leur reproche, qu’une juridiction a pointés et pas le moment où ils sont pris en charge par une institution de l’État. Quand ils sont pris en charge par les institution de l’État, ils peuvent être désignés, par exemple, de mineurs en adaptation, de jeunes en assistance éducative ou institutionnelle, mais si on les désigne de délinquants, une affiche qui les poursuit alors qu’il ne sont pas en situation de délinquance, à quoi sert, dans ce cas, de les prendre en charge ou d’inviter quiconque de visiter le centre, à moins de les faire jouer, sans leur demander leur avis, le rôle de bêtes immondes en cage.
Salah Ben Omrane
lemilieuautorise.com