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Jeudi dernier, sur Hannibal Tv, c’était un écran noir entre 7h du matin et 21h. La police s’est chargée de couper la transmission de la chaîne en exécution d’une décision de justice ordonnant la saisie du matériel pour dettes impayées. Même après avoir repris la diffusion, Hannibal Tv s’est montrée incapable d’informer les téléspectateurs sur les véritables raisons de cette rupture de la transmission. Une affaire qui rappelle le manque de transparence des médias tunisiens. Omerta.

« Afin de révéler les dessous de cette injustice subie par Hannibal Tv, une conférence de presse sera bientôt organisée », précise un communiqué de la chaîne daté du 03 octobre. Dans cet « éclairage » de deux pages, la chaîne a contesté « les déclarations irresponsables » de Mehdi Nasra, fils du fondateur et ancien propriétaire de la chaîne. Hannibal Tv confirme ainsi sa réticence et son malaise à communiquer sur sa crise. Rien de surprenant. La chaîne tv n’a jamais communiqué sur ses démêlés avec la justice, ni sur son acquisition par de nouveaux propriétaires.
D’ailleurs, leur identité n’a toujours pas été ouvertement révélée aux téléspectateurs tunisiens. Comme ses concurrents, Hannibal Tv n’a pas de ligne éditoriale annoncée. Ni charte, ni conseil de rédaction, ni autre outil de prise de décision collégiale. Une tendance générale dans les médias tunisiens qui a évolué en une culture de l’omerta désormais bien ancrée dans le paysage télévisuel. Bien évidemment, la transparence, c’est une valeur qui ne saurait intégrer le mode de fonctionnement d’une entreprise médiatique qu’avec la mise en place d’outils la garantissant.

Écran de fumée

La transparence, c’est avant tout une culture. Et son absence totale est nettement perceptible chez les dirigeants de cette chaîne, les anciens comme les nouveaux. D’ailleurs, dans toutes ses interventions, Zouheir Gombri, actuel directeur d’Hannibal Tv, a fait appel aux mêmes éléments de langage. Il évoque un « complot », assure qu’« il a souffert », rappelle qu’Hannibal Tv est « la voix du peuple  » et insiste sur la « sacralité de l’antenne ». Difficile de pouvoir communiquer autrement quand on a fait sa carrière dans un média de propagande dont l’administration est gangrénée par la corruption, le clientélisme et les malversations, surtout qu’avant le 14 janvier, M. Gombri fut haut cadre de cette sulfureuse bureaucratie.

Ressortissants de Ben Ali land

Le litige en question oppose Zouheir Gombri, représentant légal d’Hannibal Tv, à Mehdi Nasra, fils de son ancien employeur Larbi Nasra. Ce dernier a été propulsé « producteur » depuis 2009. Il n’a aucune production connue à part celles diffusées par la chaîne de son papa. D’ailleurs, certains médias ont évoqué son union avec la nièce de Leila Trabelsi. Quant à l’ancien patron d’Hannibal Tv, il n’aurait pas pu lancer cette chaîne en 2005 sans ses accointances avec le régime de Ben Ali.
Ancien haut responsable à l’Établissement de la Télévision Tunisienne (ETT), Zouheir Gombri a déjà été poursuivi en justice, en septembre 2011, dans une affaire de corruption liée à ses fonctions à TV7. Sa proximité avec les barons du clan RCDiste est toujours d’actualité. En témoigne son invitation de Mohamed Ghariani, ancien secrétaire général du parti dictatorial, en pleine campagne des législatives de 2014. Elle lui a valu une condamnation par contumace à 15 jours de prison ferme en avril 2015 avant d’être acquitté. En résumé, le principal dénominateur commun de tout ce beau monde est sa loyauté envers l’ancien régime et son évolution sous son aile durant de longues années. La fin des privilèges annonce la difficulté de s’adapter au pluralisme.

Mauvaise gestion

Aucune compétence managériale ne justifie la présence de tels profils à la tête d’une entreprise médiatique. D’ailleurs, la chaîne fait face à des difficultés financières depuis des années, au point d’opter, récemment, pour le licenciement abusif de dizaines de journalistes. Et chacun de ses représentants renvoie la balle à l’autre. Le Saoudien d’origine palestinienne Tarek Qatada, ancien directeur mais toujours actionnaire, accuse le directeur de « mauvaise gestion ». A son tour, Gombri accuse Nasra. Or, la chaîne a toujours été déficitaire. Si elle a pu avoir du souffle jusqu’ici, c’est parce qu’elle n’a pas été confronté à la concurrence entre son lancement en 2005 et 2011, quand elle était la seule et unique chaîne tv privée du paysage audiovisuel tunisien. Déjà, bien avant la révolution, la chaîne avait des problèmes de solvabilité.
A part le background politique des différents propriétaires de la chaîne et leur incompétence managériale, un autre élément défavorable a joué contre Hannibal Tv dans cette affaire. La justice tunisienne ne s’est pas adaptée au nouveau contexte nécessitant le respect de l’autorité du régulateur de l’audiovisuel. La coupure de l’antenne est « un précédent dangereux », selon le communiqué de la HAICA paru le 02 octobre.