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À Sidi Hassine – Sijoumi, quartier populaire de Tunis, L’université populaire Mohamed Ali El Hammi (UPMH), ouvre, aujourd’hui, lundi 15 février ses portes au public. Samedi, 13 février, les fondateurs ont célébré l’aboutissement de leur projet, rêve de plusieurs générations d’intellectuels et de syndicalistes tunisiens. En présence de quelques dizaines d’habitants et d’invités venus de Tunis, le coup d’envoi de la première université populaire en Tunisie était marqué par l’enthousiasme et l’espoir.

les habitants de Sidi Hassine : « l’université est la nôtre »

Sous les regards émus et les sourires de félicitations, l’université populaire s’installe dans l’un des quartiers les plus marginalisés de Tunis. Après les mots de bienvenue des organisateurs, la parole a été donnée aux habitants. Saida, quinquagénaire, mère de famille, prend le micro. « Enfin ! une université populaire qui va réconcilier nos enfants avec le savoir et la connaissance. Ce projet doit être porté par tout le monde, femmes, hommes et enfants. Nous allons réussir ce projet pour ouvrir les portes de la réussite à nos enfants. Ceux qui ont été privés d’éducation et ceux qui ne veulent plus aller à l’école ! Cet endroit sera pour nous tous et protégera l’avenir de nos jeunes » lance-t-elle sous des applaudissements nourris.

Initiée par l’association 1864 et l’Union des diplômés chômeurs, l’UPMH réunie plusieurs partenaires à l’instar de Zwewla (colleftif d’artistes graffeurs) et un groupe d’universitaires et d’artistes. Kamel Zaghbani, professeur de philosophie est le coordinateur scientifique de l’université. « Pour le moment, un noyau de l’équipe scientifique s’attellera à la coordination de l’activité d’interaction cognitive. Chaque membre s’occupera d’un volet différent. Kaïs Saïed, pour les sciences juridiques; Jalel Tlili pour les sciences sociales; Mohsen Khouni pour la philosophie; Nasser Sardi pour l’audio-visuel. Nous avons des contacts avec d’autres amis et collègues pour la coordination des enseignements de l’histoire, l’écologie et l’histoire des arts » explique Zaghbani avant de préciser que la structure des cours prendra forme d’ici deux semaines au plus tard.
Devant la grande porte de l’université, une ancienne salle de sport louée à un particulier, un père se renseigne sur les cours de théâtre. « Ma fille a 21 ans. Elle rêve de devenir une actrice. Le problème est qu’elle n’a pas le niveau nécessaire et n’a jamais suivi un cours spécialisé ». Nasseredine Shili, réalisateur et membre fondateur de l’UPMH, le rassure « peu importe son niveau, elle est la bienvenue du moment qu’elle est motivée ». En compagnie d’autres artistes, Shili donnera des cours de théâtre, de danse, de graffiti et de musique. « Mais, attention ! Ce ne sont pas des clubs. Ça sera des cours professionnels et sérieux même si la forme est nouvelle » précise Shili.

Porter ce projet dans plusieurs quartiers est notre défit actuel. Nous comptons beaucoup sur la solidarité tunisienne pour meubler une bibliothèque populaire et ramener des instruments musicaux autres que la percussion. Nous allons aussi chercher des financements et des aides pour assurer la viabilité de l’université nous explique Nasseredine Shili.

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apprentissage collectif et démocratisation du savoir

« Notre quartier est, depuis toujours, considéré comme un fief de criminalité et de violence. Maintenant, nous avons la chance de montrer un autre visage de notre jeunesse. Nous avons du talent et nous allons réussir ! Cette université est une chance que nous allons saisir » déclare à la tribune Ibrahim Ferchichi, 25 ans. Président de l’association Génération contre la marginalisation, partenaire de l’UPMH. Ibrahim encadre les jeunes du quartier par la promotion du Street Art. Dans la salle archi-comble, une dizaine de jeunes, amateurs de Parkour ( art du déplacement ou freerun), donnent un mini spectacle. Avant eux, un jeune anonyme, révèle un incroyable talent d’imitateur de voix de célébrités politiques.

Loin de l’enseignement classique, vertical et centralisé, fondé sur la relation hiérarchisée entre enseignants et élèves, l’UPMH sera un espace d’apprentissage collectif. Kamel Zaghbani la définit comme :

Une interaction cognitive libre et ouverte, située dans l’horizontalité, le partage intelligent, la proximité agissante et dynamique. Un échange cognitif et intellectuel à composantes multiples qui enrichirait les différentes subjectivités en place et permettrait à tout un chacun d’acquérir une sorte de “boîte à outils” lui donnant l’opportunité de penser d’une façon autonome et de saisir les aspects complexes de son vécu aussi bien personnel que collectif dans son milieu familial, professionnel, social et politique.

Plus qu’un outil de lutte sociale et politique, l’université populaire se veut un symbole de libération des esprits et de la révolution. Ce n’est pas une coïncidence si Mohamed Ali El Hammi avait forgé ses convictions politiques et syndicales dans une université populaire en Allemagne (d’où le nom de l’UPMH). Cependant, les risques de ne pas trouver un équilibre entre les exigences du quotidien et le long processus d’apprentissage ont causé la disparition de nombreuses universités populaires dans le monde. « nous avons une nouvelle stratégie pour créer une synergie avec les différentes catégories de la population. L’expérience est nouvelle en Tunisie et nous même on est en train d’apprendre au fur et à mesure » assure Zaghbani, conscient des défis de l’université.