Tout a commencé avec une proposition de collaboration avec Nawaat fin 2014. C’était une période décisive pour ce projet qui venait de fêter ses 10 ans. Né d’une volonté ferme de défier le blackout médiatique du régime benaliste et la pensée unique qu’il sacralisait, sans se ranger dans les schémas de l’opposition partisane, Nawaat faisait face à de nouveaux enjeux, 4 ans après la révolution. Cette plate-forme multi-récompensée entamait une restructuration qui avançait doucement mais sûrement, en réponse aux exigences de la période.

Quel équilibre entre les contributions libres, représentatives de l’ADN de cet espace cybernétique, et la production de la rédaction, signe de maturité du projet et fruit de la ligne éditoriale suivie par ses fondateurs ? Quelle place pour un média alternatif et associatif dans un paysage cannibalisé par un pluralisme médiatique perverti à coups de récupérations des lobbies financiers et politiques ? Et puis, dans un moment de repli sur soi, une question s’impose : quel apport puis-je avoir dans ce contexte ? Quelle pierre amener à cet édifice en ces moments de troubles sismiques ?

La réponse, je l’ai trouvé à la Une de Nawaat dans son slogan phare : « Don’t hate the media, be the media », littéralement traduit : « Ne haïssez pas les médias, soyez le média ». La critique des médias est quasiment inexistante en Tunisie. Il s’agit pourtant d’un besoin. Loin des campagnes vindicatives et les règlements de compte entre concurrents, Nawaat est un outsider et un pure player. Contrairement aux autres opérateurs médiatiques, ses publications ne peuvent pas s’installer dans la petitesse de ces basses manœuvres. Donc, pas de place aux interprétations superficielles et autres mesquineries. Ainsi, le contenant s’avère parfait pour un tel contenu. Une fois le besoin identifié, le contenant et le contenu harmonisés et le parasitage aliéné, la réflexion éditoriale est passée à un stade plus avancé, celui de penser la forme de mes contributions, le champ d’intérêt qu’elles couvrent et leur périodicité.

Durant tout le mois de janvier 2015, une veille pluri-média a balayé l’ensemble des supports médiatiques tunisiens : Journaux imprimées et électroniques, radios et télévisions. Plusieurs dépassements déontologiques ont été recensés, diverses méthodes de désinformations observées et différentes techniques de propagande repérées. Le paysage est donc riche en matière, assez pour lui consacrer un espace hebdomadaire : une chronique. Mais le champ est trop vaste pour une veille quotidienne visant à déceler les tendances dominantes dans les médias mainstream. Toujours soucieux d’avoir un apport à l’ensemble de notre lectorat, et non pas uniquement aux premiers concernés à savoir les professionnels des médias, notre choix s’est orienté vers le média le plus intrusif : la télévision. 97,6 % des ménages tunisiens ont un téléviseur, selon les chiffres de l’Institut National des Statistiques datant de 2011.

Et c’est parti ! Chaque semaine, de longues heures de programmes tv sont visionnées pour déceler les tendances dominantes sur les petits écrans. Les choix se font en fonction de plusieurs paramètres. Principalement, comme nous l’avons déjà relevé, il fallait que les sujets des articles portent sur des tendances et non pas sur des bourdes anecdotiques ou marginales. Ensuite, il fallait rationaliser notre approche critique et exclure le regard moralisateur ou émotif. Il fallait également inclure des éléments explicatif afin de « vulgariser » le traitement, le rendre accessible au plus large lectorat possible et non pas uniquement les avertis. C’est seulement en suivant cette démarche qu’on pourrait donner du sens aux outils utilisés : la contextualisation des actualités traitées par les chaînes tv et le décryptage des thématiques qu’elles abordent en recourant à l’analyse du discours et à l’analyse filmique.

Bien évidemment, la rigueur méthodologique escomptée n’est pas en porte-à-faux avec l’attachement à un ensemble de valeurs et de partis pris assumés. La révolution comme projet de changements politique, social et culturel radicaux en est un. Cette approche sacralise les droits de l’Homme et nous impose un positionnement aux côtés des luttes pour les droits économiques et sociaux et les libertés individuelles et publiques. Quant à l’économie des médias, la libéralisation en marche est certainement avantageuse à une condition. Une régulation qui exige la transparence et qui œuvre réellement pour la mise en place d’un service public et non pas de médias étatiques comme c’est actuellement le cas.

« Revolution will not be televised », écrivait et chantait Gil Scott-Heron. Ce morceau a souvent accompagné la rédaction de mes chroniques. J’aimerais tant contredire Scott-Heron. Mais pour l’instant, je dois reconnaitre qu’il a raison. Et tant que c’est le cas, mes chroniques ne tariront pas. C’est parti pour une deuxième année !