L’Assemblée des représentants du peuple procédera, prochainement, à l’élection de la première instance indépendante de prévention contre la torture. Vendredi 11 mars, la commission des élections a pré-sélectionné 48 candidats pour aboutir aux 16 élus qui dirigeront durant les six prochaines années le dispositif le plus important de lutte contre la torture. Une pratique, jusque là fort présente dans les lieux de détention et les milieux pénitentiaires que la Tunisie post-révolutionnaire peine à éradiquer malgré les garanties offertes par le nouveau dispositif juridique.
Les 48 candidats ont été sélectionnés parmi près de 200 candidatures déposées. 16 experts seront élus par les députés : 6 membres issus de la société civile, deux professeurs universitaires, un spécialiste de la protection de l’enfance, deux avocats, trois médecins et deux juges à la retraite. Selon la loi organique de l’instance, aucun candidat ne doit avoir assumé, par le passé, aucune responsabilité politique au sein du RCD, ni dans les gouvernements de Ben Ali.
Au lendemain de la révolution, le gouvernement provisoire de Mohamed Ghanouchi, a approuvé l’adhésion de la Tunisie à une série de conventions internationales et de protocoles facultatifs relatifs à la lutte contre la torture et à la protection de toutes les personnes contre les disparitions forcées. En 2013, l’ANC a promulgué la loi organique n° 2013-43 du 21 octobre 2013, relative à l’Instance nationale pour la prévention de la torture. En 2014, la nouvelle constitution garantit le droit à la dignité humaine et criminalise la torture et les mauvais traitements à travers ses trois articles 23, 29 et 30. La dernière avancée en matière de prévention contre la torture est la révision de l’article 13 bis du Code de procédures pénal relatif aux conditions de détention.
Malgré tout ce dispositif législatif, la torture persiste dans les prisons et centres de détention. La lutte antiterroriste cadrée par la loi de 2003 et désormais par la nouvelle loi n°22/ 2015 a rendu difficile les poursuites contre les auteurs d’actes de torture et a ouvert la porte de l’impunité. Selon Radhia Nasraoui, membre du sous-comité de lutte contre la torture à l’ONU, et candidate à l’instance :
Aucun auteur de torture n’a été poursuivi par la justice durant les cinq dernières années de la révolution.
Cette nouvelle instance constitutionnelle n’est pas la seule instance concernée par la lutte contre la torture en Tunisie. En effet, la Tunisie dispose des deux autres instances, Vérité et Dignité ainsi que la Haute instance des droits de l’homme et des libertés fondamentales. Selon le guide de lutte contre la torture dans la loi tunisienne édité par le ministère de la Justice, les deux instances (HIDHLF et INPT) ne disposent que d’un pouvoir consultatif. Malgré leur indépendance par rapport aux pouvoirs judiciaire et exécutif et l’immunité de leurs membres, les deux instances n’ont pas un pouvoir décisionnel pour faire respecter les droits de l’homme. En effet, les principales missions de l’instance consistent au contrôle permanent et inopiné des lieux de détention, l’investigation sur les cas de torture, la réception de plaintes des victimes de torture, le contrôle de la compatibilité des conditions de détention et d’exécution de la peine de prison avec les normes internationales des droits de l’homme, l’adoption des directives générales pour la prévention de la torture et les mécanismes susceptibles de les détecter ainsi que la la publication d’un rapport annuel sur ses activités.
Même si la loi organique n° 2013-43 , relative à l’Instance nationale pour la prévention de la torture permet un contrôle permanent sur les prisons et centres de détention, elle prévoit une exception dangereuse selon la société civile qui pourrait entraver le droit de contrôle de l’instance. En effet, l’article 13 donne aux autorités concernées le pouvoir de
faire objection à une visite périodique ou inopinée d’un lieu déterminé pour des raisons pressantes et impérieuses liées à la défense nationale, à la sécurité publique, à des catastrophes naturelles ou à des troubles graves là où la visite doit avoir lieu, qui empêchent provisoirement que la visite ait lieu, et ce, via une décision écrite motivée qui doit être immédiatement transmise au président de l’instance tout en mentionnant obligatoirement la durée de l’interdiction provisoire.
Pour Mondher Cherni, secrétaire général de l’Organisation tunisienne de lutte contre le torture cette mesure laisse la porte ouverte « aux autorités d’échapper au pouvoir de contrôle de la nouvelle instance. Il fallait préciser plus les notions de la défense nationale et de la sécurité publique. Il fallait aussi donner un pouvoir de contestation de l’appréciation des autorités afin de minimiser, le maximum, les interdictions de visites » explique Mondher Cherni.
Selon Hassan Fathalli, porte parole de la présidence de l’ARP, la date des élections de l’instance nationale de prévention contre la torture sera fixée la semaine prochaine. La société civile, de son coté, appelle les députés à élire des candidats, loin des calculs politiques afin de préserver la crédibilité de l’instance. La bataille est loin d’être gagnée vu le nombre élevé des futurs membres et la mobilisation des syndicats du personnel pénitencier et de police contre toute réforme.
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