On ne peut pas dire que les ambassadeurs soient de « bon clients » pour les médias. Généralement peu loquaces, si l’on exclut quelques cas qui firent rougir les services consulaires français, la discrétion diplomatique à laquelle ils sont tenus se combine moyennement avec l’exercice de l’interview, encore moins avec celui du portrait. Cela vaut pour les ambassadeurs d’Etats autant que pour les représentants communautaires. A cet égard, Laura Baeza, ambassadrice de l’Union Européenne en Tunisie, ne faisait pas faire exception à la règle. Pourtant, depuis 2015, la chef de la Délégation de l’UE enchaîne les allocutions et les interviews, défendant tous azimuts un accord de libre-échange dont elle a fait son cheval de bataille.
D’origine espagnole, Laura Baeza Giralt naît en région parisienne (Neuilly-sur-Seine) et fait ses armes à Bruxelles. Pur produit des institutions communautaires, cette européenne convaincue qui aime se définir comme « une personnalité optimiste, qualité obligatoire quand on travaille pour l’UE » (sic) débute sa carrière dans les couloirs labyrinthiques du Parlement européen (1986-1990). Son master d’études européennes en poche (ULB), c’est tout naturellement qu’elle vient grossir le rang des jeunes attachés parlementaires, passage quasi obligatoire pour une future eurocrate fraichement diplômée. Après avoir conseillé le Groupe parlementaire socialiste sur les questions extérieures, elle change de bâtiment et intègre le cabinet de Manuel Marin, alors Vice-président de la Commission européenne. S’ensuit une carrière somme toute classique, au sein des arcanes de la Direction générale des relations extérieures (DGRE), au terme de laquelle elle prend successivement la tête de l’improbable « unité des questions horizontales » (2002) puis de « l’unité Euro-med et questions régionales » en charge du Moyen-Orient et de la Méditerranée du sud (2008). Alors âgée de 56 ans, Laura Baeza quitte Bruxelles et les bureaux tamisés de la Commission, pose ses bagages à Alger et récupère au passage le titre de « Son Excellence ».
La perception de l’ALECA telle que véhiculée par les médias tunisiens reste encore plutôt généraliste et idéologique.Laura Baeza Giralt
Après 4 ans passés à la tête de la Délégation de l’Union européenne en Algérie, elle accède à son poste actuel, en Tunisie, où elle succède à Adrianus Koetsenruijter. Durant les premières années de son mandant tunisien ses interventions hors cadre officiel se font plutôt rares. Elle monte une première fois au créneau, en 2013, pour défendre l’impartialité de l’Europe, mise à mal par les accusations du quotidien à l’occasion d’un papier relatant les pressions occidentales sur l’élection du premier ministre Mehdi Jomaâ. A l’approche de l’ouverture des négociations sur l’ALECA, alors que se cristallisent les craintes et qu’apparaissent certaines critiques quant au bilan du précédent accord d’association entre la Tunisie et l’Union Européenne, Mme Baeza décide de prendre le dossier à bras le corps. « Elle en a fait une affaire personnelle, c’est véritablement l’œuvre de son mandat » explique une journaliste qui suit de près le dossier. En novembre 2015, lors d’un discours au Centre d’études et de recherches économiques et sociales (CERES), l’ambassadrice s’en prend directement à la presse tunisienne. « La perception de l’ALECA telle que véhiculée par les médias tunisiens reste encore plutôt généraliste et idéologique, et très peu – au moins pour le moment – basée sur des faits » lance-t-elle devant un parterre de journalistes estomaqués, avant d’enjoindre les universitaires à contrer « les allégations qui prolifèrent et font le buzz sur les réseaux sociaux ».
« C’était proprement hallucinant » se souvient une journaliste présente ce jour-là. « Je crois que ce qui m’a le plus choqué c’est l’absence de réaction de la presse qui a simplement baissé les yeux » poursuit-t-elle. Mise à part un ou deux papiers sur internet, la presse nationale se montre pour le moins timorée. De son côté, Mme l’ambassadeur finit d’achever sa mue en véritable VRP du libre-échange. Dans les colonnes des magazines spécialisés, à la tribune des colloques ou sur l’antenne des radios nationales elle défend bec et ongles « l’offre que l’Europe fait aux Tunisiens ». Une offre qu’ils ne pourraient refuser ; ou presque, si l’on en croit le zèle qu’elle emploie à rassurer les secteurs d’activité les plus réservés, agriculture en tête, dont elle affirme être consciente de « la sensibilité ». L’agriculture tunisienne, longtemps restée insensible aux charmes de Mme l’ambassadeur qui avouait en novembre dernier ne pas être parvenue à s’entendre avec les ministres successifs, est sujet à toutes les attentions de la part de l’Europe. Dernière en date, le cadeau des européens fait aux exportateurs d’huile d’olives tunisiens au moment où s’ouvrent les négociations apparaît comme une tentative de séduction plutôt grossière. Le 19 avril dernier, l’UE a en effet mis en place une mesure commerciale d’urgence visant à détaxer sur deux ans 70 000 tonnes d’huile d’olive tunisienne supplémentaire à destination du marché européen.
La liberté d’expression devrait permettre aux élites et leaders d’opinions de se manifester. C’est là que vous les auteurs, et les journalistes devez servir de relais à la diffusion. Laura Baeza Giralt
Brosser dans le sens du poil les professionnels et valoriser les chercheurs, seuls à même d’apporter des « faits » pouvant contrecarrer les discours idéologiques – et donc forcément biaisés et populistes – des journalistes déviants et autres critiques. Voilà en substance la stratégie de Laura Baeza pour gagner l’opinion tunisienne à la cause de l’ALECA. Pourtant, force est de constater que sa méfiance vis-à-vis de la presse n’est pas irréversible. Lorsqu’un journaliste de RTCI, un tantinet obséquieux, lui sert son argumentaire sur un plateau d’argent, l’ambassadeur lui embraye le pas avec un enthousiasme non dissimulé. De même quand elle se trouve en terrain amical. Comme en 2015, en marge des Rencontres euro-maghrébine des écrivains à Tunis, événement qui se trouve être à la croisée de ses deux passions : la littérature (elle était éditrice dans sa jeunesse) et le libre-échange. Les Rencontres se situent en effet dans la droite ligne de l’Union pour la Méditerranée, ce projet si cher à Nicolas Sarkozy et à Zine el Abidine Ben Ali qui végète depuis des années. Dans un entretien accordé au poète et romancier mauritanien Mamoudou Lamine Kane Laura Baeza se livre un peu. Et, au-delà du discours lénifiant sur l’importance-de-la-culture-dans-le-dialogue-des-peuples, l’ambassadrice se veut le chantre d’une liberté d’expression d’un type un peu particulier. « La liberté d’expression devrait permettre aux élites et leaders d’opinions de se manifester. C’est là que vous les auteurs, et les journalistes devez servir de relais à la diffusion » affirme-t-elle pleine d’espoir. Des journalistes-relais, simples serviteurs de la pensée dominante, voilà à quoi rêve la chef de la Délégation européenne en Tunisie. Et d’ajouter dans une envolée aux accents lyriques, « Chaque peau nouvelle nous ouvre à une nouvelle ère, nous accorde un œil nouveau sur le monde et les gens. Les gens pleins de certitudes me font toujours peur ». Tour à tour eurocrate, ambassadeur et désormais VRP convaincue du libre-échange, à 64 ans Laura Baeza semble avoir enfilé son ultime costume. On espère qu’il lui plait.
En focalisant sur la personne de l’ambassadeur votre article perd beaucoup de son efficacité dans le sens où il personnalise le sujet et ne se focalise pas sur le fonds.
En effet, la signature de l’ALECA et ce qu’il représente ne dépend pas d’une personne et son habileté à communiquer.
Comme vous le savez, la doctrine du libre échange est autant promue par des décideurs européens, – elus ou non- que par des décideurs tunisiens – élus ou non.
A ma connaissance la Tunisie n’a pas adhéré de force à l’OMC et n’a pas négocié l’accord de 96 sous une menace quelconque. C’est la même chose aujourdhui avec l’ALECA.
Il me pose d’ailleurs la question de savoir si par hasard les tenants de cette doctrine en Tunisie ne seraient pas les mêmes qui jouissent d’exhorbitants privilèges dans les politiques publiques tunisiennes et ont été les premiers à s’enrichir grâce aux marchés extérieurs avec l’UE et les autres partenaires commerciaux de la Tunisie.
Alors, si vous voulez être efficace, ne vous attaquez pas à des personnes déterminées mais mettez en évidence le fonds du sujet, notamment le système qui permet d’endormir la majorité pour que la minorité continue de s’enrichir…
Journalistiquement, l’article est raté. L’on ne comprend pas de quoi ou de qui l’auteur veut parler : de l’ALECA ou de la repésentante de l’UE en Tunsisie ?!
L’on ne comprend pas s’il a choisi l’angle de l’ALECA pour “attaquer” L. Baeza ou bien le contraire. Les critiques contre l’ambassadeur ont déjà étaient ressassées. Quel apport de les évoquer de nouveau ? En quoi cela avance les Tunisiens ? Le journaliste “choqué” de voir la presse “timorée”, s’est réveillé trop tard. Son artilce est très décalé !
Il y a même anguille sous roche. Quelle apport pour le lecteur tunsien de s’attarder sur les détails de la carrière d’un diplomate en fin de mandat ?
Barvo le journaliste ! Quel gachis pour Nawaat !
Azur
Absolument d’accord avec les commentaire précédents: cet article est mauvais, il n’aborde rien du fond. Evidemment que Laura Baeza défend la position de l’UE sur l’ALECA – c’est son métier d’ambassadrice que de représenter les intérêts européens! Il s’agit donc de démontrer pourquoi l’ALECA est néfaste pour le développement de la Tunisie, ou bien seulement bon pour son élite. Même chose pour les propos (par ailleurs assez modérés) de Baeza sur les journalistes tunisiens: l’article ne présent en rien pourquoi ils seraient si choquants que des journalistes puissent être “estomaqués”. Sa remarque est d’ailleurs assez juste, lorsqu’elle estime que le travail d’un journaliste devrait être basé sur les faits. Et oui, bien qu’ils aimeraient se présenter comme plus que cela, les journalistes sont avant tout des relais de l’information – ce qu’ils doivent être certes de manière critique. Mais aussi de manière neutre, et surtout professionnelle et non biaisée – et donc, on y revient, en se basant sur les faits. Décortiquez-donc (si tant est qu’il y ait matière à le faire) les rares articles de fond de la presse tunisienne sur l’ALECA! Et pourtant, le contenu des négociations est une mine d’or pour un observateur critique et avisé… Encore faudrait-il pour cela avoir une presse de qualité.