Cette fois, c’est le gaz de schiste! C’est sur ces roches dures, compactes et controversées que les députés de la Commission de l’industrie, de l’énergie, des ressources naturelles, de l’infrastructure et de l’environnement semblent s’être heurtés hier. Réunis les 20 et 21 avril pour examiner deux projets de lois relatifs à la prolongation de 15 ans de la validité d’exploitation des champs gaziers « Baguel » et « Franig » (gouvernorat de Kébili), les députés de la Commission ont buté sur un détail de taille : dans les documents soumis par le ministère de l’Industrie, le gaz de schiste est mentionné, puis omis. Retour sur une ambiguïté qui a viré au blocage.
Conventionnel ou non-conventionnel ?
Tout au long de la première journée, l’ambiance était tendue à la Commission de l’énergie. Des demandes de prolongation de la validité des titres pétroliers relatifs aux concessions « Baguel » et « Franig » ont déjà été rejetées en juillet 2014, du temps de l’ANC. La question de la légalité de la prorogation divise toujours la commission de l’ARP, entre opposants farouches comme Samia Abbou du Courant Démocratique et Adnen Hajji du groupe Social-Démocrate et défenseurs convaincus avec Abdelaziz Kotti de Nidaa Tounes en chef de file.
Le résultat du vote semblait être connu d’avance quand Zied Lakhdhar relève une anomalie qu’il a qualifiée de « duperie ». A une question posée au ministère de l’industrie, le député du Front populaire a reçu un document qui parle de« travaux de Fracturation sur puits existants ayant pour objectif du silurien [période géologique de l’ère primaire] ». C’est la même formule évoquée dans les documents officiels du titre relatif à la concession « Franig », à une expression près. Dans la réponse au député, l’expression « gaz de schiste » s’est pulvérisée.
Cette omission a suscité l’indignation, le doute et l’incompréhension parmi la majorité des députés. Le président de la commission Ameur Laarayedh, du mouvement Ennahdha, décide alors de reporter le vote, le temps de recueillir les explications du ministère de l’Industrie et les avis d’experts indépendants, déja réclamés par les députés de l’opposition.
Les deux titres pétroliers relatifs aux concessions « Franig » et « Baguel » sont détenus à parts égales par l’Entreprise Tunisienne d’Activités Pétrolières (ETAP) et la société franco-britannique Perenco.
Depuis la révolution, les deux compagnies ont été dans la ligne de mire des opposants à l’exploitation « illicite et illégale » du gaz de schiste en Tunisie. C’est qu’en Tunisie, le Code des hydrocarbures ne régit que les sources conventionnelles, pétrole et gaz naturel qui circulent dans des roches poreuses et perméables en direction de la surface pour s’accumuler dans des réservoirs naturels et qu’un forage permet de libérer. Ne sont donc pas autorisées, l’exploration et l’exploitation des hydrocarbures non conventionnels qui nécessitent des techniques d’extraction autres ou complémentaires au forage. La plus commune de ces technique est la fracturation hydraulique, technique souvent décriée pour ses impacts géologiques et environnementaux lourds et irrémédiables.
Toutefois, des activités de fracturation hydraulique ont été observées notamment au sud du pays au niveau du bassin Ghadames-Berkine. En janvier 2013, Schlumberger, une société de services pétroliers, avait publié sur son site web un article intitulé « Tant de shales [schiste], si peu de forage ». Vasco Felix, le directeur de la branche africaine de la société de services pétroliers Packers Plus, parle de « certaines activités de forage non-conventionnelles effectuées par la compagnie pétrolière anglo-française Perenco et l’opérateur italien Eni ». Ce spécialiste de la fracturation hydraulique évoque également des négociations entre le gouvernement tunisien d’alors et plusieurs opérateurs étrangers, y compris notamment Shell pour la conduite d’activités non-conventionnelles à grande échelle.
Mohamed Akrout, PDG de l’ETAP, n’est pas de cet avis. Contacté hier par téléphone, il affirme qu’ « il n’y a pas de gaz de schiste, de toute façon on n’en parle pas et on n’y est pas autorisés. La fracturation ne signifie pas qu’ont est dans le non-conventionnel » Pour lui, la fracturation hydraulique utilisée par l’opérateur Perenco à « Franig » n’est qu’un procédé de stimulation pour libérer le gaz, « d’ailleurs un procédé qui n’est pas nouveau… on l’utilise en Algérie et même en Tunisie sur d’autres sites comme Miskar [champ gazier de British Gas] », souligne Mohamed Akrout.
Mêmes partenaires ou nouveaux partenaires ?
Faouzia Bacha, avocate spécialiste des contrats pétroliers a balayé d’un revers de la main le raisonnement du PDG de la compagnie pétrolière nationale. Non seulement elle estime que les activités de Perenco sont non-conventionnelles et par conséquent illégales, mais elle appelle à l’application rigoureuse de la loi. En effet, selon les dispositions du décret-loi n°85-9 du 14 septembre 1985, les permis de Perenco sont non renouvelables.
Pour cette avocate, les projets de lois relatifs à la prorogation des permis ne trouvent de fondements, ni dans la loi, ni d’ailleurs dans l’expérience de l’Etat avec l’opérateur étranger. Une expérience que le rapport de 2012 la Cour des comptes relate avec très peu d’égard, en relevant plusieurs dépassements, tels qu’un retard de plus de 14 ans dans l’audit des dépenses d’exploration.
Mohamed Akrout ne croit pas à la capacité de l’ETAP d’exploiter toute seule les concessions de Baguel et Franig et craint un coût d’abandon de plus de 40 millions de dinars si Perenco part en 2020. Faouzia Bacha estime qu’au contraire « le coût d’abandon est à la charge de l’opérateur, et il n’est pas si élevé que ça ». Pour elle, « les deux concessions sont déjà productives, Perenco ne démantèlera pas les installations en partant… Il suffit d’ouvrir les vannes ».
Nous tournons en rond depuis belle lurette, du moins pour ce dossier. Conventionnel ou pas, la mise en doute des vérités établies (annoncées par les multinationales elles-mêmes) ne vient que de nos politiciens. Il faut nommer un chat un chat. Il y en a qui sont pour toutes les formes d’extractivisme, quelles que soient leurs conséquences. On nous sort toujours les mêmes recettes: l’emploi; alors quelle en est la réalité, et à quel prix accepte-t-on ces emplis (au fait, combien sont-ils, les employés dans ce secteur?).
L’opacité étant de mise, et notre emprise sur nos ressources naturelles n’est que fallacieuse (contrats COTUSAL et autres). On cherche à noyer le poisson et continuer à nous servir des “vérités”, les leurs, pour que finalement le système continue à tourner, quelles qu’en soient ses conséquences, pas seulement sur l’environnement, mais aussi sur les humains et toute forme de vie.
Bref, tant que nous ne disposons pas d’informations crédibles et vérifiables, nous continuerons à patauger, ne sachant pas où donner la tête. Ce pays ne mérite pas ce sort. Désolant…
Il y a toujours beaucoup de confusion autour du gaz de schiste et de la facturation hydrolique. D’ailleurs, je ne comprends pas comment vous pouvez citer une avocate sur un sujet clairement qui dépasse ses compétences:
– D après ce que je comprends dans votre article, il ne s agit absolument pas de gaz de schiste, mais des gisements classiques de gaz. Néanmoins il s agit de gisement plutôt de mauvaise qualité (ce qu’on appelle Tight Gas).
Pour améliorer la production des puits, on injecte des quantités limitées d’eau avec du propant (des petites billes qui ressemble à des grains de sable) pour fracturer localment au tour du puits (stimulation) . C’est une technique classique et n à rien de non conventionnel, et à sûrement été utilisée dans de nombreuses reprises en tunisie, et d’une manière plus importante en Algérie.
Pour le gaz de schiste en revanche, il s agit de la roche mère (qui génère le petrole) complètement non perméable et qu il faut fracturer D une manière massive pour pouvoir produire. La technique est de moins en moins non conventionelle (particulièrement aux US) par contre peut poser des questions sur l empreinte industriel et sur l utilisation d’eau, mais ces questions peuvent être traités selon les cas.
Comme tout exploitation industrielle et particulièrement pétrolière, dans les deux cas on s expose à des risques en terme de sécurité et environnement. Et il faut bien vérifier que les entreprises respectent les normes internationales. Mais à mon avis c’est un peu bête de passer à côté de ressources pareilles pour un pays comme la Tunisie.
De votre côté, il est quand même important de prendre des sources sérieuses et expliquer clairement et froidement, ces sujets techniques, et éviter le sensationel.
Le sujet évoqué est certes technique, merci de le souligner, mais il est également environnemental, politique, juridique, éthique, d’intérêt public et concerne les générations futures. Je ne pense pas qu’évoquer ces autres aspects de la question relève du sensationnel. Aussi, évoquer la question permet de créer un débat public, dans cette deuxième République où la participation, la bonne gouvernance et l’échange sont normalement des principes fondateurs. Poser la question permet aussi d’écouter des avis comme le votre. Je vous invite par ailleurs à lire cet autre article où j’explique (aussi) clairement et froidement la question tout en citant des sources aussi sérieuses que celles que j’ai utilisées dans ce papier.
http://16iacc.org/blog/2014/10/02/governance-tunisian-government-presses-ahead-with-fracking-despite-counter-arguments/
Merci pour votre réponse.
Ce que je reproche a l’article, c’est que a aucun moment il ne dit la phrase: “les champs en question, ne sont pas des champs de gaz de schiste”. Point. Il n’y a pas d’opinion ou débat. C’est un fait. Il y a eu possiblement une fracturation hydraulique (stimulation) mais il ne s’agit pas de gaz de schiste. Du coup on sous-entend une pratique potentiellement illégale de l’entreprise opératrice et un manquement de l’ETAP, alors que non.
Malheureusement, des qu’il s’agit d’un sujet qui touche le petrole en Tunisie, on essaye tout de suite de trouver a qui profite le crime (syndrome ouinou el petrole), cependant je suis d’accord avec vous sur la necessite d’avoir, un débat sain, sur ce genre de sujet, qui trop souvent sont techniques, mal maîtrisés et trop passionnés (en tunisie et ailleurs).
C’est une société qui mauvaise réputation partout dans le monde, elle a été fondée par un aventurier dans le sud-est asiatique, comme société de “catering” au départ, et ce, par un certain Mr Perrodo , aujourd’hui décédé, et remplacé par son fils, “donc, une société de famille”. Bref, toute ses activités sont basées sur la corruption et les pots de vin, dans tous les pays ou elle exerce. Donc, cela n’étonne personne qu’elle réussisse en Tunisie, entre autre, puisque nous connaissons tous, ce qu’est devenue notre pauvre Tunisie.