arrestation

Les Tunisiens devraient garder la date du 1er juin 2016 à jamais dans leurs mémoires. Demain, rentrera en vigueur l’application du nouvel article 13 bis du Code de procédure pénale. Considéré comme la seule réforme révolutionnaire en matière de droits et libertés, le nouvel article 13 bis donne le droit à chaque personne arrêtée par la police de demander un avocat qui signera les PV des instructions préliminaires. La durée de l’arrestation ne doit plus dépasser 48h en cas de crime ou de délit et 24h pour les cas d’infraction. Les ministères de l’Intérieur, de la Justice et de la Santé n’ont pas encore communiqué sur l’événement. Ont-ils préparé la logistique nécessaire pour la mise en application de la nouvelle loi ? Pour le moment, il semble que rien n’ait été fait dans ce sens.

Des ministères rétifs

La nouvelle réforme oblige la police à se professionnaliser et à se conformer aux droits humains. À chaque arrestation, la police sera désormais tenue d’informer le procureur de la République et de notifier les données relatives à l’arrestation dans un formulaire spécifique. Côté défense, la police se devra d’informer le prévenu de son droit de voir un avocat et les commissariats devraient être équipés d’espaces privés à cet effet. Enfin, la famille du suspect sera avertie de la garde à vue et une visite médicale est désormais prévue si nécessaire

Depuis la discussion du projet  au sein de l’ARP, le ministère de l’Intérieur a exprimé ses réserves sur la date de son entrée en vigueur  demandant un délai de deux ans pour se préparer aux nouvelles règles. Mais les députés en ont décidé autrement et n’ont laissé que quatre mois, largement suffisant selon eux, pour que la réforme rentre en application. Selon une source anonyme : « le ministère de l’Intérieur a continué de faire pression, même après l’adoption de l’article 13 bis, pour repousser la date de son entrée en vigueur. Plusieurs personnes du ministère avouent avoir peur de cette réforme et des conséquences qu’elle pourrait avoir sur leur travail. » Contactés par Nawaat, le ministère de la Justice et celui de la Santé n’ont pas souhaité s’exprimer sur la manière dont ils avaient anticipé en interne l’application des réformes. Au minimum affirment-ils « être prêts pour le premier juin, sans pouvoir en dire plus ».

Changer les mentalités

Sur ce point, Antonio Manganella, directeur d’Avocats sans frontières en Tunisie, se montre plutôt sceptique. Bien qu’il juge « décevant » la volonté de retarder l’application de la nouvelle loi, il avoue la nécessité d’un certain temps d’adaptation : « même dans les pays développés, un dispositif effectif de mise en œuvre de la présence d’un avocat lors de la garde à vue prend entre 5 et 10 ans. Il ne faut pas s’attendre qu’au 1er juin tout fonctionne parfaitement » prévoit l’avocat  qui précise que « ce n’est pas une excuse pour retarder la mise en œuvre de la loi ». Magnagnella pointe également le nécessaire effort de sensibilisation que devra assumer l’État, « afin que le justiciable demande effectivement un avocat lors de sa garde à vue ».

De son coté, Boubaker Bethabet, secrétaire général de l’Ordre national des avocats (ONAT), affirme que les bureaux régionaux de l’ONAT sont en permanente collaboration avec l’inspection générale du ministère de la Justice afin de former les avocats et préparer les permanences dans chaque région. « Des réunions ont également eu lieu avec la police judiciaire et les procureurs afin de discuter la mise en œuvre de la nouvelle loi, explique-t-il, avant d’ajouter que, concrètement, des liste de contacts d’avocats seront distribuées aux commissariats pour assurer une permanence surtout à destination des personnes en garde à vue n’ayant pas d’avocat personnel. »

Actuellement, Avocats sans frontières, en partenariat avec l’ONAT, prépare un projet pilote dans le commissariat d’Al Sijoumi. « Avec 30 avocats et près de 100 dossiers il s’agira de  relever, à travers la pratique les difficultés à surmonter et de familiariser les tunisiens à la présence d’avocats lors des gardes à vue ; il faut changer mentalités afin que ce droit soit garanti »  » explique-t-on chez l’AST.   Halim Meddeb, de l’Organisation mondiale contre la torture (OMCT), rappelle que l’application de cette nouvelle réforme dépendra énormément des commissariats, de la police judiciaire, et des procureurs : « la police judiciaire est contrainte à un minimum de productivité. Une des raisons du taux élevé de la récidive en Tunisie est justement le recours à ces pratiques où l’on oblige d’anciens criminels à avouer de nouveaux crimes qu’ils n’ont jamais commis. La résistance aux nouvelles réformes sera forte car il y a un enjeu de pouvoir, voir même de survie pour les policiers judiciaires ».