Ceux qui prétendent que Mohamed Ali est mort sont d’infâmes menteurs ! Rappelez-vous, on nous avait déjà annoncé que Marcus Garvey, Malcolm X, Martin Luther King étaient morts. Des bobards ! Comme si ces hommes étaient mortels !

Mohamed Ali n’était pas un militant politique au sens courant du terme. Il n’a pas fondé de parti ni de syndicat. Il n’a été candidat à aucune élection. Il n’a jamais pris les armes pour conquérir le pouvoir. On ne lui doit aucun écrit politique qui puisse servir de référence. Certes, il a été membre de la Nation de l’islam. Ce n’était pourtant pas un « activiste » à l’instar de ce qu’a pu être Malcolm X. Mohamed Ali était un militant politique de par son existence même. Son parcours, ses prises de position, ses sacrifices, la puissance de sa volonté et de son courage, la force de sa dignité, son charisme et son rayonnement, son humour aussi, en ont fait une arme de destruction massive contre la suprématie blanche. Mohamed Ali a incarné au plus haut point la fierté noire. Il a été l’aiguillon indispensable de la « conscience noire » dont parlait Steve Biko. Les Blancs lui ont reproché son ego démesuré, son arrogance et sa mégalomanie. Mais faut-il moins que cela pour secouer des siècles d’infériorisation raciale et d’humilité contrainte ?

Mohamed Ali s’est opposé également à la guerre abjecte menée par l’impérialisme américain contre le peuple vietnamien. Refusant de revêtir l’uniforme pour aller massacrer ceux qu’il désignait comme des « Asiatiques noirs », il révélait le caractère consubstantiel du racisme et du colonialisme impérial. « Je n’ai pas de problème avec les Vietcongs. Aucun Vietcong ne m’a jamais traité de nègre », osait-il affirmer ainsi en 1966. Il en a payé le prix : condamné à cinq ans de bagne, il ne purgera pas sa peine mais se verra retirer son titre de champion du monde et sa licence de boxe. Cet épisode, je m’excuse de parler de moi ici, mon père m’en avait parlé avec admiration alors que je n’avais pas encore dix ans. Je me souviens aussi que seulement deux événements, retransmis à la télévision, avaient réussi à nous tenir éveillés, tous les deux, une grande partie de la nuit : la victoire de l’Homme blanc mettant le pied sur la lune et le retour triomphal de l’Homme noir sur le ring.

Certains, sans nul doute évoqueront sa « récupération », telle ou telle compromission, des jugements parfois à l’emporte-pièce. Mais qu’importe ! Un surhomme conserve toujours quelques traits vulgairement humains. Mohamed Ali n’exagérait pas lorsqu’il disait de lui-même qu’il était « le plus grand ». Avant d’abattre Foreman, en 1974, il prétendait s’être « déjà battu contre un alligator » et avoir « combattu une baleine ». « La semaine dernière, ajoutait-il, j’ai tué un rocher, blessé une pierre, et envoyé une brique à l’hôpital. Je suis si méchant que je rends la médecine malade ». Vous croyez que c’est faux ? Pure vantardise ou guerre psychologique pour casser le moral de son adversaire ? Pas du tout. En tous cas, moi, j’y crois.

Mohamed Ali était en effet très grand. Plus grand que la tour Eiffel. Une pyramide, une belle pyramide africaine d’Egypte. D’Aimé Césaire on a dit qu’il était le « nègre fondamental ». Eh bien, Mohamed Ali est le nègre pyramidal ! Et une pyramide ne meurt pas. C’est pourquoi Mohamed Ali n’est pas mort. Il est né une première fois en 1942. Aujourd’hui, nous fêtons sa deuxième naissance. Sa naissance post-mortem.