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D’abord, dénoncée hier vers 20h30 dans un communiqué de Harak Tounes Al-Irada puis vers 21h15 par Moncef Marzouki sur sa page Facebook, les pressions exercées par la présidence de la République et la présidence du gouvernement ont été confirmées par Attessia Tv. Joint par téléphone dans Midi Show sur Mosaïque Fm vers 13h45, Moez Ben Gharbia a confirmé les faits tout en précisant qu’il s’agit « d’hommes occupant des postes de ministre et de conseiller ». Invités de la même émission, Mehdi Ben Gharbia, ministre chargé des Relations avec les instances constitutionnelles, la société civile et les droits de l’Homme ainsi que Noureddine Ben Ticha, conseiller du président Caid Essebsi ont nié les faits. Qui devrait-on croire ? Le directeur de la chaîne ou le ministre et le conseiller ? Difficile de trancher surtout que le capital de crédibilité des uns et des autres est relativement faible.

Défaillante gestion de crise d’Attessia

Le premier concerné est bien évidemment Attessia. Il a fallu attendre plus de 17 heures pour que la chaîne privée réagisse, alors que les spéculations fusent de toutes parts depuis la déclaration de Marzouki. Un retard qui témoigne de l’incapacité d’Attessia de gérer sa crise. D’ailleurs, bien avant la réaction tardive de la chaîne, le Syndicat National des Journalistes Tunisiens (SNJT) a condamné, dans un communiqué publié dès 11h00, « l’interdiction de la diffusion » de cette interview. Cette réticence d’Attessia à rendre publique sa version des faits a de quoi semer le doute sur sa fiabilité.
D’ailleurs, la première réaction officieuse d’un employé de la chaîne ne peut qu’alimenter les suspicions. Commentant la polémique dans la matinale Cap Fm, le propagandiste Borhen Bsaies, désormais animateur sur Attessia, a évoqué « des comportements et des données dangereuses ». Une sortie médiatique cumulant opacité et racolage d’un homme qui n’a plus de crédibilité après ses successifs retournements de veste : Il a atterrit chez Attessia après avoir servi la propagande de Nabil Karoui, fait du lobbying pour Slim Riahi et collaboré avec les services de renseignement de Ben Ali. Il a pourtant été privilégié dans la nouvelle grille de programmation d’Attessia, au détriment de certaines figures de l’entertainement qui ont fait leurs preuves telles que Mourad Zeghidi et Amel Smaoui et dont les émissions n’ont pas été reconduites pour une deuxième saison.

Le patron d’Attessia dans la tourmente

Le directeur général d’Attessia, Moez Ben Gharbia, ne brille pas non plus par sa crédibilité depuis sa vidéo d’octobre 2015, mise en ligne depuis la Suisse, où il interpelle l’opinion publique sur des menaces contre sa personne parce qu’il détient la vérité sur les responsables des assassinats politiques. De retour à Tunis, il a présenté au ministère public des documents attestant de « son état psychologique dépressif ». Huit mois avant, exactement en mars 2015, il a été condamné à 6 mois de prison avec sursis pour fraude et usurpation de l’identité du président de la République en employant des procédés peu orthodoxes dans une enquête journalistique selon ses dires. A partir de novembre 2015 et jusqu’en juin 2016, Moez Ben Gharbia n’a pas fait d’apparition sur Attessia. Le moment et le contexte était très mal choisis pour ressurgir. C’est à la révélation du canular lors de certains numéros de la très polémique Allo Jeddah qu’il est réapparu.

Retourneurs de vestes sans foi ni loi

Les hommes politiques intervenants dans cette affaire souffrent aussi d’un déficit de crédibilité. Noureddine Ben Ticha, conseiller du président depuis avril 2016, a souvent changé de position. Membre fondateur de Nida Tounes, il a soutenu durant les Présidentielles de 2014, contre toutes attentes, non pas le candidat de son parti Béji Caid Essebsi mais Mustapha Kamel Nabli. Sans oublier son site d’information Al Jarida connu par ses nombreuses bourdes et sa publication d’intox. Quant au ministre Mehdi Ben Gharbia, ses brusques changements d’affiliations partisanes sont assez intriguants. En trois ans, il est passé d’Al Jomhouri à l’Alliance Démocratique avant de quitter ce parti après avoir raflé un siège à l’Assemblée des Représentants du Peuple (ARP) en se présentant à la tête de sa liste électorale à Bizerte.

Pire : Le cas Moncef Marzouki. A part ses promesses électorales de 2011 trahies lors de son mandat présidentiel, le fondateur de Harak Tounes Al-Irada se proclame défenseur de la liberté de la presse alors qu’il reconnait lui-même avoir conditionné son interview sur Attessia en exigeant de ne pas évoquer certains sujets comme celui de l’extradition de l’ancien premier ministre libyen Baghdadi Mahmoudi. Drôle de conception de la liberté de la presse !

Ce déficit de crédibilité général est symptomatique d’une crise de confiance aigue, non seulement entre les différents acteurs directement concernés, mais également entre autorités politiques et citoyens et entre médias et audimat. De quoi précariser la lutte pour la liberté d’expression et l’indépendance des médias. D’autant plus que l’instance de régulation, la Haute Autorité Indépendante de la Communication Audiovisuelle (HAICA) est frappée de mutisme depuis le déclenchement de l’affaire, il y a 24 heures. Pourtant, le décret-loi 116 portant sur sa création stipule clairement dans son article 6 que la HAICA est « chargée de garantir la liberté et le pluralisme de la communication audiovisuelle ».