Les élections américaines ont été une occasion pour observer l’intérêt des chaînes TV tunisiennes pour l’actualité internationale. A l’épreuve d’un tel événement majeur, leur couverture et leur traitement se sont montrés faibles en raison de l’inexistence d’émissions spécialisées et de la rareté des programmes à vocation informative. La tendance générale pointe surtout vers un intérêt post-électoral.

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Aucune chaîne TV tunisienne n’a chargé un envoyé spécial d’assurer la couverture, service public compris. Dans le paysage télévisuel tunisien, il n’y a actuellement aucune émission dédiée à l’actualité internationale ou à la géopolitique. D’ailleurs, même quand il s’agit d‘actualité nationale, le format des talkshows, à faible valeur informative, domine les grilles de programmes, au détriment des émissions d’information et des magazines de reportage. Le seul espace où le traitement de l’actualité internationale est régulier reste les journaux télévisés. Focus sur quatre chaînes TV tunisiennes durant les journées du 07, 08 et 09 novembre, veille, jour et lendemain des élections américaines.

JT de la Watania, austère et équilibriste

Les éditions du 07 et du 08 novembre du journal télévisé (JT) de 20h sur la Watania se sont trop fiés aux sondages. « Favoris », c’est ainsi que le JT diffusé le jour des élections a présenté Hillary Clinton en insistant sur les résultats des sondages, sans aucune nuance. Idem pour le JT de la veille qui se débarrasse de son équilibrisme en prenant la liberté d’évoquer une « consolidation des chances de Clinton après avoir été innocenté dans l’affaire des courriers électroniques ». Les deux éditions mentionnées ont marginalisé la véritable identité politique de Donald Trump en se contentant d’évoquer son affiliation récente au Parti Républicain. Par ailleurs, aucune mention du populisme de Trump et de ses déclarations racistes et misogynes. Il a fallu attendre le lendemain des élections pour que le JT de la Watania consacre 20 minutes à cette actu majeure. Il a fallu attendre le 09 novembre pour qu’il relève le caractère « imprévisible » du candidat républicain et « des accusations de racisme », sans plus, même pas quand ils évoquent les protestations. L’équilibrisme a étouffé le pourquoi du comment.

Pour sa part, Nessma ne s’est carrément pas intéressé aux élections américaines à la veille de leur tenue et leur a consacré deux synthèses rudimentaires d’une minute et demi chacune le 08 et le 09 novembre. Quant à El Hiwar Ettounsi, la chaîne privée n’a pas de JT. En cette nouvelle saison, elle s’est même débarrassée de « 24 heures », sa capsule quotidienne dont le format se situe entre celui d’un flash et d’un JT.

Le JT d’Attessia se distingue…

Contrairement à ses concurrents, le JT de 20h d’Attessia s’est distingué, d’abord en relativisant lors de chaque évocation des sondages et des pronostics mais aussi en adoptant une approche intégrant des éléments de proximité. Dans ce sens, son édition du 07 novembre a consacré une synthèse sur les élections suivie d’un reportage aux Etats-Unis qui brosse le portrait d’une famille d’origine arabe prend la parole et s’exprime sur ses attentes en focalisant sur une jeune fille militante au sein de la société civile américaine. Cependant, une bourde symptomatique témoigne de la méconnaissance de nos rédactions de la scène politique américaine : La journaliste en voix off a mal prononcé le nom Al Gore, le candidat aux présidentielles américaines de 2000, en parlant d’ « Al Joor ». Le 08 novembre, le JT d’Attessia a placé les élections américaines en premier titre et a eu le réflexe, inexistant chez ses pairs, d’expliquer le système électoral américain. Toujours dans la proximité, il a interpelé l’ambassadeur des Etats-Unis en Tunisie au sujet des changements à prévoir dans la politique américaine vis-à-vis de notre pays. Le jour du résultat, le JT d’Attessia a consacré 20 minutes au sujet avec une démarche pédagogique sans tomber dans le didactique.

Expertises : Entre généralités, approximations et impostures

Pour leurs interviews et débats, aucune des quatre chaînes mentionnées n’a invité un expert en politique américaine, qu’il soit journaliste spécialisé ou expert universitaire. Mustapha Tlili, enseignent-chercheur en Histoire moderne invité du JT de la Watania, a avoué : « je ne m’y connais pas » pour répondre à la question de la présentatrice Arem Rjaibi au sujet de la chute du dollar, de la bourse et des marchés financiers. Pour sa part, Nessma a invité Sofien Ben Nasr, présenté comme « président d’un bureau d’études à Wall Street » et connu comme dépositaire d’une candidature rejetée aux élections présidentielles de 2014. Quant à Attessia, l’invité de son JT du 09 novembre est l’ancien diplomate et éphémère ministre des affaires étrangères Ahmed Ounaies et une pléiade d’hommes politiques tunisiens. Dans son numéro du 09 novembre, l’émission « Houna Al-An » s’est intéressée aux élections américaines avec des interventions de responsables politiques tunisiens, l’ancien diplomate Abdallah Labidi et Mondher Thabet, ancien secrétaire général du Parti Social-Libéral (2006-2011). Ce responsable d’un parti de l’opposition du décor sous le régime de Ben Ali a été présenté comme « analyste politique ».

Sur El Hiwar Ettounsi, qui a fini par dédier Tunis 24/7 du 09 novembre aux élections américaines, les invités sont 5 journalistes habitués à traiter de l’actualité internationale. Ballotés entre généralités et approximations, leurs propos ont dévoilé une certaine méconnaissance du dossier à l’ordre du jour marquée par une grille de lecture essentialiste panarabiste. Sophia Hammami a répété « Ronald Trump » plus de trois fois, de quoi pousser l’animatrice Mariem Belkadhi à rectifier. Fatma Karray a confondu conservatisme et affiliation historique au Parti Républicain en affirmant au sujet de Trump : « Nous ne pouvons pas dire conservateur ». Mohamed Bouaoud prévoit « une guerre froide avec la Russie », alors que le pays de Poutine le considère comme son candidat après les tensions qu’il a eu avec Hillary Clinton quand elle était Secrétaire d’Etat. Pour sa part, Zied El Heni considère le résultat de ces élections comme « une chute du rêve de l’empire ». Or, le slogan de de la campagne de Trump est  Make America Great Again  [Rendre l’Amérique Grande à nouveau ]. Et ce, avant de tomber dans le conspirationnisme et parler de cercles cachés qui contrôlent tout d’avance. Quant à Mondher Bedhiafi, il s’est trompé sur le nombre des électeurs de Trump en parlant de 300 millions alors qu’ils ne sont que 59,9 millions. Le recadrage de l’animatrice s’est dilué dans le brouhaha du plateau. De quoi la pousser à exprimer sa déception : « Nous nous sommes dit que vous maîtrisez la question ».