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Samedi 3 décembre, le think tank Ifrikiya pour le dialogue économique a organisé une rencontre sur le thème : « De la palmeraie de Jemna à l’économie sociale et solidaire au service du développement ». Radhi Meddeb, homme d’affaire, Lotfi Ben Aissa, expert en économie sociale et solidaire, Touhami Chaieb, membre de l’association de préservation des oasis de Jemna et Ali Nouri Adouni, directeur général du bureau de restructuration des terres domaniales au ministère de l’Agriculture, ont débattu durant deux heures du projet de loi sur l’économie sociale et solidaire en Tunisie et de l’expérience de Jemna.

L’économie sociale et solidaire, concept souvent peu ou mal défini est devenu, depuis la révolution, un sujet d’instrumentalisation et de récupération politique. Revendiquée par les mouvements sociaux comme une alternative économique au chaos libéral, l’économie sociale et solidaire (ESS) est sommée par les experts et les fonds internationaux de s’en tenir à l’incarnation d’une bonne pratique de soulagement du marché économique. Si Jemna a été vécue comme une exigence de dignité et de prospérité, certains experts adeptes des analyses de la Banque Mondiale et du FMI, y opposent une autre version.

Radhi Meddeb, se lance dans une définition générique de l’économie sociale et solidaire : à propos de l’expérience de Jemna, il explique que « le problème est plus l’indigence de l’État, incapable de protéger la propriété privée, incapable de régulariser la situation de cette occupation sauvage, incapable de donner des perspectives à des gens qui veulent travailler et apporter une valeur ajoutée ». Mais quand il revient sur la théorie, l’homme d’affaire affirme que « favoriser l’inclusion ne passe pas par de nouvelles lois. Nous sommes formatés à la bureaucratie. Or, c’est la complexité de notre système juridique, administratif, fiscal, financier qui génère la corruption, les situations de rente, l’économie parallèle, les mafias en tout genre. Il faut simplifier la vie aux citoyens, aux porteurs de projets, aux investisseurs ».

Radhi Meddeb était l’un des organisateurs de la conférence « Tunisia 2020 ». C’est un homme d’affaires proche de la sphère influente de la finance. C’est pourtant sous la casquette d’expert en économie sociale et solidaire en Tunisie qu’il a été présenté lors de la rencontre. Cette expertise était justifiée par la publication de son livre, « Ensemble, construisons la Tunisie de demain : modernité, solidarité et performance » en octobre 2011, et la coordination d’un deuxième livre à destination des jeunes, “Tounesna”, en août 2012.

Encore de la bureaucratie pour accabler l’économie solidaire

L’essentiel du débat a porté sur le nouveau projet de loi sur l’économie sociale et solidaire proposé par l’UGTT et élaboré par Lotfi Ben Aissa, expert en ESS et membre de la Plateforme tunisienne d’économie sociale et solidaire et de Med ESS. D’après Lotfi Ben Aissa, le projet de loi est entre les mains du chef du gouvernement. Il sera bientôt validé par le conseil ministériel et passera devant le Parlement en 2017.

Avec 53 articles, le projet de loi donne, d’après le coordinateur de sa rédaction, un cadre législatif à l’économie sociale et solidaire. Il prévoit la création d’un Conseil supérieur pour l’économie sociale et solidaire, dont les membres seront nommés par le gouvernement. Sa mission sera de mettre en place une stratégie nationale quinquennale qui renforcera, entre autres, la participation des jeunes et des femmes, ainsi que la promotion du concept dans les institutions publiques et l’éducation. Sous la tutelle de ce Conseil supérieur, un bureau national sera créé pour représenter le secteur à tous les niveaux juridiques et exécutifs. Il sera chargé du suivi et de l’organisation du secteur. Sous le bureau national, des bureaux régionaux seront mis en place pour représenter et aider celui-ci à accomplir ses tâches. Un Observatoire national chargé de la recherche et des études est en passe d’être créé pour aider à la mise en place d’une stratégie nationale et continuer la réflexion sur le secteur. En plus de ces institutions publiques, le projet de loi prévoit la création d’une banque solidaire, qui s’occupera de donner des crédits aux projets d’économie solidaires. Seront classés comme projets d’ESS les mutuelles, les sociétés d’assurance à caractère mutualiste, les mutuelles des services agricoles, les coopératives, les unités coopératives de production agricole, les institutions de petits financements à caractère associatif, et les collectifs de développement dédiés à l’agriculture et à la pêche.

Wassim Laabidi, chercheur en économie, pense que l’ESS ne relève ni de l’entrepreneuriat social, ni de la responsabilité sociétale de l’entreprise, comme la présentent pourtant les bailleurs de fond occidentaux.

Il s’agit d’un questionnement politique de l’activité économique, traversé par l’idée centrale selon laquelle il y a des possibilités d’auto-organisation économique et sociale hors du système dominant. Elle met aussi l’accent sur le fait que nous vivons dans des sociétés, et pas seulement dans des économies. Dans ce contexte, l’émergence de coopératives, mutuelles et associations ne peut être qu’ une réaction face à la misère que le système capitaliste a engendré.